Zoersel: une stèle à la mémoire de l’équipage du PM-X

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Zoersel (Malle), le 4 mai 2012. Une assistance nombreuse avait répondu positivement à l’invitation de Harry Hendrickx, bourgmestre de Malle, et de Pascal Kempenaers, président de l’Aero Para Club der Kempen et instigateur de la cérémonie; il convient de les féliciter pour cette initiative de mémoire et l’organisation impeccable de cet événement solennel.

 

Le président de l’Aero Para Club der Kempen, Pascal Kempenaers, durant son allocution de bienvenue à côté du chevalet portant la stèle commémorative voilée par un drapeau de la Royal Air Force.

Cette stèle a été établie en l’honneur de l’équipage du bombardier Lancaster PM-X/ND700 du 103 squadron de la Royal Air Force (RAF) disparu dans l’explosion de son appareils à Oostmalle dans la nuit du 11 au 12 mai 1944, en un point situé entre le lieu-dit Heihuizen et le hameau de Blommerschot sur l’actuel aérodrome de réserve de l’OTAN de Zoersel-Oostmalle.

 

L’assemblée nombreuse participant à la cérémonie avec, au premier rang, les personnalités (dont au premier plan le Padre Peeters qui prononça une homélie et l’attaché militaire Sud-africaine) et les familles d’aviateurs décédés lors de l’explosion du PM-X/ND700 en mai 1944.

Parmi les nombreux sympathisants se trouvaient des délégués de plusieurs associations patriotiques, des représentants des autorités militaires et civiles, un porte-parole du Roi Albert II et d’éminents diplomates ou attachés militaires des ambassades du Royaume-Uni, du Canada et d’Afrique du Sud, leur présence attestant du caractère cosmopolite – ou Commonwealth – de l’équipage mort au champ d’honneur il y a pratiquement 70 ans.

 

Des représentants des familles Finighan et White viennent de dévoiler la plaque en présence de Pascal Kempenaers; cette plaque sera disposée dans le club house de l’Aero Para Club der Kempen, donc sur l’aérodrome de Zoersel-Ostmalle à une encablure de l’endroit où le Lancaster PM-X a percuté le sol dans la nuit du 11 au 12 mai 1944.

Une nuit d’hécatombe en mai 1944

Les Alliés avaient intensifié leurs raids de bombardement, de jour comme de nuit, sur les nœuds de communication en Belgique et dans la moitié nord de la France en vue de compromettre au maximum l’acheminement de troupes et de matériel par la Wehrmacht vers les plages du débarquement, lequel était prévu en Normandie moins d’un mois plus tard. L’effort offensif était maximal, ce qui accroissait d’autant l’activité souvent létale de la flak (DCA) et de la chasse de nuit allemande pour les avions et les équipages du Bomber Command de la RAF.

Dans la nuit du 11 au 12 mai 1944, la RAF avait lancé des missions d’assaut vers les gares de triage de Hasselt et de Louvain ainsi que les casernements de Bourg-Léopold/Béverloo pour lesquelles le tribut à payer s’avéra très lourd, dans la mesure où onze Lancaster s’abattirent en Belgique, essentiellement victimes des chasseurs de nuit. Parmi ceux-ci, deux appareils du 103 squadron, à savoir le PM-K/JB733 piloté par le Pilot Officer (sous-lieutenant) Whitley qui s’écrasa à proximité de Hallaar entraînant ses sept membres d’équipage dans la mort. Un autre appareil de ce même squadron ne rentra pas à la base et son équipage fut porté manquant: il s’agissait du Lancaster MK III immatriculé ND700 et portant l’indicatif PM (propre au 103 squadron) et la lettre individuelle X pour X-ray. Ayant décollé à 21 heures 48 d’Elsham Wolds, le port d’attache du 103 (bomber) squadron dans le Lincolnshire, le PM-X/ND700 emportait onze bombes de 500 et quatre de 250 kg dans sa soute. Il était l’un parmi le flux des 126 quadrimoteurs lancés sur Hasselt. Les premières bombes y furent larguées vers 23 heures 50 et 39 Lancaster bombardèrent effectivement l’objectif recouvert d’une brume épaisse qui vira vite à la nappe de brouillard compacte, ce qui incita le « master bomber » à arrêter la mission à minuit quatre minutes. Les Lancaster qui suivaient se virent donc contraints de faire demi-tour sans s’être délestés de leurs projectiles.

