Temploux, 8 septembre 2018. Ce matin J’ai rendez-vous avec « Lady Bush Pilot ». En février 2017, j’avais observé à Temploux un superbe Piper Cub arborant cette inscription, de quoi susciter ma curiosité. L’internet, son site et son blog ont fait le reste et je découvre Valérie Dereymaeker, une énergique pilote blonde, le début de la cinquantaine épanouie, qui ne se contente pas de faire des tours d’aérodrome avec son magnifique avion mais qui va au bout de ses rêves. Elle est revenue il y a quelques semaines de la première partie d’un tour d’Afrique et elle y retourne bientôt! Avec passion, elle m’embarque dans son trip, les yeux pleins d’étoiles…
Lady Bush
L’esprit aventurier, le caractère entreprenant amènent Valérie à l’aviation. Bien que psychologue de formation, c’est dans l’immobilier qu’elle s’est investie pendant plus de vingt années. Férue de voyages, elle cherche un nouveau défi et une façon de voyager autrement. Des cousins pilotes lui font découvrir le monde de l’aviation et elle commence en 2012, sur le tard, une formation de pilote privé auprès de Brussels Aviation School (BAS) à Charleroi. Au cours de sa formation PPL, elle a l’occasion de participer à plusieurs longs vols de navigation en PA 28 qui l’emmènent du cercle polaire au Maroc. C’est le déclic et elle enchaine alors de nombreux voyages aux quatre coins de l’Europe, d’Ouest en Est du Nord au Sud jusqu’en Afrique de l’Ouest au Sénégal et Mauritanie sans compter des vols en Uganda et Australie. Elle accumule les heures et expériences. En juillet 2015 elle décide d’aller en Alaska découvrir le vol à l’état pur sans contraintes en pleine nature et en profite pour passer sa qualification hydravion. Elle revient d’Alaska en août avec le surnom « Lady Bush Pilot » que lui a donné son instructeur.
Du 04-012 au N45458
Dès son retour elle décide d’acquérir un Piper Cub, un « tail dragger » (traine-queue chez nos amis français) passe-partout, qui lui permettra d’assouvir sa nouvelle passion. Le choix se porte sur un Piper PA-18 Super Cub de 150 CV immatriculé N45458 trouvé d’occasion en Allemagne. C’est un ancien appareil de la Force Aérienne Israélienne (IDF) entré en service en juin 1967 avec l’immatriculation militaire 04-012 (04 étant l’identification des Piper Cub de l’IDF), ayant servi à l’Académie de l’Air sur la base de Hatzerim près de Beer-Sheva. Il était utilisé par les cadets les trois premiers mois de leur formation de pilote et nous pouvons imaginer qu’il en a vu beaucoup de 1967 à mi- 2003 ou il fut retiré de service. Vendu aux surplus en février 2004, il est acheté par une société américaine, se retrouve aux USA. On le retrouve stocké en Angleterre un temps et il revole finalement en Allemagne à Baden-Baden ou Valérie l’acquiert le 1er novembre. La météo est très défavorable et Il lui faut attendre de longues semaines avant de pouvoir le ramener en Belgique début 2016. Au cours des mois suivants s’enchainent alors des voyages en Europe, des « fly in’s », des rallyes et autres évènements aériens auxquels notre dynamique pilote participe ou que parfois elle organise.
Le Super Cub N45458 de Valérie dans ses couleurs militaires israéliennes (012) à l’Académie de l’Air Hatzerim en fin de carrière. (Photo Martin Entwitsle via Avi Myasnikov / SkyHigh) |
Tryptic Trip
Dans l’attente de prendre livraison de son avion, Valérie s’est rendue en Israël pour de nobles raisons familiales: sa grand-mère paternelle été élevée au titre de « Juste parmi les Nations » auprès de Yad Vashem. Elle a l’occasion de visiter le musée de l’aviation à Hatzerim et elle y découvre une carte relatant le parcours de deux aviateurs français, Jules Védrine et Marc Bonnier, ayant relié Paris au Caire en passant par Jérusalem en 1913. Refaire le même chemin avec son Piper la travaille surtout lorsqu’elle découvre le passé du N45458 en compulsant les log books.
La route du Levant parcourue par les des aviateurs – pionniers français Jules Védrine et Marc Bonnier en 1913-14. |
Mais un nouveau projet d’envergure murit dans la tête de notre aventurière qui aime les choses hors du commun: prolonger son trip jusqu’en Afrique du Sud. Un tel projet demande du temps et des moyens, de la méthode et un sens évident de l’organisation. Elle a programmé son voyage en trois « grands coups » d’aile ou FLAP:
Flap 1: Temploux -Le Caire -départ en septembre 2017
Flap 2: Le Caire -Ouganda prévu en février 2018
Flap 3: Ouganda -Afrique du sud en juin 2018
Les semaines de préparation se suivent et en septembre 2017 tout est prêt pour le grand départ. Elle s’est aussi constitué un team « support » au sol, pilotes expérimentés et techniciens qui pourront lui apporter aide et conseils le cas échéant.
