Aériane: ingénierie et talent

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Gembloux-Sauvenière, le 29 avril 2011. Bernard Bleeckx et Vincent Piret, patrons et fondateurs d’Aériane S.A., nous parlent des réalisations de cette société aéronautique (mais pas seulement) typiquement belge qui a su se diversifier et évoluer de succès en succès depuis sa fondation en 1989.

Faire de sa passion son métier
Bernard Bleeckx et Vincent Piret sont deux Belges passionnés de vol libre et disposant d’un excellent bagage technique, le premier étant ingénieur technicien spécialisé en matériaux composites et le second ingénier issu de l’ECAM de Bruxelles. Pratiquant le vol libre avec des ailes delta souples, ils s’attelèrent à développer une aile delta rigide procurant de meilleures caractéristiques de vol, particulièrement en termes d’endurance. C’est en 1989 qu’ils démarrèrent leur atelier à Mont-Saint-Guibert lorsqu’ils reprirent la construction de l’ULM monoplace Sirocco détenteur de plusieurs records en France et oscarisé aux USA. Le Sirocco avait été développé par Aviasud, une société établie dans le Midi de la France, fondée et gérée par les Belges Bernard d’Otreppe de Bouvette et François Goethals. Ceux-ci ont cédé à Aériane les droits de construction de leur première création afin de mieux pouvoir se consacrer à leur seconde réalisation: l’ULM biplan Mistral qui connut un vif succès dans les années 90. Au total, Aériane construisit une trentaine de Sirocco (qui s’ajoutent aux quelques 200 fabriqués par Aviasud depuis 1983). Etant donné son plan de charge et ses orientations stratégiques, Aériane revendit les outillages et les droits de production du Sirocco à la société néerlandaise ACLA en avril 2007, laquelle en poursuit le développement et la commercialisation.

Bernard Bleeckx (à gauche) et Vincent Piret entament le montage d’un SWIFT Light à livrer dans la semaine. On voit bien la structure en tubes d’acier et la coque de la nacelle en matériaux composites avec sa roue à l’arrière ainsi que le longeron central dans lequel viendront s’emboîter les deux demi-ailes. (Photo Paul Van Caesbroeck)

C’est lors d’un voyage en Amérique en mars 1993 que Bernard Bleeckx et Vincent Piret découvrirent l’aile volante rigide SWIFT (pour Swept Wing with Inboard Flap for Trim ou aile en flèche avec volet de bord de fuite pour le réglage de l’assiette). Cette aile pour le vol libre de conception inédite avait été créée et développée par trois Américains adeptes enthousiastes du deltaplane. Ils s’associèrent en janvier 1986 en fondant la Bright Star Hang Glider Factory pour développer l’aile avec le concours technique éminent de la Stanford University.
Le prototype SWIFT prit l’air en décembre 1989 après un décollage « à pied » depuis la colline de Marin County en Californie. Le second prototype aux mains d’Eric Beckman surclassa peu après toutes les ailes delta lors d’une compétition en Californie en parcourant 230 kilomètres en vol libre qu’il aurait pu poursuivre, mais il dut s’interrompre suite à des problèmes d’alimentation en oxygène alors qu’il se trouvait à 3.500 mètres d’altitude.
Bleeckx et Piret s’essayèrent au SWIFT sur la côte ouest des USA et furent conquis d’emblée au point d’en négocier la licence de fabrication pour l’Europe. Ce nouvel enjeu nécessitait de nouveaux locaux industriels qu’Aériane fit ériger à Sauvenière, la zone industrielle située au nord de Gembloux, qu’elle occupa en juin 1994.

 

Du marché européen au marché mondial

Ayant obtenu la licence de fabrication pour l’Europe en 1993, Aériane se vit octroyer en 1994 les droits mondiaux de production et de développement du SWIFT lorsque la Bright Star décida de mettre fin à ses activités après avoir produit une cinquantaine de ces ailes volantes innovantes. Les deux patrons d’Aériane ne chômèrent pas et se consacrèrent avec succès au développement de leurs activités industrielles et, dès 1993, leur carnet de commandes de SWIFT les obligea à organiser une capacité de production d’une quarantaine de machines par an pour 1993 et les années suivantes.