Tel fut aussi le cas du PM-X/ND700, un appareil relativement neuf, car il avait été livré le 3 mars 1944 au 103 squadron et il effectuait, cette nuit-là, sa septième mission. Revenant de Hasselt, des témoins oculaires habitant Wechelderzande, à quelques encablures de son point de chute, entendirent les détonations sèches des rafales tirées par le chasseur de nuit qui talonnait le bombardier volant vers l’ouest en direction d’Oostmalle. Il sembla avoir effectué un virage au cours duquel il largua – ou perdit – plusieurs de ses bombes avant de s’en revenir vers Wechelderzande. C’est alors qu’il piqua du nez, quelques neuf bombes explosèrent alentour du point de chute du Lancaster qui explosa dès l’impact avec le sol. L’équipage, dans son entièreté, fut déchiqueté en même temps que l’épave et seule la dépouille du Sergent White, le mitrailleur dorsal probablement éjecté juste avant l’impact, fut découverte par les Allemands et inhumée au cimetière militaire de Fort 3 près de l’aérodrome de Deurne; elle fut transférée au Schoonselhof lorsque ce premier cimetière fut fermé.

Outre le « mid-upper gunner » (mitrailleur dorsal) Richard White, l’équipage, auquel la stèle inaugurée ce 4 mai rend hommage, se composait de six autres aviateurs: le Sergent Clifford Finighan radio mitrailleur, le Sergent Gilbert Harry Agar navigateur, le Flying Officer (lieutenant) William Lorne Vanderdasson (Canadien) bombardier, le Pilot Officer (sous-lieutenant) Philip Dennis Vickers mécanicien de bord et le Flying Officer Roy McLeod (Canadien) mitrailleur de queue. Leurs restes furent, ainsi que ceux du pilote, inhumés au cimetière de Fort 3 et puis transférés au Schoonselhof en 1947.

 

Une exposition avait été montée dans l’annexe du club house où des panneaux fort bien documentés donnaient une profusion d’informations sur l’Avro Lancaster et le Bomber Command; y figuraient aussi des débris de l’appareil qui s’abattit sur ce qui est devenu l’aérodrome de Zoersel et, notamment, une jambe de train d’atterrissage à l’avant-plan et une mitrailleuse Browning de calibre .303 (7,62 mm).

Le pilote et commandant de bord était le Wing Commander (colonel) Hubert Reginald Goodman (Sud-africain) qui avait effectivement pris son commandement le 6 mai 1944, soit quelques jours à peine avant de disparaître tragiquement. Le sort lui avait été manifestement funeste, car il effectuait cette mission à la place, dans l’avion et avec l’équipage du Squadron Leader Florent Van Rolleghem, un pilote belge, indisponible pour un mois car hospitalisé pour un ulcère à l’estomac.

« The mad Belgian »

Florent Van Rolleghem était officier à l’Aéronautique Militaire Belge avant la guerre. Après la capitulation de la Belgique suivie rapidement de celle de la France, il fit le nécessaire pour rapatrier ses hommes évacués en France dans les mois qui suivirent la cessation des hostilités. Lui-même les raccompagna en Belgique qu’il quitta début 1941 pour rejoindre l’Angleterre et poursuivre le combat. Le chemin était cependant long et périlleux et, arrivé en Espagne, à l’instar de nombreux autres patriotes, il fut capturé et interné durant de longs mois au camp de Miranda del Ebro de sinistre mémoire. Enfin relâché, il gagna l’Angleterre au début de 1942 et, après un réentraînement intensif et une conversion sur quadrimoteur, il intégra le 103 (bomber) squadron le 28 avril 1943.