Flap 1, la route vers le levant
Le 7 septembre 2017 Valérie entame le Flap 1 de son voyage et décolle de Temploux pour rejoindre Le Caire en suivant par étapes la route des premiers vols vers le Levant en survolant l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Serbie et la Bulgarie. Elle atteint Hezarfen près d’Istanbul le 16 septembre. Son arrivée en Turquie avec un avion immatriculé américain suscitera une certaine suspicion des autorités. Les tracasseries administratives, la mauvaise volonté du contrôle aérien avec l’exigence d’un « permis de voler » et des plans de vols refusés ne lui seront pas épargnés. Partout où elle passe, elle se fait des amis et ses problèmes suscitent l’intérêt de pilotes turcs rencontrés qui viendront à son aide pour les résoudre. Des ratés de moteurs intermittents rencontrés en route depuis la Serbie l’incitent aussi à la prudence et elle décide d’interrompre le voyage à ce stade, le temps de résoudre les ennuis du moteur.
Des allers-retours vers Bruxelles, des péripéties trop nombreuses pour être relatées ici (mais que vous trouverez sur le blog de Valérie) font que la suite du voyage n’aura lieu que le 5 décembre vers Rhodes et Chypre en compagnie de son ami Aharon ancien pilote militaire israélien très expérimenté. Tout se passe bien au-dessus de la Méditerranée mais à Chypre de nouveaux ennuis moteur font leur apparition. Des mécanos cypriotes très compétents analysent et découvrent que le cylindre 3 est défectueux et doit être remplacé. Pour avoir tous ses apaisements vu le long trip qui l’attend vers l’Afrique, Valérie fait remplacer les quatre cylindres et porter ainsi la puissance de son moteur à 160 CV, ce qui pourra toujours être utile si elle doit monter haut. C’est donc avec retard que le dernier vol du Flap 1 a lieu vers Israël qu’elle atteindra enfin le 10 janvier 2018, « au terme d’une longue quête tel un chemin initiatique » pour reprendre les paroles de notre aviatrice. Il aura fallu 4 mois, passer par moult aventures, incidents et imprévus pour faire ce Flap 1! Ravie d’avoir atterri en Israël, lorsqu’elle repense aux événements passés, notre pilote peut être assez fière de ne pas avoir abandonné!
A ce stade du voyage, elle décide de changer les plans de Flap 2 et renonce à aller au Caire et au Soudan car les contraintes (e.a. des étapes imposées hors autonomie du Cub, taxes exorbitantes, carburant hors prix etc. …), sont dissuasives. Le but du voyage n’est pas de se mettre un « éléphant sur le dos » mais d’en profiter au maximum!
Flap 3, la route africaine de l’Est
Valérie compte débuter le Flap 3 début juin depuis le Kenya vers l’Afrique du Sud. Elle est revenue en Israël pour d’abord survoler les paysages bibliques qui la fascinent. Elle revole avec Aharon qui a volé sur son Cub quand il était cadet dans la Force Aérienne Israélienne. Le Piper est démonté à Teyman près de Beer-Sheva avec l’aide de ses amis israéliens et envoyé par container de Ashdod à Mombassa par la mer pour la troisième partie de son Tryptic trip. Les routes choisies seront fonction de ses centres d’intérêts touristiques ainsi que de l’attrait de « bush airstrips » terrains d’aviation sommaires, de l’autonomie de son Cub. Il faudra aussi compter sur la disponibilité en carburant, qu’il faut parfois faire livrer sur place, bref, toute une expédition…
Tout ne démarre pas comme souhaité: expédié le 14 mars 2018 le container a du retard et à l’arrivée, la ville de Mombasa, une des grandes villes musulmanes du Kenya, est au repos, ramadan oblige. L’attente dure plus de 13 jours mais le remontage se fait facilement tant le démontage a été réalisé dans les règles de l’art et le « release to service » du représentant local de la FAA à Nairobi (Federal Aviation Administration US) ne pose pas de soucis et est rapidement délivré. Pour tuer le temps, jamais inactive, Valérie aide les agents de la société en charge du remontage de son avion qui assure la logistique des escales de la compagnie allemande Condor.
Le 14 juin grand départ vers l’île de Zanzibar en Tanzanie, retardé jusqu’au milieu de l’après- midi faute de permis de voler des autorités kenyanes, suivi deux jours plus tard avec le retour sur le continent.
