Beauvechain, le 25 juin 2014. C’est le grand jour de la vie des onze nouveaux promus qui reçoivent les ailes attestant de leur qualité de pilotes au terme d’un parcours exigeant et extrêmement sélectif. C’est en présence de leurs proches ainsi que du Vice-premier ministre et Ministre de la défense Pieter De Crem, du Lieutenant-général Aviateur Claude Van de Voorde, Commandant de la Composante Air et de nombreuses personnalités que s’est tenue la cérémonie de remise des ailes.
Des promus avec un cursus remarquable
Tous les nouveaux pilotes ont subi leur formation à l’Ecole Royale Militaire et au Centre de Compétence Air de Beauvechain, mais deux d’entre eux sont polytechniciens et quatre autres ont accompli leur cursus au sein des promotions 146 et 147 SSMW (Sciences Sociales et Militaires Wetenschappen), tandis que cinq font partie du cadre des pilotes auxiliaires. Le Lieutenant Aviateur B. G. de Virton et le Sous-lieutenant Aviateur Martijn Bijnens d’Overpelt ont parachevé leur entraînement avancé au sein de la United States Air Force à Sheppard Air Force Base près de Wichita Falls et tous deux se destinent à la chasse. Il y a cinq autres postulants pour cette prestigieuse spécialité: les Lieutenants Aviateurs Laurent Wuillaume de Cazaux, Pieter Mingels de Riemst et Corentin Peeterbroeck de Jumet ainsi que les Adjudants Aviateurs Maxime Megido de Saint-Georges et Alec Vandenborne de Hoboken. Deux des promus sont destinés au transport, à savoir le Lieutenant Aviateur Gilles Loos de Bivange, qui est le troisième pilote luxembourgeois formé pour le transport selon la filière franco-belge et l’Adjudant Aviateur Paul Tihon de Cognelée. Les nouveaux effectifs comportent enfin trois pilotes de voilures tournantes, c’est-à-dire le Lieutenant Aviateur Jo Jacobs de Bilzen et l’Adjudant Aviateur Arnaud Flore de Thuillies. Le troisième pilote d’hélicoptère est le Lieutenant Aviateur Valérian Tchang d’Ixelles, le fils de notre vieil ami William Tchang, pilote et instructeur sur montgolfières depuis les années 80 et de Caroline Kneper qui fut organisatrice et participante des Montgolfiades de l’Université Libre de Bruxelles, également dans les années 80: une belle lignée d’aviateurs !
Illustration en raccourci de la « filière chasse »: l’élève pilote commence sa formation sur SIAI-Marchetti SF260, la poursuit sur Alphajet et la termine sur F-16BM biplace et F-16AM monoplace. |
Comme depuis plus de dix ans de l’existence de la filière franco-belge, les jeunes pilotes ont, après leur formation de base sur SIAI-Marchetti SF260 à la 5ème Escadrille de Beauvechain, rejoint les écoles de spécialisation de l’Armée de l’Air à Torus et ensuite à Cazaux pour les futurs pilotes de chasse ou à Avord sur Embraer Xingu pour les pilotes de transport; ils se sont vus décerner en conséquence le macaron de pilote français. Les pilotes d’hélicoptère, après leur formation de base au pilotage sur SF260 ont, quant à eux, effectué leur entraînement à l’école de l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre) à Dax dans le sud-ouest de la France sur Eurocopter EC 120 Colibri. Ils atteindront leur niveau opérationnel après avoir accompli avec succès leur conversion opérationnelle respectivement au sein des 10ème et 15ème Wings pour la chasse et le transport ainsi que du Wing Heli pour les voilures tournantes.
Quelques neuf autres spécialistes de la Force Aérienne se voyaient décerner le brevet sanctionnant leurs aptitudes professionnelles lors de la cérémonie, parmi lesquels deux mission commanders sur drones (Unmanned Aerial Vehicles) B-Hunter de la 80ème Escadrille UAV basée à Florennes.
