Kampenhout, le 11 avril 2013. Nous sommes dans la chambre aménagée par Palmer De Vlieger en tant que mini-musée des Slivers où lui et Steve Nuyts, son alter ego du célèbre duo acrobatique, évoquent comme si c’était hier leurs expériences aux commandes du légendaire Lockheed F-104G Starfighter. Le nom de leur patrouille émane du surnom qu’a donné à l’avion le pilote d’essais de chez Lockheed, Glenn « Snake » Reaves, qui était chargé du développement opérationnel de cet intercepteur pur qu’il qualifiait de « silver sliver », c’est à dire d’écharde d’argent.
Carte postale représentant Steve Nuyts et Palmer De Vlieger posant avec leur combinaison de vol de Sliver près de leurs F-104G Starfighter à leurs débuts en 1969. (VS1-IRP Force Aérienne) |
La présentation des Slivers était fort appréciée des spectateurs des meetings pour son côté « fast and furious » que permettait le F-104G, de plus à proximité de la ligne du public, comme cela se pouvait selon la règlementation en vigueur à l’époque. Mais une démonstration aérienne est toujours à double tranchant, dans la mesure où le contentement du public s’assortit de l’appréciation des nombreux pilotes participant aux fêtes aériennes et ceux-ci ne tarissaient pas d’éloges tant ils étaient étonnés par la maîtrise dont faisaient étalage Steve Nuyts et Palmer De Vlieger aux commandes du Starfighter qu’on appelait aussi le « missile piloté ».
Cette année 2013 marque le 50ème anniversaire de la mise en service du mythique F-104 à la Force Aérienne Belge et, pour le célébrer, Hangar Flying publiera une série d’articles dévolus au F-104, laquelle démarre évidemment avec les Slivers, un duo acrobatique sans équivalent dans les annales de l’aviation du dernier demi-siècle.
Le « grand » Bill Ongena effectuant son audacieux touch-roll-touch en 1966, alors que le F-104G était en service depuis moins de trois ans à la Force Aérienne. (Photo Lockheed) |
Un pilote de grande envergure
Originaire de Dentergem près de Deinze, Palmer De Vlieger a été incorporé dans la 126ème promotion d’élèves pilotes en août 1952. A l’issue de l’école de pilotage élémentaire à Gossoncourt, elle fut la toute première promotion de la Force Aérienne à faire son école de pilotage avancé à Kamina au Congo en 1953 où seuls deux Harvard étaient disponibles et cela perdura jusqu’à la fin de l’année. Cette situation scabreuse n’empêcha pas Palmer De Vlieger de décrocher son brevet et de rejoindre l’OCU (Operational Conversion Unit) où il effectua son premier vol sur biréacteur biplace Meteor MK VII le 6 août 1954. L’un des problèmes les plus sérieux pour un avion bimoteur réside dans la panne d’un moteur au décollage et le vol dissymétrique que cela provoque et qui est générateur d’accidents. Les moniteurs veillaient tellement à prémunir leurs élèves contre ce risque que, comme le souligne Palmer De Vlieger avec un sourire en coin, qu’il y eut plus d’incidents lors d’entraînements au décollage sur un moteur que lors de pannes effectives… Après son passage en OTU (Operational Training Unit), il reçut ses ailes et fut versé à la 8ème escadrille du 7ème wing de Chièvres équipée de Meteor MK VIII en décembre 1954. Il fit son dernier vol sur Meteor fin août 1956 pour passer sur Hawker Hunter MK IV, le nouveau chasseur de la Force Aérienne, le 17 septembre 1956, lequel fut ensuite remplacé par le MK VI.
Palmer De Vlieger ne tarda pas à révéler ses qualités de tireur lors des concours et compétitions de tir et fut même reconnu comme « sharp shooter » (tireur d’élite) lorsqu’il devint le champion du tir air-air en 1958, ce qui lui valut de recevoir le prix Etienne Dufossez. Il se maintint en tête du peloton des fins tireurs de l’OTAN se mesurant annuellement dans le cadre de l’Air Defence Competition de 1958 jusqu’en 1963 en accédant à la 2ème ou la 3ème marche du podium (généralement décrochée par un Belge ou un Hollandais, les Canadiens demeurant les inamovibles premiers). Ses aptitudes au tir aérien furent à la base de sa mutation pour deux mois à Kamina du 20 septembre au 1er décembre 1959 en tant que moniteur de tir sur les Harvard armés des flights d’appui-feu nouvellement créés en vue de l’indépendance du Congo prévue le 30 juin 1960. Revenu en Belgique, il effectua un stage de vol aux instruments sur T-33 à Brustem avant de réintégrer la 8ème escadrille à Chièvres.