 

Photo datant de l’été 1943 du Squadron Leader Florent Van Rolleghem (4ème à partir de la gauche dans la rangée assise) avec son équipage et ses mécanos devant le Lancaster MK I PM-X/ED905 avec lequel ils accomplirent leur premier tour d’opérations.

L’une de ses premières missions consistait à mouiller des mines de nuit au large de la base de sous-marins de Saint-Jean-de-Luz. Après avoir dépassé Bordeaux, le temps devint exécrable. Il se rendit compte qu’il était arrivé au-dessus de l’objectif, qu’il n’avait pas pu voir, par les faisceaux lumineux des phares de recherche et les trajectoires des balles traçantes qui montaient vers lui. Le navigateur était totalement perdu et refusait même toute coopération. Florent Van Rolleghem voulait accomplir la mission et consulta donc l’équipage qui le désavoua, hormis les deux mitrailleurs. Il prit ses résolutions et vola vers la ville toute proche et bien éclairée de Bilbao en Espagne neutre. Grâce à cet excellent point de repère, il fut à même de remettre le cap sur la côte basque et se dit que lorsqu’il verrait des traceuses venir à sa rencontre, il serait sur l’objectif. C’est ce qui se passa et il put ainsi mouiller ses mines de 200 en 200 mètres, condition nécessaire à la réussite de la mission. Un lourd silence régna à bord jusqu’au retour à Elsham Wolds. Dès après l’atterrissage, Florent Van Rolleghem se rendit au bureau des opérations pour faire son rapport et demander un autre équipage mais, quand il revint au local de débriefing où l’attendaient les membres de son équipage, ceux-ci l’applaudirent chaudement. Ayant discuté avec leurs collègues effectuant cette même mission et qui y avaient renoncé et étaient rentrés bredouilles, il était évident que leur commandant de bord était un pilote hors pair et que, dorénavant, ils n’en voudraient pas d’autre ! Florent Van Rolleghem annula son rapport et l’incident fut clos. C’est suite à cela qu’il fut affublé, dans le squadron, du sobriquet de « The mad Belgian », c’est-à-dire « le fou de Belge ». Il termina son premier tour de 30 opérations accompagné de son équipage attitré soudé à la vie, à la mort.

 

Gros plan de nez de Lancaster de pilotes belges du 103 squadron d’Elsham Wolds: au-dessus, le Lancaster PM-X/ED905 du Squadron Leader Florent Van Rolleghem – « The mad Belgian » -avec 21 symboles de missions, dont le bombardement des usines Fiat à Turin (Italie) qui est illustré par un cornet de crème glacée et les missions de « gardening » ou mouillage de mines qui sont représentées par une bombe suspendue à un parachute; au-dessous, le nez du Lancaster PM-M/NF913 du Flight Lieutenant Anselme « Selmo » Vernieuwe avec 13 bombes représentant autant de missions de jour (blanches) et de nuit (jaunes) de même que les croix gammées symbolisent deux victoires sûres sur des chasseurs de nuit allemands et le radeau des sept aviateurs canadiens abattus qui dérivaient au large des côtes danoises et qui furent secourus grâce à l’intervention de son équipage.

Une mission sur Leverkusen en juillet 1943 fut problématique, car un obus de DCA avait fait voler son pare-brise en éclats mais Florent Van Rolleghem ramena l’appareil et l’équipage à bon port, malgré ses blessures au visage. Ce fait d’armes lui valut la DFC (Distinguished Flying Cross) qui fut épinglée sur sa vareuse par le Wing Commander J.A. Slater à Elsham Wolds en septembre 1943. Il fut l’un des deux pilotes belges à se voir décerner une DS0 (Distinguished Service Order). Il quitta la Force Aérienne Belge avec le grade de Lieutenant-général.

