Charleroi-Gosselies, le 20 mai 1979. Je m’aligne sur la piste 25 et pousse la manette des gaz à fond pour décoller et effectuer mon initiation à l’acrobatie aérienne à bord de l’OO-AWZ, un Reims/Cessna FRA 152 Aerobat pas comme les autres !
Un Reims/Cessna FRA 152 Aerobat fraîchement sorti d’usine à l’aérodrome de Reims-Prunay au début des années 80. (Reims Aviation) |
Reims/Cessna FR/FRA 152
Reims Aviation est la société qui a succédé à la Société Nouvelle des Avions Max Holste et dans le capital de laquelle la Cessna Aircraft Company de Wichita avait pris une participation de 49% en février 1960. Le président de la nouvelle compagnie n’était autre que Pierre Clostermann, le célèbre as des forces Aériennes Françaises Libres…
Reims Aviation entama dès lors l’assemblage des divers modèles de la gamme des monomoteurs Cessna ainsi que du bimoteur 337 « push-pull » et détint les droits de commercialisation des avions Cessna pour l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Phénomène moins connu, Reims Aviation développa des modèles qui lui étaient exclusifs dont, notamment, le Reims FR 172 Rocket, une version « gonflée » du Cessna 172 Skyhawk, ce dernier étant l’avion de tourismes monomoteur le plus construit de l’histoire de l’aviation (près de 42.000 appareils à fin 2005), ainsi que le bimoteur Reims F 406 Caravan II qui est toujours construit de nos jours…
L’OO-AWZ au taxi à Gosselies le 17 avril 1980. (JP Decock) |
Reims Aviation a donc logiquement construit sous licence le Cessna 150, le monomoteur d’apprentissage de base et de tourisme le plus utilisé du monde (23.299 exemplaires entre septembre 1957 et le printemps 1977, dont 1.646 rien que chez Reims Aviation). L’usine française est donc logiquement passée à la version évoluée F 152 à partir du printemps de 1977 et en produisit 1.955 jusqu’au 31.12.1983, auxquels s’ajoutent les 7.234 construits par Cessna sur cette même période, avant que l’entreprise ne renonce à construire des monomoteurs à partir de 1985 (et ne reprendra la fabrication des F 172 qu’en 1996). Cessna pouvait donc proclamer légitimement que plus de pilotes étaient formés grâce à ses modèles F 150 et F 152 qu’avec l’ensemble des appareils de toutes les marques concurrentes !
Bien que ces chiffres soient impressionnants, c’est cependant la version moins produite FA 150/FA 152 Aerobat qui nous intéresse dans le contexte de cet article et, plus spécifiquement, la version FRA 152 construite par Reims Aviation qui en a fabriqué 388 entre le printemps 1977 et la fin de 1983.
L’OO-AWZ vient de décoller de la piste 07 de Gosselies en mai 1980. |
De F-WZAZ à OO-AWZ
Le prototype du Reims/Cessna FRA 152 Aerobat effectua son premier vol le 25 avril 1977 à l’aérodrome de Reims-Prunay avec le chef pilote Michel Jacquet aux commandes. Celui-ci était un fin pilote et je me souviens, en particulier, de sa démonstration du FRA 150 au meeting de Gosselies en septembre 1973 et de sa sortie de boucle à si basse altitude que j’ai cru un instant qu’il allait raboter la piste… mais, d’une main de maître, il ramena le petit Cessna en vol horizontal à quelque cinq mètres du sol !
L’Aerobat se distinguait du FR 152 standard par sa décoration flamboyante explicite quant à ses capacités acrobatiques mais il disposait, fort heureusement, de plus que de cet élément cosmétique. L’Aerobat avait en effet des structures renforcées, notamment aux attaches des mâts supportant l’aile haute, ce qui lui permettait d’effectuer des manœuvres sous coefficient de charge de +6 à -3 G ; il n’avait donc rien à envier aux avions dits de voltige. De plus, comme l’aile était haute et constituait le plafond de l’habitacle, deux petits hublots y avaient été aménagés, lesquels malgré leur champ de vision relativement restreint, étaient quand même fort pratiques pour « aller chercher l’horizon » lors du passage sur le dos en sommet de looping ou de rétablissement… Enfin, la différence primordiale résidait dans la motorisation : si les Aerobat américains avaient le Lycoming de 108-110 CV standard du 152 et étaient pour le moins sous-motorisés pour l’acrobatie, les FRA 152 Aerobat construits en France étaient équipés d’un Rolls Royce-Continental développant 130 CV. C’était nettement mieux mais néanmoins encore insuffisant pour certaines manœuvres acrobatiques ! Après sa mise au point et de nombreuses démonstrations d’usine, le Reims/Cessna FRA 152 Aerobat prototype, immatriculé F-WZAZ (n° de construction FRA 152-0347) fut acquis en mai 1978 par Jacques d’Hainaut, un sympathique pilote instructeur à Gosselies, et immatriculé OO-AWZ au registre belge.