L’atelier où sont moulés les ailes, les winglets et les coques des habitacles. (Photo Paul Van Caesbroeck)

Ce démarrage encourageant s’amplifia encore grâce aux records de distance et d’endurance remportés lors des championnats du monde organisés par la FAI (Fédération Aéronautique Internationale) en 1995. Les records s’enchaînèrent dès lors pour le SWIFT durant les championnats mondiaux organisés tous les deux ans. Récemment encore, durant l’été 2006, le pilote allemand Manfred Ruhmer a porté le record du monde de distance en vol libre en ligne droite à 777 kilomètres à Zapata au Texas.

Le potentiel de vol incomparable du SWIFT était établi de façon éclatante. Vincent Piret et Bernard Bleeckx s’attelèrent cependant à en améliorer constamment les caractéristiques mécaniques, aérodynamiques ou techniques. C’est ainsi qu’ils ont significativement accru et la résistance et la légèreté de la nacelle du SWIFT en tubes d’acier soudés de même que de la structure des ailes. Les performances de vol ont été affinées en lacet induit en inclinant les winglets à 22 degrés et en y ajoutant des gouvernails de direction pouvant également faire office d’aérofreins. De deux axes à ses débuts, l’appareil est devenu un vrai trois axes. Au total, le SWIFT Light monoplace ne pèse que 48 kg à vide (pour une masse maximale de 150 kg) et sa finesse est de 27 à 75 km/h (c’est-à-dire qu’à 1.000 mètres d’altitude, en planant à 75 km/h, il peut parcourir une distance au sol équivalant à 27 km). Ce sont-là de formidables performances pour une aile de vol libre par rapport aux ailes delta souples ou rigides, ces dernières n’offrant, du reste, que peu de confort en comparaison à l’habitacle panoramique du SWIFT enveloppé de perspex avec un carénage profilé à l’arrière.

Cette vue du lancement d’un SWIFT illustre bien ce que veut dire « décollage à pied »… (Aériane)

La dernière modification aérodynamique importante apportée au SWIFT monoplace réside dans le montage de spoilers, véritables destructeurs de portance, positionnés à l’extrados au milieu de chaque demi-aile qui favorisent une descente rapide contrôlée et par conséquent un atterrissage ultra court.

Le SWIFT monoplace peut décoller par treuillage – comme les planeurs classiques – mais aussi « à pied » et sa nacelle a été astucieusement conçue pour ce faire: le pilote harnaché se met à califourchon sur le hamac avec les pieds à terre grâce aux demi-coques ouvertes qui forment le fond de l’habitacle. Pour décoller, le pilote dévale une pente et fait décoller le SWIFT en deux ou trois enjambées face au vent; le pilote rentre alors ses jambes dans le cockpit, pose ses pieds sur les palonniers, referme les deux demi-coques du fond, se cale vers l’arrière et rajuste son harnais pour voler le plus confortablement et le plus longtemps possible. L’atterrissage se fait sur la roue arrière avec freinage par le patin fixé sous le nez de la nacelle. Les pilotes plus aguerris peuvent tenter l’atterrissage à pied qui, comme on peut l’imaginer, est beaucoup plus athlétique…

Les managers d’Aériane ont non seulement amélioré considérablement le SWIFT Light, mais ils ont également développé une version biplace côte-à-côte suite à la demande pressante de certains clients fort désireux de pouvoir disposer d’une machine pour l’école. Quelques quatre ou cinq biplaces furent donc construits au milieu des années 90, dont deux sont en service chez les Sky Eagles qui les font voler à Beauvechain, leur lancement se faisant non pas à pied mais par remorquage derrière un ULM les samedis et par treuillage les dimanches afin de ne pas troubler la tranquillité des riverains de l’aérodrome. Les qualités du SWIFT biplace demeurent impressionnantes, quoique Bernard Bleeckx le compare à une 2 CV tandis que le monoplace lui serait plutôt du genre formule 1!