Il y vola sur Hunter jusqu’au 10 septembre 1963, car il avait été « pre selected », autrement dit désigné (obligé) pour l’entraînement au pilotage du Lockheed F-104G, le nouvel intercepteur de la Force Aérienne Belge. Il entama donc le cursus défini à l’époque, à savoir une prise en mains de la machine en biplace F-104F de la Luftwaffe sur la base de Nörvenich près de Cologne. Celle-ci comportait six vols, le premier le 3 octobre 1963 et le sixième et dernier (et premier vol solo) le 12 du même mois. Devenu « pilote Mach 2 », Palmer De Vlieger fit mouvement vers le 1er wing à Beauvechain où, versé à la 350ème escadrille, il accomplit son premier vol sur F-104G aux cocardes tricolores le 14 novembre 1963 à bord du FX12, l’un des quatre appareils disponibles à ce moment-là mais les usines tournaient à plein rendement et ces maigres effectifs d’étoffèrent bien vite.
Les F-104G immatriculés FX13 et FX80 des Slivers saisis dans les parages de Beauvechain lors d’un vol d’entraînement en 1972 ou 1973. (Palmer De Vlieger) |
Un pilote de grande carrure
Steve Nuyts, quant à lui, est natif de Pulderbos en Campine Anversoise et rejoignit la 129ème promotion d’élèves pilotes en 1954 pour entamer son entraînement en vol sur DH 82a Tiger Moth à Wevelgem. Sa promotion était la dernière à envoyer des élèves effectuer leur formation au pilotage aux USA. Steve Nuyts échoua au test d’anglais, car issu de l’enseignement technique, ses connaissances de cette langue étaient insuffisantes. Il fut alors versé à la 130ème promotion et débuta les vols sur SV4b à Gossoncourt pour progresser sur Harvard à l’Ecole de Pilotage Avancé de Kamina où il arriva en mars 1955. A l’automne 1955, son cursus de pilote l’amena à l’OCU à Coxyde où il s’entraîna sur Meteor MK VII et VIII.
Photo de presse d’un briefing très « posé » entre Palmer De Vlieger (à gauche) et Steve Nuyts (à droite) en 1970. (Photo Amilpress) |
Un accident avec facture ouverte de la jambe le 1er février 1956 l’empêcha de poursuivre l’entraînement en vol. Le temps de se rétablir, il passa successivement à la 131ème, puis à la 132ème et enfin à la 133ème promotion qui était la toute dernière à voler sur biréacteur Meteor MK VIII. Il fut quand même lâché également sur T-33, à l’instar des élèves destinés aux wings de Kleine-Brogel et de Florennes volant sur F-84F Thunderstreak, alors que lui était destiné au 7ème wing de Chièvres mettant en œuvre le chasseur Hunter MK IV. Après transformation à la 9ème, il fut versé à la 8ème escadrille. La demande pressante de pilotes du 7ème wing pour compléter les effectifs du 1er wing volant sur CF-100 Canuck, avion biplace avec radariste-navigateur perçu davantage comme bombardier que comme chasseur, incita Steve Nuyts à demander sa mutation pour Kamina en tant qu’instructeur sur les nouveaux Fouga CM170.R Magister remplaçant les Harvard à partir de fin 1959. Il revint donc sur la grande base katangaise en mars 1960 au sein du flight de formation des moniteurs.
La mutinerie de la Force Publique Congolaise dès après l’indépendance du Congo prononcée le 30 juin 1960 amena Steve Nuyts à effectuer des reconnaissances armées en Fouga Magister mais également en Harvard.
Le FX72, monture de Steve Nuyts, taxie à Bitburg lors du meeting à l’occasion du Tiger Meet le 28 juin 1974. (Photo Günter Grondstein) |
Revenu en Belgique, il assura le convoyage de Magister sortant d’usine à Toulouse. Il fut investi de la mission de terminer l’instruction des élèves pilotes, qui avaient dû quitter Kamina précipitamment, sur Harvard à Gilze-Rijen aux Pays-Bas pour les néerlandophones, tandis que les francophones faisaient de même, mais à Salon-de-Provence sur Magister.