Le Reims/Cessna FRA 152 Aerobat ex F-WZAZ sur le tarmac de Gosselies le 30 septembre 1981, un jour pluvieux si typiquement belge… (JP Decock) |
Un peu d’acro aux commandes de l’Aerobat
L’Aerobat était donc la version acrobatique du Cessna 150 ou 152 standard grâce aux modifications décrites ci-dessus et, de ce fait, il permettait de découvrir les plaisirs et la valeur ajoutée par l’acrobatie au pilotage tout en restant dans une enveloppe budgétaire acceptable. Cependant, et malgré le vingt chevaux additionnels sous le capot, l’Aerobat ne grimpait pas avec fulgurance… or, la majeure partie des figures acrobatiques s’effectue dans le plan vertical avec de sérieuses pertes d’altitude à compenser le plus rapidement possible en regagnant de la hauteur… Mais, avec une vitesse ascensionnelle de 225 mètres (750 pieds)/minute, l’Aerobat était un piètre grimpeur et il fallait donc ramer pour reprendre l’altitude perdue lors d’une figure qui en était très consommatrice comme la vrille. C’est pour cette raison qu’une heure d’entraînement aux figures acrobatiques imposées pour le test de pilote professionnel commençait invariablement par une montée à 3.000/3.500 pieds (900 à 1.000 mètres) par rapport au sol et trois tours de vrille, ce qui amenait l’Aerobat à un bon 2.500 pieds (750 mètres) à la verticale de l’aérodrome pour enchaîner les figures à perte d’altitude nulle ou faible (boucles ou loopings, tonneaux aux ailerons, renversements, huit cubain et huit paresseux).
L’OO-AWZ devenu G-CLUB vu en Angleterre en 1988 ; la trappe d’accès à la jauge d’huile est relevée. (M. West) |
La vitesse d’entrée pour les figures classiques de voltige était d’environ 110 nœuds (200 km/h), gagnés en piquant et sans emballer le moteur aux maximum des tours pour éviter tout « overspeed » néfaste pour l’hélice, avec 3/3,5 G à l’accéléromètre et, malgré tout et principalement pour les loopings, l’Aerobat s’essoufflait vite en montée et les 250 ou 300 tours résiduels du moteur étaient bienvenus afin de boucler la boucle, sans quoi l’avion risquait soit de glisser sur la queue, soit de faire une pincette plutôt qu’un looping bien rond.
Parmi les quelques souvenirs indélébiles, je me rappelle d’un vol d’entraînement avec l’OO-AWZ un samedi matin de juin 1979. J’avais eu une réunion chargée avec mes vendeurs la veille et si mon estomac était OK, mes réflexes étaient un tantinet plus mous que d’habitude, ce qui titilla mon instructeur Philippe Lemmens, ancien pilote de Mirage assez vif aux commandes qui, pour me secouer un peu, effectua un tonneau déclenché (snap roll) : une des manœuvres acrobatiques les plus brutales pour les structures de l’avion mais aussi de celles des pilotes. J’avoue avoir vu l’espace d’un moment des étoiles et je comprends fort bien depuis ce que signifie l’expression « voir 36 chandelles » !