Malgré tout, le développement majeur à mettre à l’actif d’Aériane en ce qui concerne le SWIFT est la réalisation d’une version motorisée, dite SWIFT PAS, initialement dotée d’un moteur SOLO deux-temps développant 17 CV mais permettant au monoplace de décoller par ses propres moyens: il s’agit donc bien d’une auto motorisation et non d’une propulsion d’appoint. Dès 2007, ce groupe motopropulseur fut remplacé par un moteur offrant un rapport poids/puissance et une consommation nettement plus favorables, en l’occurrence le Bailey 175 quatre-temps de 18 CV avec démarreur électrique; cette firme britannique est réputée pour ses paramoteurs. Les formes très aérodynamiques du SWIFT ont permis le montage harmonieux du carénage abritant le moteur à la pointe arrière du fuselage. L’hélice Arplast tripale se replie en faisceau provoquant un minimum de traînée lorsque le pilote décide de couper le moteur en vol pour s’adonner au vol à voile. Pour offrir la commodité voulue au décollage comme à l’atterrissage, le SWIFT PAS a été muni de deux roues en tandem sous le carénage (la roue avant étant directrice) et de tiplets à roulettes en bouts d’aile.

Tandis que cette photo montre un départ treuillé… (Aériane)

La masse à vide du SWIFT PAS est passée à 95 kg, moteur, plein d’huile et d’essence et parachute de sauvetage de l’appareil compris (par rapport à 48 kg pour la version planeur) pour un poids total au décollage de 191 kg. Le moteur est un formidable atout en termes de lancement autonome et de dépannage en cas d’absence d’ascendances et n’est pas destiné à une utilisation continue, malgré que son réservoir de huit litres permette une autonomie d’environ cinq heures.

Aériane est incontestablement parvenue à maîtriser les techniques de construction de structures à la fois ultra légères et ultra résistantes, comme des « torture tests » l’ont prouvé pour l’aile SWIFT Light qui a résisté à de facteurs de charge de +8,7 G et de -6 G ainsi que celle du SWIFT PAS avec son moteur qui a même atteint +11 G. Ces résultats sont sans équivalent dans le domaine de l’aviation sportive et commerciale.

Cette image-ci représente le départ d’un SWIFT biplace remorqué par un ULM fabriqué en Australie. (Photo Jean-Pierre Decock)


Diversifications dans le savoir-faire

La maîtrise en matière d’ingénierie et de matériaux composites a très logiquement amené les fondateurs d’Aériane à transférer leur savoir-faire technologique à d’autres domaines. Une première prouesse consista en la conception et la fabrication de 400 véhicules électriques pour l’Exposition universelle de Séville en 1992. Cette entreprise a encore affirmé son côté avant-gardiste en réalisant les traîneaux spéciaux pour l’expédition polaire d’Alain Hubert et de Dixie Dansercour. Alain Hubert a encore sollicité le concours d’Aériane pour la fameuse station polaire « Princesse Elisabeth » intégralement écologique dont il était le promoteur et qui fut implantée dans l’Antarctique en février 2009. C’est une réalisation dont la Belgique peut légitimement s’enorgueillir.

Belle étude en vol d’un SWIFT PAS motorisé où l’on peut remarquer l’excellente intégration du moteur et de son silencieux à l’arrière de l’habitacle; à noter également, la forte flèche (20°) de l’aile et les winglets inclinés à 22°, ce qui augmente l’allongement et la portance de l’aile sans en accroître l’envergure. (Aériane)

Le domaine médical est un autre axe de développement d’Aériane qui, en l’occurrence, collabore avec l’IBEA, l’université de Liège et l’université catholique de Louvain dans les domaines de l’ingénierie, de la conception et de la construction mécanique d’appareillages de médecine nucléaire. D’autres travaux de physique fondamentale sont effectués pour et en collaboration avec le CERN en Suisse. Dans un tout autre registre, l’entreprise conçoit et fabrique également des carrousels pour Disney à Marne-la-Vallée.