Une fois la situation revenue à la normale, il poursuivit ses missions de formation à Brustem tandis qu’il présenta et réussit l’examen A et suivre deux ans de cours d’officier. Il devint en 1963 aide de camp du Général du Monceau de Bergendal commandant la Tactical Air Force et fut muté à la chasse, en l’occurrence à la 350ème escadrille du 1er wing de Beauvechain en 1967, devenu pleinement opérationnel depuis peu sur F-104G Starfighter, un appareil bisonique marquant une avancée technologique considérable dans le domaine du vol et du combat aérien.
Alignés, les F-104G FX74 (Palmer De Vlieger) et FX72 (Steve Nuyts) sont prêts à s’élancer de la piste de Bitburg le 28 juin 1974. (Photo Günter Grondstein) |
Les Slivers: peu de prédécesseurs et pas d’émules
Le F-104G Starfighter était un pur-sang rétif et pas facile à dompter, ne pardonnant aucune erreur de pilotage. Ceux qui tentèrent le vol acrobatique en furent vite découragés, à moins de subir des revers plus dramatiques encore. Rappelons seulement que la Luftwaffe allemande fut la première à mettre l’avion en œuvre en Europe et le JaboG 31 de Nörvenich fut la première unité à atteindre le statut opérationnel sur F-104. Pour célébrer l’événement, un peloton acrobatique de quatre F-104F fut constitué et s’entraîna assidûment. Lors de leur ultime répétition, la veille de la cérémonie le 19 juin 1962, un incident inexpliqué survint et les quatre Starfighter allèrent s’écraser au sol à quelques kilomètres au nord de l’aérodrome. Un drame de cette ampleur refroidit toute velléité de candidats, et surtout des états-majors, à tenter des démonstrations aériennes poussant l’appareil aux limites de son domaine de vol.
Cependant, et en vertu de l’adage « Belgae Gallorum Fortissimi » (qui est la devis de la 350ème escadrille), les Belges se devaient de prouver cette fois aussi que, de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. En l’occurrence, le chef de file fut Bill Ongena, un excellent pilote qui avait déjà fait amplement fait ses preuves au sein des Acrobobs et des Diables Rouges sur Hunter dont le leader était le fameux Robert Bobby Bladt. En 1965 et 1966, le show effectué en solo par Bill Ongena comportait une figure extrêmement audacieuse dite « touch-roll-touch », c’est-à-dire se poser, redécoller, tourner un tonneau et se poser à nouveau. Cette figure spectaculaire rendait les Américains admiratifs et la rumeur prétend que plus d’un s’y essaya avec frayeur ou fracas. Bill Ongena fut nommé au cabinet de la défense et cessa par conséquent de présenter ses shows.
C’est un pilote de la 350ème, Sus Jacobs qui prit la suite en 1967 et Steve Nuyts, de la même escadrille, l’accompagna aux meetings aériens en pilotant l’avion de réserve. C’est au meeting de Brustem en 1968 que l’affaire prit un tour nouveau, car Bill Ongena s’y était présenté et entendait faire son solo, malgré que Sus Jacobs en avait également l’intention, d’autant plus qu’il était le pilote de démonstration officiel du F-104 à la Force Aérienne. Il s’entendirent finalement et firent le show ensemble et, même si le décollage simultané et face-à-face était spectaculaire, quoique peu dangereux, il s’agissait d’un double solo davantage que d’un duo, puisque les évolutions aériennes n’étaient pas synchronisées. Cette expérience servit toutefois de déclic et Sus Jacobs proposa à Steve Nuyts de réaliser une présentation à deux avions.
