Melsbroek, le mercredi 7 mai 1947. Les deux premiers avions à réaction effectuant une démonstration en Belgique, à savoir le Gloster Meteor MK IV et le De Havilland DH 100 Vampire se terminèrent par un cheval de bois à une heure d’intervalle… Il est des coïncidences pour le moins extraordinaires, à plus forte raison lorsqu’elles constituent -comme c’est le cas ici et pour le Meteor- le point de départ d’une histoire à rebondissements.
Début avril 1947, le Gloster Meteor MK IV privé de la firme dans sa superbe livrée écarlate avec l’immatriculation G-AIDC et les noms du constructeur et du motoriste, en l’occurrence Rolls Royce, dont les réacteurs Derwent propulsaient l’appareil. (C.E. Brown /RAF Museum) |
Un beau Meteor écarlate un jour d’avril…
Une première présentation du Gloster Meteor MK IV eut lieu à Melsbroek à l’instigation de l’Aéro-Club Royal de Belgique le vendredi 18 avril 1947. La Gloster Aircraft Company y envoya le Meteor construit spécifiquement comme démonstrateur, car elle envisageait -à juste titre comme cela se vérifiera dans la suite- de substantielles commandes des diverses forces aériennes en quête d’équipement ou de rééquipement en chasseurs performants dans l’immédiat après-guerre. Cet appareil, à la livrée écarlate et avec l’immatriculation civile G-AIDC en blanc ivoire, était ultra performant grâce à son revêtement très lisse et à l’absence de son armement, lourd à l’époque, de quatre canons Hispano de 20 mm de calibre. Le Gloster Meteor était auréolé du prestige du premier avion à réaction opérationnel chez les Alliés peu avant la fin de la seconde guerre mondiale, mais aussi de celui de détenteur du record mondial de vitesse battu par Eric Greenwood le 7 novembre 1945 à bord du Meteor IV, baptisé « yellow peril » à cause de se peinture jaune canari, du High Speed Flight de la Royal Air Force. Ce record établi fin 1945 à 603 milles à l’heure (996 km/h) fut porté à 616 milles à l’heure (1.018 km/h) par le Group Captain E.M. Donaldson à bord du Meteor MK IV EE549 le 7 septembre 1946, soit six mois avant sa présentation officielle à Bruxelles. Du reste, le recordman Eric Greenwood était à Melsbroek le 18 avril 1947 pour y accueillir son collègue et ami le Squadron Leader Cotes-Preedy, ancien pilote du fameux squadron 609 où servirent et que commandèrent tant de Belges durant la guerre.
Le Gloster Meteor MK IV « yellow peril » (EE455 à la RAF) du High Speed Flight de la Royal Air Force à bord duquel Eric Greenwood porta le record mondial de vitesse à 996 km/h le 7 novembre 1945. (C.E. Brown / RAF Museum) |
C’était la première apparition d’un avion à réaction en Belgique depuis le déploiement à Melsbroek d’un détachement de Meteor MK III du squadron 616 (le premier à être opérationnel sur jets au sein de la RAF) de janvier à fin mars 1945 afin de parer aux raids surprises des chasseurs à réaction de la Luftwaffe durant les derniers mois du conflit. Ces tout nouveaux avions sur le front étaient intégralement peints en blanc afin de les rendre plus visibles, et ainsi les préserver des attaques inopinées, des chasseurs alliés de l’époque, lesquels avaient la maîtrise absolue du ciel.