Un pilote héroïque comme parrain de promotion
Cette promotion de pilotes de la Composante Air s’était choisie un parrain prestigieux et héroïque en la personne du Lieutenant Aviateur Baudouin Carpentier de Changy. Il reçut ses ailes à Coxyde le 3 juin 1955 et fut versé à la 7ème Escadrille du 7ème Wing de chasse de Chièvres où il vola sur Gloster Meteor MK VIII avant de passer sur Hawker Hunter MK IV à la mi-1956. Promu lieutenant, il fut volontaire pour un flight d’appui-feu constitué sur North American T-6/Harvard activés à Kamina (alors au Congo Belge en voie d’indépendance) où il débarqua en mai 1960. La colonie accéda à l’indépendance le 30 juin 1960 et rapidement la Force Publique Congolaise se mutina contre ses officiers et se livra à des exactions sur les Belges en de nombreux endroits du pays. Aussitôt des renforts furent acheminés depuis la métropole et les forces armées présentes furent mises à contribution pour protéger nos compatriotes et favoriser leur rapatriement.
Le jeune Lieutenant Aviateur Baudouin Carpentier de Changy dans le cockpit d’un Hawker Hunter MKIV de la 7ème Escadrille du 7ème Wing de chasse à Chièvres en 1956. (Archives Jean-Pierre Decock) |
Le Bas-Congo était la région où la rébellion était la plus virulente et aussi la mieux armée, c’est pourquoi deux escadrilles de Harvard armés furent dépêchées sur la base de Kitona afin d’intervenir si nécessaire. Le Lieutenant Baudouin de Changy en faisait partie et c’est lors d’une mission offensive près de Matadi, le 11 juillet 1960, que l’un de ses ailiers, le Sergent Ghislain Depijpere, fut abattu et dut effectuer un atterrissage forcé à proximité de la piste de l’aérodrome tenu par les mutins. Voyant son camarade s’éloigner de son avion et tentant de rejoindre la piste, Baudouin de Changy décida, au péril de sa vie, d’atterrir pour le tirer des griffes des rebelles et parvint in extremis à l’embarquer au poste arrière de son Harvard immatriculé H210.
Le Lieutenant Baudouin Carpentier de Changy à bord d’un Harvard armé au Congo en 1960. (Archives Wilfried De Brouwer) |
C’est à bord de ce même appareil qu’il escorta le 17 juillet un hélicoptère Alouette II piloté par le Commandant Emmanuel Kervyn de Meerendré accompagné de l’administrateur territorial André Ryckmans. L’appareil se portait au secours d’un groupe de ressortissants belges à proximité de la ville de Lukala. Baudouin de Changy reçut l’ordre de se ternir à distance de l’hélicoptère pour éviter d’exciter les mutins. En attendant, il décida d’effectuer une reconnaissance sur les ponts de la rivière Inkisi que les convois de secours devaient nécessairement emprunter pour évacuer les Belges menacés. Ces ponts étaient fortement défendus par des mitrailleuses lourdes et des canons de DCA de 20 mm servis par des militaires congolais particulièrement bien entraînés. Baudouin Carpentier de Changy fut touché par la DCA lors de son second passage et se vit contraint à l’atterrissage qu’il réussit. Il fut lâchement abattu alors qu’il s’extrayait de l’habitacle de son Harvard, une fin tragique pour un jeune aviateur plein d’allant et qui n’avait pas même trente ans (voir aussi l’article « Baudouin de Changy et le H210: l’épopée » paru sur ce même site en juin 2011).
C’est pour commémorer ce jeune héros que Danny Cabooter, Président du Stampe Center et Museum de Deurne, a fait repeindre en 2011 le Harvard qu’il possède en copropriété avec Bernard Van Milders aux marques de celui avec lequel Baudouin Carpentier de Changy disparut tragiquement au Congo le 17 juillet 1960. C’est de grand cœur qu’il vint survoler à basse altitude le tarmac le jour de la remise des ailes et se posa à Beauvechain pour faire admirer ce biplace mythique, témoin d’une autre époque. Le frère de Baudouin Carpentier de Changy ainsi que son épouse, son fils et son petit-fils de même que son cousin étaient également venus à Beauvechain pour honorer la mémoire de leur glorieux parent.
Après son « fly past », Danny Cabooter amène le North American Harvard sur le tarmac de Beauvechain. |
Une belle cérémonie de remise d’ailes à de jeunes pilotes – comme elles le sont d’ailleurs toutes – mais avec une touche émouvante de nostalgie: c’est en effet la première fois, depuis 55 ans, qu’une promotion de jeunes pilotes pose pour la photo souvenir devant un Harvard aux cocardes belges.
Texte et photos: Jean-Pierre Decock