Avec l’accord du chef de corps du 1er wing, ils commencèrent l’entraînement dès la fin de l’été 1968 sur l’aérodrome OTAN de dégagement à Bertrix. Mais le sort fut funeste à Sus Jacobs lors d’un entraînement à Beauvechain le 3 septembre 1968 en vue de faire son numéro devant les caméras filmant un épisode de la série « Les chevaliers du ciel ». Sus Jacobs effectua son tonneau puis l’avion s’est cabré sans toucher le béton, il remit les gaz et l’avion fit un « push up » (cabré sec), le F-104 avait une fâcheuse tendance à se comporter de la sorte. Voyant qu’il ne pourrait s’en sortir, le pilote prépara son éjection mais, malheureusement, l’appareil bascula en éjectant le pilote latéralement, l’envoyant percuter le sol, tandis que l’avion désemparé allait s’écraser sur le parking de la 349ème escadrille.
Il en résulta que l’état-major de la Force Aérienne stoppa net toute demande ou projet de démonstration du F-104…
L’émergence des Slivers
Mais le patron du 1er wing et ancien Diable Rouge, Paul Dewulf, avait de la suite dans les idées et entendait que des pilotes de sa base brillent lors des fêtes aériennes en Belgique comme à l’étranger. Il parvint à convaincre l’état-major qui finit, assez rapidement, par acquiescer à une démonstration en solo mais en y mettant toute une série de restrictions au nom de la sécurité. Steve Nuyts l’informa de son désintérêt vis-à-vis d’une telle possibilité mais proposa de monter un duo qui permettrait de concevoir un spectacle intéressant tout en respectant les interdits et limitations imposés.
A Yeovilton, dans le sud ouest de l’Angleterre le 21 septembre 1974, le pilote du FX20 porte le casque décoré typique des Slivers. (Photo Mike Freer) |
L’idée des Slivers germait et l’état-major fut d’accord, pour autant que chacune des escadrilles (349 et 350) du 1er wing fournisse un pilote. Steve Nuyts en tant que leader appartenait à la 350 et le représentant de la 349 désigné était un jeune pilote plein d’allant, le Capitaine Pierre Rassart, mais celui-ci était en passe de quitter la Force Aérienne pour entamer une carrière de pilote de ligne. Steve Nuyts tenta alors de convaincre Palmer De Vlieger, pilote à la 350 et ancien de la 8ème comme lui. Bien que réticent au début, celui-ci finit par céder: les Slivers étaient nés. L’entraînement intensif démarra fin 1968 et les Slivers furent parés pour leur première présentation lors du meeting de Brustem le 14 mai 1969. Quelques mois plus tard, l’Adjudant Raymond Delestinne devint le mécano attitré des Slivers, une solide équipe était au complet.
Le programme de la présentation des Slivers consistait essentiellement en « percussions-évitements » à grande vitesse et à basse altitude après un décollage aile dans aile suivi d’une séparation afin d’effectuer les manœuvres ultérieures en face-à-face. Ils se croisaient en effectuant un tonneau aux ailerons, enchaînant éventuellement sur un rétablissement (immelmann) avec ou sans virage serré (steep turn), soit sur le ventre, soit en vol inversé, généralement train rentré mais aussi sorti. Ils évoluaient à des vitesses s’échelonnant entre 740 km/h pour les croisements à 590 km/h en virage, soit des vitesses de convergence se situant entre 1.200 et 1.500 km/h.
Lors de l’European Tour du prototype du General Dynamics F-16 piloté par Neil Anderson, ce dernier s’est fait encadrer par les Slivers en juin1975. (Photo Force Aérienne/42ème escadrille) |
Le F-104G est un avion fantastique lorsqu’il vole à 1,4 Mach (soit près d’une fois et demi la vitesse du son), en dessous et au-delà de cette vitesse, il faut être attentif à son pilotage, a fortiori que le Starfighter a une tendance à cabrer le nez (le fameux pitch up). Cette attitude de vol problématique était tellement patente que l’appareils était équipé d’un système « auto pitch control » composé d’un « shaker » qui faisait trembler le manche à balai et qui était très vite suivi de l’action du dispositif « kicker » qui poussait le manche résolument vers l’avant pour empêcher le pitch up. Les Slivers étaient entraînés au point qu’ils percevaient une fraction de seconde à l’avance le déclenchement imminent du « shaker » et gardaient ainsi le contrôle des commandes du zinc lors des phases de vol extrêmes.
Palpitations et pincements de cœur
Comme on peut s’en douter, les sept ans d’activité des Slivers furent émaillés de nombreuses péripéties parfois amusantes, parfois problématiques, mais, et fort heureusement, jamais dramatiques malgré qu’ils volaient leurs F-104 aux limites et, comme ils le disent, le croisement était toujours une manœuvre un peu « hairy » (à faire dresser les cheveux sur la tête).