Clin d’œil aux spotters civils : le seul autre OO-AWZ du registre belge, un Douglas C-47A de la SABENA vu à Zaventem en 1968 et qui fut revendu à la Force aérienne du Nigéria où il devint NF303 en 1969. (Archives JP Decock) |
Un autre temps fort à bord de l’OO-AWZ consista en une vrille appuyée… La vrille est une manœuvre spectaculaire et dangereuse si elle est déclenchée par mégarde. Elle est redoutée des pilotes car les commandes ne répondent plus, sauf le gouvernail de direction. La vrille a encore un côté terrifiant car l’avion tourne comme dans un cône avec des tours de plus en plus serrés et on voit les quatre points cardinaux basculer à l’horizon et changer constamment de position ! La perte d’altitude est importante et va grandissante, tour après tour de vrille. C’est pour cette raison que les instructeurs apprennent à leurs élèves à éviter impérativement de mettre l’avion en vrille et que tous les cours d’acrobatie se concentrent initialement sur l’apprentissage du contrôle d’une vrille volontairement déclenchée. Du reste, un avion sain ne se met pas – ou du moins pas facilement – en vrille et, en l’occurrence, le Cessna 150/152 est un avion école sûr car il se met difficilement en vrille, ceci s’applique aussi à la version Aerobat. Je me souviens qu’il n’était pas évident de déclencher une vrille avec cet appareil car, même avec le moteur coupé et le nez cabré et en poussant le manche et le palonnier à fond de course d’un côté ou de l’autre, il refusait la vrille ou alors il l’entamait mollement, comme à contrecœur. Par contre, en neutralisant les commandes à deux tours et demi de vrille, l’Aerobat cessait sa rotation et se stabilisait au troisième tour et en sortait comme une fleur, exactement dans l’axe. Le souvenir formidable que j’aie gardé est d’avoir fait, avec mon dingue d’acrobatie de moniteur, huit tours de vrille avec l’OO-AWZ. Les derniers tours étaient vachement serrés et il avait fallu mettre du pied contraire à six tours et quelque pour sortir de vrille impeccablement au huitième tour et très bas au-dessus de l’aérodrome avec un appel radio de la tour du style « Whisky Zulu, do you have a problem ? »…
Vue de dessus de l’Aerobat où on remarque les hublots oblongs percés au centre de l’aile. |
Sous d’autres cieux
J’avais donc réalisé mon initiation à l’acrobatie aérienne à bord du Reims/Cessna FRA 152 OO-AWZ, tête de série chez Reims Aviation, en mai juin juillet 1979 et avais totalisé 6H28 de voltige à son bord. Par ailleurs, entre octobre 1978 et fin mai 1982, j’effectuai encore 12H15 de vol de navigation avec l’appareil.
L’OO-AWZ subissait cependant de fréquents problèmes de moteur qui l’immobilisaient pour des périodes plus ou moins longues. Le problème majeur avait été l’éjection d’un piston à travers le capot du moteur… à ce qu’on disait. Ce n’était pas tant l’usage intensif pour l’instruction des élèves pilotes que les tentatives des autodidactes de la voltige qui malmenaient le moteur (plusieurs instructeurs avaient fréquemment observé le phénomène lors de vols hors de la zone de contrôle d’aérodrome), tant il est vrai qu’en matière de pilotage la science s’acquiert sous la férule d’un instructeur qualifié et que rien, ou si peu, n’est inné…
Le propriétaire de l’OO-AWZ, Jacques d’Hainaut, décida en 1982 de revendre la machine et elle fut acquise par des Anglais qui l’immatriculèrent G-CLUB. Propriété de Mr & Mrs Hooper de Bedford, il vole toujours en 2008 sous cette même immatriculation.
Vue de profil de l’Aerobat avec capotages de roues profilés permettant de gagner 2 nœuds (3,7 km) à l’heure en vol de croisière ; l’OO-AWZ en était dépourvu. |
L’OO-AWZ demeure, envers et contre tout, un excellent souvenir car il m’a permis d’accéder aux joies de la voltige aérienne. J’y aspirais depuis longtemps et l’opportunité m’en fut donnée en mai 1979. Lorsque le Centre d’Aviation Générale de Gosselies organisa une session de formation à l’acrobatie pour candidats pilotes professionnels. Ils étaient douze, je fus le treizième et seul pilote privé de la bande J’entamais mon premiers cours avec « un cœur gros comme ça » et en ressortais avec un cœur plus grand encore. Il m’arrivait de récupérer des bouts d’heures d’acrobatie d’élèves qui me précédaient ou me suivaient et qui avaient l’estomac trop sensible pour poursuivre après la vrille inaugurale de la leçon. Je faisais ainsi de l’acrobatie deux, voire trois fois le même jour et c’est ainsi qu’on acquiert une réputation de pilote zinzin sur un aérodrome. Mais mon moniteur, qui en faisait jusqu’à dix fois le même jour, était encore plus fou que moi. Il en résulta une certaine complicité qui l’amena à me faire découvrir le SIAI-Marchetti SF 260… mais ceci est une autre histoire !
Jean-Pierre Decock
CARACTERISTIQUES : envergure : 10,11 m / longueur : 7,34 m / hauteur : 2,59 m / surface alaire : 14,82 m² / poids à vide : 530 kg / poids maximum : 760 kg
PROPULSEUR : un moteur Rolls Royce-Continental O-240-E de quatre cylindres opposés à plat refroidi par air et développant 130 CV ; hélice à pas fixe
PERFORMANCES : vitesse maximum au niveau de la mer : 202 km/h / vitesse de croisière à 2.500 m/75 % de la puissance : 196 km/h / vitesse de décrochage : 89 km/h / plafond : 4.500 m / distance franchissable : 850 km