A partir de là tout s’enchaine avec des vols splendides vers la Tanzanie via Arusha et des vues superbes sur le Lac Mwanyara et le cratère du Ngorongoro. Suit ensuite le Malawi, pays accueillant, pour atteindre ensuite la Zambie avec de multiples escales plus pittoresques les unes que les autres, faites de rencontres précieuses pour la suite du voyage et des vols superbes souvent seule en l’air, quelques fois stressants même si les pépins moteurs semble être loins. Le 26 juin, arrivée à Lusaka capitale de la Zambie, ville qui la ramène à la modernité après des nuits passées dans des lieux isolés en brousse.
Le voyage continue vers le Botswana à Kasane d’où elle fait un crochet aérien au Zimbabwe afin d’admirer les chutes Victoria. Mais le plus beau reste à venir avec un séjour dans le delta de l’Okavango au Mopiri Lodge, immersion complète au cœur de la vie sauvage, sans électricité, sans accès internet, sans mail, sans téléphone, sans réseau… qui lui procure un sentiment de liberté total.
Le 1er juillet départ pour Maun, d’où partent des vols « touristiques » vers le delta, au traffic aérien déjà beaucoup plus dense, une escale qui lui laisse un mauvais souvenir. Arrivée plus sympathique à Francistown mais elle y reste bloquée une semaine à la suite du mauvais temps. Le 12 juillet enfin le Piper atterrit à Springs en Afrique du Sud après être passé par Gaborone, la capitale du Botswana. L’arrivée à Springs demande une attention particulière vu le traffic intense et la hâte d’arriver qui peut réserver des surprises dues au relâchement de la concentration mais tout se passe bien. Valérie y retrouve des amis prévenus par ses contacts de voyage qui l’accueillent et offrent un abri à son PA-18. Il y est toujours en attendant la suite du voyage. Mais plutôt que de renvoyer son avion par bateau en Belgique, Valérie a décidé de revenir en vol.
Tu traverses l’Afrique avec ce jouet?
Tout cela peut sembler facile quand on le raconte ou à la lecture mais ce genre de périple réserve toujours de nombreuses surprises à fortiori pour un tout petit avion volant en solo souvent bas avec une autonomie limitée. Une navigation pas forcément facile avec des cartes rudimentaires ou inexistantes, des prévisions météos peu fiables, des problèmes logistiques ou administratifs imprévus à régler « on spot », la fatigue due aux préparations et le stress de certains vols sont autant de facteurs dont il faut tenir compte. Le GPS et le logiciel Sky Daemon qu’utilise notre aviatrice seront de précieux alliés notamment pour donner les élévations dans les zones de collines. N’oublions pas que son but est de trouver des petits « bush » aérodromes! Le fait d’être une femme peut aussi se révéler un obstacle et pour donner plus de contenance des amis lui recommandent d’avoir un semblant d’uniforme avec épaulettes comme un pilote de ligne. Valérie a pu bénéficier de la fraternité du monde de l’aviation et de personnes rencontrées charmées par son caractère pétillant et impressionnées par son esprit aventurier. « Tu traverses l’Afrique avec ce jouet? » lui demandera-t-on à Zanzibar. Cela résume tout!
A quelques semaines de son départ vers l’Afrique du Sud prévu mi-octobre, Valérie prépare activement son retour en Belgique par l’Ouest de l’Afrique en deux coups d’aile Flap 4 et 5. S’il est déjà acquis qu’elle se posera au nord de la Namibie où elle a des contacts grâce à une rencontre au Malawi, toute la logistique n’est pas encore prête pour continuer principalement à cause de problèmes d’approvisionnement en carburant. Si tout se passe bien, en décembre elle survolera l’Angola pour gagner le Congo-Brazzaville (en ou une fois de plus grâce à l’entraide, du carburant devrait lui être déposé par une ONG) mais les choses sont plus compliquées par après car rejoindre le Sénégal en remontant vers le Nord implique de passer par le Gabon, le Cameroun, et autres pays pas forcément hospitaliers mais où elle espère trouver des gens de confiance. A partir de Dakar tout devrait aller plus facilement, la route étant connue. Le retour en Belgique est attendu au début 2019.
Si vous voulez en connaitre plus sur Lady Bush Pilot et suivre son périple et admirer ses superbes photos de paysages et faune africaine (car en plus d’être bonne pilote, c’est aussi une excellente photographe) n’hésitez pas à consulter son site et son blog sur www.ladybushpilot.com.
Nous te souhaitons bons vols Valérie and « fly safely ». A te revoir au printemps.
Robert Verhegghen
Photos et remerciements: V. Dereymaeker, Martin Entwitsle, Avi Myasnikov (SkyHigh)