Fin août 1970, soit lors de leur deuxième saison, ils faisaient une démonstration lors du meeting aérien de Wevelgem. Comme d’habitude, ils se signalaient mutuellement et continuellement leur position par rapport à la piste, par exemple « concrete left » ou « grass left », soit respectivement côté gauche béton ou côté gauche gazon de la piste en dur. C’était un de ces jours brumeux de la fin de l’été caractérisé par une très mauvaise visibilité horizontale, particulièrement face au soleil, et lors d’un croisement, les deux Starfighter se sont trouvés nez à nez, mais l’entraînement intensif et l’entente entre les deux pilotes furent salutaires car, comme convenu lors d’une telle éventualité, Steve Nuyts devait dégager vers le bas, tandis que Palmer De Vlieger en faisait autant par le haut.
Le FX72 devant la tour de contrôle de Tours à l’occasion du meeting qui s’y est tenu le 1er juin 1975. (Photo Jacques Barbé) |
Une présentation centrée sur un aérodrome herbeux, nettement plus exigu, était une autre paire de manches, comme ils le découvrirent lors du meeting de Diest-Schaffen le 17 mai 1970. Ne disposant pas du repère essentiel qu’était la piste en béton qui leur permettait de voler en suivant des trajectoires parallèles, ils se sont retrouvés sur des lignes de vol s’entrecoupant et donc avec un fort risque d’entrer en collision. Vu le danger d’une telle situation, Palmer De Vlieger rompit la formation et s’éloigna de Schaffen, tandis que Steve Nuyts poursuivait le spectacle en solo. Quand de tels aérodromes se présentèrent dans la suite, ils firent jalonner un tronçon de 7.000 pieds (2.000 mètres environ) par des drapeaux blancs afin de disposer de repères sur la distance nécessaire à leur démonstration.
Photo de presse des deux Slivers début des années 70 ; à gauche Palmer De Vlieger et à droite Steve Nuyts. (Photo VS1-IRP/Force Aérienne) |
La zone terminale de Beauvechain se trouve dans les approches des pistes de Zaventem et, lors d’un vol d’entraînement et arrivant au sommet d’un croisement à deux cents nœuds (près de 400 km/h), un Boeing 737 de la SABENA en descente sur Bruxelles-National passa transversalement devant le nez des Starfighter des Slivers, ne s’étant visiblement rendu compte de rien.
Lors d’un meeting en Angleterre, Palmer De Vlieger a failli passer le mur du son à quatre mètres au-dessus du sol et l’a vraisemblablement fait, son Machmètre étant calé sur Mach 1 (environ 1.100 km/h), tandis que Steve Nuyts fonçait vers lui dans l’autre sens à 350 nœuds (pratiquement 500 km/h).
A Pratica di Mare en Italie, la piste parallèle servant de parking opérationnel pour les participants au meeting, se trouvait environ un mètre plus haut que la piste principale qui était l’axe pour la démonstration des Slivers qui y firent un passage bas à haute vitesse, même très haute, car à Mach 0,95, soit pratiquement 1.100 km/h.
