Namur, le 12 décembre. Skywin, le cluster aérospatial wallon, organise à l’aérodrome de Namur un workshop consacré aux drones High Altitude Pseudo Satellite (HAPS) qui partentà la conquête de la stratosphère.
Etienne Pourbaix, membre du comité de direction de Skywin (www.skywin.be), cite une étude de la Commission européenne qui estime que le secteur des drones représentera en 2050 environ 150.000 emplois et générera un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros. En Belgique, il y a actuellement environ 300 entreprises actives dans ce secteur, dont une centaine en Wallonie. Il s’agit souvent de PME, pionnières dans un domaine nouveau. Au niveau règlementaire, le Fédéral a sorti en 2016 un arrêté royal règlementant ce nouveau secteur d’activités. Et l’EASA travaille actuellement à une harmonisation des différentes approches règlementaires européennes. Skywin regroupe près de 150 entités impliquées dans le secteur aéronautique et spatial et a intégré depuis maintenant 3 ans les drones en tant qu’axe stratégique.
L’Aérodrome de Namur, seize mois après
L’Aérodrome de Namur (www.aerodromedenamur.be), hôte du workshop, a fait par la voix de son CEO Benjamin de Broqueville un bilan impressionnant des seize premiers mois d’exploitation du site de Temploux, depuis la reprise par les nouveaux actionnaires en juillet 2017 (voir article Hangar Flying septembre 2017). Et définit ses ambitions. Si la volonté clairement exprimée des nouveaux exploitants est de continuer à servir l’aviation générale et sportive, elle est aussi orientée vers un développement durable et l’ouverture aux nouvelles technologies.
Outre les activités préexistantes en vol-moteur (avions et hélicoptères), vol à voile et parachutisme, la nouvelle direction, composée du trio Olivier de Spoelberch, Benjamin de Broqueville et Vanina Ickx, a très rapidement accueilli Espace Drone (www.espacedrone.be), le premier centre de formation belge de pilotage de drones, créé par Renaud Fraiture, qui a commencé ses activités sur l’ulmodrome de Liernu, et ouvre sa deuxième base à Namur.
Très rapidement, des pourparlers s’engagent également avec Sonaca Aircraft, qui cherche un terrain pour y installer la chaîne d’assemblage final (FAL) du nouveau monomoteur belge Sonaca 200, mais a besoin d’une piste en dur (voir article Hangar Flying juillet 2018) afin de permettre de voler toute l’année. Cela correspond aussi aux préoccupations des utilisateurs de Temploux et de la nouvelle direction, qui réussit à convaincre les autorités de l’intérêt d’une telle infrastructure. Non seulement cela attire des entreprises et crée de l’emploi, mais en plus il y a un bénéfice pour les riverains. Les nuisances sonores diminuent, Les avions décollant plus court grâce à la nouvelle piste génèrent moins de bruit au sol en atteignant plus vite des altitudes plus élevées. Les travaux de construction d’une piste en dur de 690 mètres (orientée 06/24) avec taxi-track ont débutés le 18 juin 2018. Fort de l’engagement de l’aérodrome, Sonaca Aircraft s’installe à l’aéroport de Namur dès janvier 2018, d’abord dans des installations provisoires, bientôt suivi de la construction (entamée en mars 2018) d’un bâtiment de 2.300 m2 pour abriter la chaîne d’assemblage des Sonaca 200.
D’autres travaux d’infrastructures sont en voie de réalisation: outre la piste en asphalte, les installations de ravitaillement en carburant sont déplacées et modernisées: désormais il n’y a pas moins de trois nouvelles pompes à essence(Jet A1-AVGAS-UL 91). Une pompe électrique est prête à accueillir les premiers avions à propulsion électrique, confirmant les objectifs de respect de l’environnement des nouveaux actionnaires. Pour le vol à voile, le largage par treuil a été introduit et permet de diminuer les vols remorqués, avec une consommation minime de gaz et une cadence de largage supérieure. Les toitures des hangars ont été refaites. Et dans les mois à venir une remise à neuf du bâtiment de l’aérogare est prévue. La fibre optique y a déjà été installée.
Stemme Belgium
Olivier de Spoelberch était devenu l’actionnaire principal du constructeur allemand de moto-planeurs de hautes performances Stemme. Passionné de vol à voile, il utilise d’ailleurs régulièrement son tout nouveau Stemme S12 au départ de Temploux. Et il a initié le développement de nouvelles versions de ces moto-planeurs pour des missions d’observation et de surveillance, en version pilotée et/ou drone.
Parmi les avions « utilitaires », citons le programme ES15, développé par Ecarys, une société filiale de Stemme AG, sur base du Stemme S15, qui a été présenté tant à Beauvechain qu’à Kleine Brogel cet été. Cette plateforme de haute performance permet des opérations de surveillance, de reconnaissance, d’exploration, ainsi que des mission scientifiques et militaires. En version pilotée, il a une endurance de 10 heures de vol, et en version drone de 20 heures!
Une version militaire est développée conjointement avec Safran et a été présentée au Salon du Bourget en juin 2018. La création récente (le 3 mai 2018) de Stemme Belgium (avec comme administrateur-délégué Benjamin de Broqueville), implantée elle aussi sur l’aérodrome de Namur depuis 9 mois, a induit l’installation de l’équipe « Sunrise » il y a 4 mois. Le projet « Sunrise » est un programme de la Région Wallonne avec trois sociétés impliquées: Sabena Aerospace, Sonaca et Stemme Belgium (en tant que constructeur de planeurs et de plateformes « dronifiables »), toutes trois membres du pôle Skywin. L’aérodrome peut maintenant annoncer l’intégration de Skywin sur son site.