Le plan de charge d’Aériane illustre tout à fait ces diversifications dans la mesure où, depuis le début des années 2000, la production des ailes volantes SWIFT est passée de 100 à 50% pour actuellement ne plus compter que pour 10%, bien qu’elle demeure une activité essentielle pour la société.

En regardant au-delà de l’horizon…
L’aviation qui était l’activité fondatrice d’Aériane se poursuit avec bonheur en innovant encore et toujours. En 2009-2010, Aériane a testé le moteur électrique Eck produit en Suisse par Flytec et qui est particulièrement bien adapté au SWIFT Light. En effet, ce moteur électrique permet un meilleur aérodynamisme et un meilleur équilibrage de la cellule. Le prototype a été exposé en 2011 au salon AERO de Friedrichshafen, qui est en quelque sorte La Mecque de l’aviation générale et sportive mondiale. Un des thèmes forts de ce récent salon était l’aviation verte et l’utilisation d’énergies alternatives dans l’aviation, ce dont les Allemands en particulier sont très friands.

Vincent Piret montre le faible encombrement du moteur 4 temps Bailey sans réducteur (hélice en prise directe sur l’arbre du moteur) muni de son réservoir de carburant de 8 litres. (Photo Paul Van Caesbroeck)

Sur base des critères de performance, de prix, d’appareils en production (donc ni démonstrateurs, ni prototypes purs), de facilité de pilotage et de démontage ainsi – bien entendu – que d’empreinte écologique, un classement de divers avions légers et ULM présents au salon a été établi dont les trois lauréats, ex-aequo, étaient: le SWIFT à moteur électrique d’Aériane, le motoplaneur Antarès de 22 mètres d’envergure et à moteur électrique de 50 KW ainsi que le Sun Seeker du Français Raynaud, un planeur ultra léger avec cellules photovoltaïques. Cette place sur le podium est, en quelque sorte, une consécration mondiale du savoir-faire technologique d’Aériane qui, d’ailleurs, avait déjà lancé la construction d’une présérie de six SWIFT à moteur électrique (outre le prototype) et qui sont déjà vendus, le premier étant livré fin avril et le second dans le courant de la première semaine de mai 2011.

Parallèlement, Aériane développe actuellement en partenariat avec une société californienne un projet de drone destiné à des missions scientifiques.

Le spoiler en position relevée sur l’extrados de l’aile montre bien sa redoutable efficacité comme destructeur de portance. (Photo Paul Van Caesbroeck)

En un peu plus de vingt ans, Aériane a commencé par construire une trentaine d’ULM Sirocco mais s’est très rapidement affirmée dans le domaine des technologies aéronautiques innovantes en construisant 135 SWIFT (dont 5 biplaces, 7 à moteur électrique et le solde se répartissant à peu près pour moitié entre monoplaces SWIFT Light ou PAS à moteur). Ces compétences en matière de structures résistantes et légères en matériaux composites ont été transférées à d’autres domaines relatifs à la mobilité et au médical. Cette grande PME compte 14 employés à temps plein hautement qualifiés et fournit également du travail à des très nombreux artisans et sous-traitants. Le carnet de commande de la société est rempli à 100% pour 2011 et déjà à 50% pour 2012. Aériane ne connaît pas la crise et son seul défaut – si l’on peut dire – est de pêcher par modestie et de ne pas faire savoir suffisamment à l’extérieur son savoir-faire indéniable en engineering et ses multiples talents.Jean-Pierre Decock

 

Pour plus d’informations: www.aeriane.com

Picture of Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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