Les deux mêmes, toujours animés du « fighter spirit » dans la pièce où sont regroupés le souvenirs des Slivers chez Palmer De Vlieger (à droite) avec Steve Nuyts (à gauche) en avril 2013. |
Steve Nuyts eut à subir une mésaventure qui sortait vraiment de l’ordinaire alors qu’il testait un F-104G avant un entraînement, tâche qu’il accomplissait systématiquement car c’est lui qui effectuait les vols sur le dos et certains F-104G avaient une tendance anormale au « pitch up » devenant « pitch down » (piqué) en vol inversé. Il décolla, mit l’avion sur le dos et puis sur le ventre et toutes les alarmes se mirent à retentir dans l’habitacle alors que l’huile s’était répandue sur la piste. Il rejoignit le vent arrière du circuit à 2.000 pieds (600 mètres), vira vers la piste et mit la post-combustion à fond, mais les volets mobiles de la tuyère d’éjection (nozzles) s’étaient ouverts faute d’huile et la poussée était devenue marginale. L’avion chutait et Palmer De Vlieger, qui l’observait en vol, l’appela là la radio le conjurant de s’éjecter, vu la mauvaise posture dans laquelle se trouvait le F-104. Cependant, arrivé à 200 nœuds (370 km/h) au badin, la post-combustion se déclencha inopinément. Steve Nuyts avait à nouveau le contrôle de l’appareil dont la jauge d’huile affichait carrément zéro, il vira pour atterrir sur la piste à contresens mais, lors du virage, la poussée chuta brutalement à nouveau. Lorsque l’avion atteignit le palier des 200 nœuds, rebelote, la post-combustion se réenclencha et le pilote décida de grimper jusqu’à 10.000 pieds (3.000 mètres) avec l’intention d’effectuer un atterrissage d’urgence, lequel réussit. Le problème émanait du « pendulum » (pendule) qui équipait le Starfighter et régulait la distribution d’huile dans le moteur; lors du passage sur le dos, ce dispositif s’était bloqué, libérant l’huile sur la piste, et se débloqua ensuite comme par enchantement. Depuis lors, ce pendule défectueux et en quelque sorte devenu un objet fétiche pour Steve Nuyts.
Décalcomanie de l’emblème officiel des Slivers que la Force Aérienne offrait au début des années 70. |
Steve Nuyts a quitté la Force Aérienne en 1991 au grade de Colonel et totalise plus ou moins 4.000 heures de vol, tandis que Palmer De Vlieger a pris sa retraite en décembre 1978 en tant qu’Adjudant-chef avec quelques 5.400 heures au compteur, dont 3.000 heures rien que sur Starfighter: il est, de ce fait, le pilote belge détenant le record des heures de vol sur F-104G. Leur ultime show face au public se déroula le 21 juin 1975 à Florennes et leur présentation d’adieu eut lieu le 11 juillet 1975 à Beauvechain. Leur score atteignait alors 73 démonstrations effectuées sur 21 Starfighter différents au cours desquelles ils firent frémir des foules de spectateurs. Les fanatiques d’aviation (d’un certain âge à présent!) se souviendront encore longtemps de leurs évolutions à couper le souffle, tellement ils volaient bas et près du public qui suivait leurs stunts les yeux éblouis, les tympans remplis de décibels mais aussi du miaulement plaintif du réacteur General Electric J79 quand le nozzle (volets mobiles de la tuyère d’éjection) se mouvait. Ajoutons-y l’odeur du kérosène tiède dans les narines et les vibrations dans la cage thoracique et l’on comprendra pourquoi les Slivers ont laissé une telle empreinte dans la mémoire de leurs spectateurs. Une époque formidable sous les applaudissements du public, mais l’éloge suprême fait à Palmer De Vlieger et à Steve Nuyts émane incontestablement de Bill Ongena, un pilote virtuose qui se savait tel et ne se privait pas de le rappeler, lorsqu’il écrivit dans le livre d’or de la 350ème escadrille: « I thought I was the best, then came the Slivers! ».
Jean-Pierre Decock
Rectificatif à caractère définitif.
La parution de l’article qui précède a suscité une (mini) polémique quant au détenteur belge du record en matière d’heures de vol aux commandes du F-104G. Nous avions attribué ce titre à Palmer De Vlieger, car ayant comptabilisé plus de 3.000 heures aux commandes de l’engin. Cependant, et grâce à l’intervention du Général-major Aviateur e.r. Wif De Brouwer, fondateur de l’association « Silver Spurs » regroupant les anciens pilotes de Starfighter fondée début 2013 ainsi que président des Vieilles Tiges de l’Aviation Belge depuis mars 2013, le palmarès suivant a pu être formalisé:
1. Adjudant-chef Aviateur John Lemmens 3.007,5 heures
2. Adjudant-chef Aviateur Palmer De Vlieger 2.980 heures
3. Commandant Aviateur Fernand Dasseville 2.750 heures
Palmer De Vlieger n’est pas le recordman mais un solide challenger de celui-ci avec un écart de seulement 27 heures.
Tant qu’à jongler avec les chiffres, il s’avère que ces trois pilotes ont, ensemble, effectué 8.737 heures de vol en F-104G, soit pratiquement 365 jours (ou une année entière !) de vol non stop comme jockeys de Starfighter: chapeau, Messieurs!