D’autres Belges se distinguèrent au sein du 103 squadron: les Flying Officers Anselme « Selmo » Vernieuwe et Louis Rémy furent affectés au 103 en juillet 1944. A. Vernieuwe sera, dans l’immédiat après-guerre, l’artisan de l’essor de la SABENA et le grand promoteur du réseau hélicoptères, entre autres choses. Louis Rémy fut l’in des rares, sinon le seul, officier allié à s’échapper de la forteresse de Colditz où les Allemands enfermaient ceux qui s’étaient évadés à plusieurs reprises des camps de prisonniers.

Apothéose pour une cérémonie du souvenir

Après avoir dévoilé la plaque commémorative, qui sera désormais mise à l’honneur dans le club house de l’Aero Para Club der Kempen, de jeunes enfants secondèrent les personnalités et délégués des associations et corps constitués pour le dépôt de gerbes. Ensuite vinrent les discours des intervenants belges et étrangers qui, tous sans exception, prononcèrent des allocutions bien senties. Saluons encore le poème composé et récité pour la circonstance par George Shanks, dont l’émotion contenue rehaussa parfaitement la cérémonie. Les notes grêles d’une cornemuse et la sonnerie d’un clairon « aux champs » conférèrent le caractère solennel qu’une telle célébration appelle.

 

Reproduction de la plaque commémorative bilingue retraçant le tragique événement et citant les aviateurs qui en furent les victimes; les illustrations représentant le profil du Lancaster MK III PM-X/ND700, le badge du 103 squadron et les armes de la commune de Malle.

 

La stèle a été fleurie par les représentants de diverses associations et corps constitués représentés ainsi que par des membres des familles de certains des disparus.

Après quelque délai dû à une météo médiocre sur la Manche, le ronronnement caractéristique des moteurs Rolls Royce Merlin résonnait dans le lointain et, bientôt, le Lancaster du Battle of Britain Memorial Flight immatriculé PM474 et portant l’indicatif HW-R fit un passage à basse altitude dans l’axe de la piste de Zoersel. L’avion cercla ensuite autour du point, signalé par un drapeau belge, où le PM-X/ND700 et son équipage s’étaient abîmés en cette triste nuit du 11 au 12 mai 1944, il y a donc près de 70 ans… Cet Avro Lancaster, l’un des deux seuls encore en état de vol dans le monde, a le nez décoré du motif « Phantom of the Ruhr », l’exemplaire original ayant accompli 121 missions de bombardement au sein du 100 squadron entre le 31 mai 1943 et le 21 novembre 1944.

 

Le Lancaster PA474 du Battle of Britain Memorial Flight lors de son passage sur Zoersel, l’un des deux appareils de ce type dans le monde toujours en état de vol.

 

Le Lancaster a été revêtu de l’indicatif HW-R d’un appareil du squadron 100 du Bomber Command (le réel était immatriculé EE139 et effectua 121 missions offensives entre le 31 mai 1943 et le 21 novembre 1944) avec le fameux motif du « Phantom of the Ruhr » peint du côté gauche du nez.

Deux F-16AM du 31 Tiger squadron de Kleine-Brogel escortèrent le bombardier vétéran, rendant ainsi un bel hommage, et de la jeune génération de pilotes et de la Force Aérienne Belge, à ceux qui luttèrent jusqu’au sacrifice suprême pour défendre nos valeurs et notre liberté.

 

Deux F-16AM du 31 Tiger squadron du 10ème Wing de Kleine-Brogel escortèrent le Lancaster vétéran.

 

Passage bas tout sorti des deux F-16AM de la 31ème escadrille dont le leader est le FA-87 à la livrée tigrée spéciale.

Texte et photos: Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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