Cette vue prise le 12 avril 1947, soit quelques jours avant sa première venue à Melsbroek, du Meteor MK IV G-AIDC en révèle les contours typiques qui permettaient aux jeunes spotters de la seconde moitié des années 40 et des années 50 de l’identifier au premier coup d’œil, indépendamment du grognement sourd typique de ses réacteurs Derwent. A noter : l’absence des canons dans le nez ainsi que les surfaces ultra polies de l’avion. (C.E. Brown) |
Le Squadron Leader Cotes-Preedy fit une démonstration époustouflante du Meteor comme l’a relaté avec enthousiasme la presse quotidienne de l’époque. Demeurant encore en Belgique le lendemain, des pilotes de la nouvelle Force Aérienne Belge eurent l’occasion d’essayer le chasseur à réaction. Il s’agissait du Lieutenant-Colonel Mike Donnet qui avait été Wing Commander à la RAF et du Major Remi Van Lierde, ancien camarade de Cotes-Preedy au squadron 609. Le Meteor G-AIDC poursuivit alors sa tournée européenne de présentation vers Copenhague, accomplissant un nouveau record de vitesse entre Bruxelles et cette ville en volant à 630 milles à l’heure (1.040 km/h), pour se rendre encore en Norvège, en Suède et aux Pays-Bas.
Une seconde présentation… qui tourne court!
Le Meteor écarlate venant de Copenhague était de retour à Melsbroek le mercredi 7 mai 1947, cette fois pour une confrontation officieuse avec le chasseur à réaction bipoutre De Havilland Vampire. C’est le Major Raymond « Cheval » Lallemand, ancien commandant du squadron 609 de la RAF, qui fut le premier pilote belge à voler ce jour-là à bord du Meteor. Il le posa en fin d’après-midi après un vol particulièrement musclé. Le second pilote belge à voler en Meteor fut le Capitaine Pierre Mullenders, un ancien de la RAF familier de la machine, étant donné qu’il avait piloté des Meteor au sein du squadron 616, la toute première unité équipée du nouveau chasseur biréacteur dès août 1944. Alors que le pilote amorçait un looping au-dessus de Vilvorde, la trappe de la roue gauche se détacha et la jambe du train sortit brutalement. L’appareil eut son vol sérieusement perturbé par la soudaine traînée due à la sortie intempestive du train gauche à grande vitesse et fut entraîné dans une série de tonneaux déclenchés.
Le Meteor MK IV G-AIDC lors de sa seconde visite à Bruxelles le 7 mai 1947. (Collection Frans Van Humbeek) |
Un peu sonné, le Capitaine Mullenders parvint néanmoins à en reprendre le contrôle et se présenta à la verticale de l’aérodrome où les spectateurs, qui n’avaient rien remarqué jusque-là, virent la moitié du train sorti. Le pilote abaissa ensuite le train d’atterrissage et se présenta en finale pour l’atterrissage. Conscient du problème et n’ayant pas la certitude que la jambe gauche fut verrouillée, Pierre Mullenders posa le Meteor à faible vitesse et sur la roue droite mais, lorsque l’avion ralentit et toucha de la roue gauche, celle-ci s’affaissa et le Meteor termina sa course par un magistral cheval de bois. Le pilote était indemne et sa virtuosité avait limité les dégâts.
Phénix rouge émanant des restes du G-AIDC écarlate, le Meteor MK VII biplace immatriculé G-AKPK que la Gloster Aircraft Company a pris l’initiative de développer sur fonds propres en 1948. (C.E. Brown) |
D’autre part, le Vampire qui était à Bruxelles depuis quatre jours, avait effectué une brillante démonstration à quinze heures aux mains du pilote d’essais de De Havilland, le Wing Commander Richard Blyth, juste avant les deux vols du Meteor avec les pilotes belges à bord. Le Meteor à peine immobilisé dans son fâcheux état, le Major Remi « Mony » Van Lierde, le vainqueur de 36 bombes volantes V-1 et le 2ème as de la spécialité, décollait le Vampire de la piste de Melsbroek. La roue gauche ne s’escamota toutefois pas… Le pilote n’étant pas conscient du phénomène, lança son appareil dans une succession effrénée d’acrobaties. La radio n’étant pas branchée, les services de sécurité lancèrent des fusées rouges pour signaler le problème, suite à quoi il contacta la tour par radio. Après quarante minutes de vol et la confirmation de la tour que les trois roues du train étaient effectivement sorties, Remi Van Lierde vint atterrir mais, après quelques dizaines de mètres de roulement, le jambe gauche du train se rompit et le Vampire fit à son tour un cheval de bois qu’il termina à proximité de l’infortuné Meteor.