Les HAPS
Le marché de la surveillance et de l’observation aérienne se composait jusqu’à présent de deux éléments majeurs: les avions et hélicoptères à basse et moyenne altitude, et les satellites dans l’espace. Les premiers étaient limités en altitude et ne pouvaient aller plus haut que 45.000 pieds (15 kms). Les seconds étaient dans l’espace, laissant entre les deux segments un domaine quasi intouché, la stratosphère.
A part quelques rares incursions d’avions-espions du style U-2 ou de ballons stratosphériques, il n’y avait pas grand monde entre 15 km et 50 km au-dessus de notre planète. La stratosphère est la seconde couche de l’atmosphère terrestre, se situant au-dessus de la troposphère et sous la mésosphère. De quoi exciter l’imagination des ingénieurs et initier le développement d’engins capables d’évoluer au-dessus du trafic aérien commercial et du mauvais temps et de transmettre des quantités de données (« big data »). Le concept des High Altitude Pseudo Satellite (HAPS) était né. Le défi est de réaliser un engin certifiable (il doit traverser les espaces aériens inférieurs pour arriver à son altitude stratosphérique), capable de rester sur place pendant de longues périodes (plusieurs jours à plusieurs semaines), avec une structure optimisée pour ces missions (près de 40 mètres d’envergure), contrôlé du sol (sans pilote), à propulsion électrique et muni de panneaux solaires avancés lui permettant de recharger les piles pour voler la nuit.
Les HAPS sont en quelque sorte un chainon manquant entre les drones et les satellites. Les drones civils font l’objet d’une classification par l’EASA tenant compte de leur altitude maximale et de leur endurance. Près du sol, on trouve les Low-altitude Unmanned Airborne Vehicle (LUAV), capables de voler quelques heures du sol à un peu plus de 10.000 pieds. Les Medium Altitude Long Endurance (MALE) peuvent atteindre les 40.000 pieds et tenir l’air pendant de nombreuses heures. Les High Altitude Long Endurance (HALE) tiennent l’air plusieurs jours à la limite de la troposphère.
Le problème principal des HAPS va être son positionnement entre les satellites et les engins volant dans la troposphère (avions, hélicoptères et drones). Les HAPS offrent sur papier la possibilité d’une endurance quasi-infinie, permettant une présence sur site de longue durée et la transmission d’informations en temps réel de façon constante. Ils peuvent emporter une grande variété de charges utiles et peuvent intégrer plusieurs senseurs par mission. L’avantage par rapport aux satellites est qu’ils peuvent être ramenés au sol. Le marché potentiel couvre de nombreux types de missions: télécommunication, surveillance et intelligence, real-time monitoring, surveillance maritime, surveillance de frontières, sécurité, recherche et sauvetage, applications militaires.
Preuve de l’existence d’un marché, les géants de l’informatique supportent d’ores et déjà le développement de certains programmes HAPS: Google participe au projet Loon, basé sur un ballon stratosphérique avec une charge utile assez limitée. Boeing travaille sur le programme Odysseus Aurora, un avion électrique avec une charge utile de 25 kg. Airbus développe le Zephyr, également à propulsion électrique. Thales-Alenia Space étudient un dirigeable stratosphérique capable d’emporter jusqu’à 250 kg.
L’European Space Agency (ESA) a marqué son intérêt pour ce nouveau domaine complémentaire aux satellites et lancé un programme d’études. La SONACA a déjà gagné deux « tenders » pour certaines de ces études.
Le projet Sunrise
Trois acteurs belges ont décidé de joindre leurs forces et leurs compétences respectives pour créer une joint-venture (JV) visant à réaliser un engin capable de répondre aux critères HAPS: Sonaca, Stemme Belgium et Sabena Aerospace.
Les trois « S » y apportent leurs compétences respectives. Sonaca est spécialisée dans la conception et la fabrication de pièces de structure avancée et en matière d’engineering et d’intégration de systèmes. Stemme dispose d’une expérience unique en conception et fabrication de planeurs motorisés de hautes performances et en développement de drones dérivés. Sabena Aerospace, en tant que société de service, apporte son expérience en opérations aériennes et en logistique.
La feuille de route de la JV prévoit plusieurs étapes. Offrir dès maintenant des solutions « end-to-end » basées sur un avion existant (ES15), puis développer un UAV MALE, suivi par un démonstrateur UAV laboratoire stratosphérique, ce qui devrait aboutir dans quelques années à un véritable HAPS à moteur électrique et à alimentation solaire.
La « joint-venture » recherche à présent des partenariats avec les acteurs spécialisés dans les nombreuses applications pratiques de leur futur HAPS, le « Sunrise ». C’était d’ailleurs un des objectifs du workshop: informer et réunir les représentants des secteurs concernés et certains acteurs potentiels de cette révolution technologique. Et annoncer l’intégration du cluster aéronautique wallon Skywin sur le site de l’Aérodrome de Namur, potentiel nouveau « silicone valley » de nouvelles technologies aéronautiques.Cette démarche entrepreneuriale dynamique et visionnaire suscite l’intérêt d’autres entreprises qui étudient une possible implantation sur le site. L’objectif est de créer 200 emplois d’ici cinq ans.
Combiner les diverses activités de l’aviation générale et sportive tout en développant une activité industrielle et technologique nouvelle sur le même site, le défi est ambitieux mais les premières réalisations sont là et les perspectives d’avenir prometteuses pour l’Aérodrome de Namur.
Texte: Guy Viselé
Photos: Guy Viselé et Robert Verhegghen