Une fin et une résurrection pour le Meteor
Ces incidents navrants n’ont pas empêché la jeune Force Aérienne Belge de passer commande de 48 Gloster Meteor MK IV. Cependant, et suite à cet accident, le constructeur Gloster Aircraft Company prit la décision de ne plus laisser piloter ses appareils que par ses propres pilotes d’essais.
Le G-AIDC saisi lors d’une escale à RAF Lübeck en Allemagne septentrionale lors de son périple européen d’avril 1947. (Gloster) |
L’équipe technique de la Gloster Aircraft Company procède au démantèlement du G-AIDC accidenté en vue de son rapatriement. (Hugh Service) |
Une équipe de techniciens se rendit à Melsbroek pour démonter le G-AIDC accidenté en vue de son rapatriement qui n’alla pas sans mal dans la mesure où les douanes britanniques en refusèrent d’abord la rentrée, prétextant que ce qu’elles examinaient n’était pas conforme à l’avion qui avait quitté le pays quelques semaines plus tôt!
Volant en formation serrée en 1948, le Meteor MK IV immatriculé VT170 à la RAF et le Meteor MK VII G-AKPK propriété privée du constructeur. (Gloster) |
Malgré les apparences, Gloster était loin d’envisager de ferrailler son bel oiseau écarlate. En effet, le rééquipement accéléré de la Royal Air Force en chasseurs à réaction suscita le besoin impérieux d’un appareil d’entraînement adéquat. Gloster prit l’initiative de produire une version biplace école du Meteor sans attendre de cahier de charges officiel. Cette initiative se concrétisa d’autant plus rapidement que le constructeur fabriqua une nouvelle pointe de fuselage biplace et récupéra les ailes, les empennages et le fuselage central et arrière de feu le Meteor MK IV G-AIDC pour créer le Meteor MK VII. Cette variante nouvelle développée sur fonds propres fut également peinte en rouge écarlate avec parements et immatriculation civile G-AKPK en blanc ivoire; elle effectua son premier vol le 19 mars 1948 avec Bill Waterton aux commandes. La stratégie de Gloster s’avéra payante car 641 exemplaires du Meteor MK VII furent construits, lesquels servirent essentiellement à la Royal Air Force mais aussi en Belgique (43 exemplaires dont 20 MK IV modifiés en biplaces chez Avions Fairey SA) et huit autres forces aériennes.
Le G-AKPK devenu militaire à la Koninklijke Luchtmacht où il a été immatriculé I-1 en tant que premier Meteor repris à son inventaire. (Gloster) |
Le G-AKPK fut revendu à la Koninklijke Luchtmacht néerlandaise en novembre 1948 où il fut immatriculé I-1 le 27 février 1949. Accidenté peu après sa mise en service, il fut décidé d’en faire une pièce de musée mais il fut quand même ferraillé dans le courant des années 50 et remplacé dans ce rôle par un autre Meteor MK VII immatriculé I-19.
Le Meteor MK VII immatriculé I-19 et portant l’emblème du squadron 322 de la KLu tel qu’il apparaissait lors des journées portes ouvertes de Gilze-Rijen le 18 juin 1977. (Jean-Pierre Decock) |
Pour anecdotique que puisse paraître cette histoire, elle n’en confère pas moins une position éminente à la Belgique dès les débuts des développements du Gloster Meteor, lequel connut une vingtaine de variantes et fut le chasseur à réaction de loin le plus construit et le plus exporté par l’industrie aéronautique britannique.
Jean-Pierre Decock