Charleroi Airport, le 24 septembre 2019. Développé par le constructeur suisse Pilatus, le tout nouveau biréacteur d’affaires PC-24 fait son apparition en Belgique. Immatriculé OO-MAP, il est livré le 23 juillet 2019 à European Aircraft Private Club (EAPC), qui utilise déjà pas moins de cinq mono-turbopropulseurs Pilatus PC-12. Nous avons voulu en savoir plus sur cette société qui a développé en quelques années un modèle unique en Belgique dans un créneau très spécifique de l’aviation générale, et avons rencontré Denis Petitfrère, administrateur-délégué et accounting manager d’EAPC.
Le projet remonte à 2010. Un jeune entrepreneur passionné d’aviation, Denis Petitfrère, vient de s’allier avec quelques autres partenaires pour reprendre l’école de pilotage New CAG (créé par Berthy Graux en 1976), à qui il louait un bimoteur Diamond DA-42 Twin Star. Il est approché par un groupe de personnes recherchant une solution pragmatique pour leurs déplacements en avion privé.
Denis Petitfrère entame une étude de marché pour trouver l’avion correspondant à ce besoin. Il analyse différents types de monomoteurs dont le Piper Malibu, le Socata (devenu Daher) TBM-850 et le Pilatus PC-12. Il découvre un peu par hasard l’Extra 500, version turbopropulsée de l’Extra 400, monomoteur pressurisé de haute performance. Il ne sera certifié IFR qu’en 2011, ce qui permet d’envisager la concrétisation du projet. Développé par Walter Extra, bien connu pour ses avions acrobatiques, l’Extra 500 est construit principalement en matériaux composite. Il dispose d’une aile haute sans haubans, peut emporter six personnes dans une cabine pressurisée très spacieuse et est propulsé par une turbine Rolls-Royce 250 de 450 shp entrainant une hélice cinq pales. Il a une vitesse de croisière de 225 knots (420 km/h) et une autonomie de 1.600 nm (environ 2.900 km).
L’acquisition de l’Extra 500 D-FBRS (MSN1003) aboutira finalement en juillet 2012. Cet appareil, dont seulement sept exemplaires ont été construits, n’a pas connu un succès de vente en raison d’une sous-capitalisation de son constructeur à l’époque. Il était économiquement très intéressant, avec d’excellentes performances, mais s’est révélé assez vite limité par son absence de certification dégivrage et sa charge utile trop faible.
European Aircraft Private Club (EAPC) est créée sous forme de société coopérative en décembre 2013 et débute ses opérations avec l’Extra 500. Le siège social d’EAPC est situé à l’aéroport de Charleroi-Gosselies où l’entreprise dispose d’un hangar et de bureaux dans la zone « aviation générale », à côté des installations des pompiers.
EAPC regroupe plusieurs partenaires qui souhaitent acquérir et opérer à leur usage exclusif et non-commercial un avion privé. Les fondateurs veulent mettre sur pied une structure privée pour gérer en leur nom et pour leur compte un avion pour leurs déplacements en Europe. Certains avaient eu une expérience en Cirrus, mais voulaient une copropriété gérée de façon professionnelle et pour leur usage exclusif. Convaincus par un vol d’essai en Pilatus PC-12 en juillet 2013, les partenaires initiaux passent commande d’un premier appareil en mai 2014.
Le Pilatus PC-12 est propulsé par une turbine Pratt & Whitney Canada PT-6A-67P de 1.200 shp. Sa cabine pressurisée est particulièrement spacieuse (9,34 m3) et peut accueillir jusqu’à un maximum de 9 passagers en version haute densité, ou six passagers en version executive (choisie par EAPC). Il dispose à la fois d’une porte passager avec escalier incorporé et d’une porte arrière de grande dimension (1,35 m x 1,32 m) pour le chargement des bagages (accessibles en vol) ou de fret. Sa vitesse de croisière maximum est de 285 kts (528 km/h), et son autonomie en « long range cruise » est de 2.088 nm (3.867 km). Il peut opérer sur des pistes en herbes et décolle en moins de 800 mètres. Son plafond maximum est de 30.000 ft (9.144 m). Avec un coût opérationnel de 30% à 60% moindre par rapport à des bi-turbopropulseurs et biréacteurs de même capacités.
Le groupe de départ s’agrandit alors progressivement, avec l’adhésion de nouveaux membres à la coopérative. Ils sont déjà pour leurs besoins professionnels des clients des sociétés d’exploitation commerciale d’avions d’affaires, mais les machines proposées sont souvent surdimensionnées et trop coûteuses pour leurs besoins de voyages privés.
On se souvient de la naissance dans les années nonante du phénomène de la « fractional ownership », qui a fait l’objet de débats passionnés tant aux Etats-Unis qu’en Europe pour en définir le statut (« commercial » ou « privé »), et avec des réponses différentes aux USA (considéré comme commercial) et en Europe (considéré comme privé). Plusieurs copropriétaires partagent les coûts d’acquisition et de la gestion opérationnelle d’avions, et bénéficient d’un tarif à l’heure de vol correspondant aux frais variables pour leurs déplacements. Les copropriétaires achètent une part. Cela a donné naissance à des géants tels que Netjets, mais aussi à de plus petites exploitations.
La longue interdiction d’opérer des monomoteurs en IFR commercial a empêché les opérateurs traditionnels d’offrir des monomoteurs modernes et fiables à un prix plus abordable pour une clientèle privée. Il y avait donc là un véritable marché de niche. La récente (2017) acceptation européenne d’opérer des monomoteurs complexe commercialement en IFR, rendue possible par l’extraordinaire fiabilité des moteurs et des systèmes actuels, est un gage de la sécurité de cette catégorie d’avions.
La forme juridique de société coopérative offre un cadre idéal pour ce genre d’application. Le capital variable permet aisément l’entrée et la sortie de partenaires. Les statuts d’EAPC définissent clairement l’objectif poursuivi: « La société a pour objet toutes opérations se rapportant directement ou indirectement à la prestation de services pour ses membres en mettant à leur disposition un ou plusieurs aéronefs qui auront été choisis par l’assemblée générale. Dans ce contexte, la société a pour objet la gestion, la location, la vente, l’acquisition et l’entretien des aéronefs ainsi que le transport aérien de personnes et de choses tant en Belgique qu’à l’étranger pour le compte de ses associés, et la consultance en ces matières. »
Au niveau du fonctionnement, chaque avion individuellement appartient en copropriété à un certain nombre de partenaires, et constitue une unité dans la société. On fait une distinction entre les frais fixes et les frais opérationnels. Les premiers comportent les frais généraux dont notamment le logiciel de gestion opérationnel, les assurances, le coût des pilotes. Le partage des frais fixes dépend du pourcentage détenu dans l’avion. Les frais opérationnels sont ceux directement liés à l’avion et aux vols de celui-ci (taxes d’atterrissage, frais de handling, redevances Eurocontrol, etc.). Les partenaires paient l’usage de leur avion à l’heure de vol.
Le démarrage de l’opération avec l’Extra 500 a servi de banc d’essai (« proof of concept ») pour tester l’exploitation en détail et en conformité avec la loi et les règlementations aéronautiques. On est parti de la définition de l’aviation commerciale: « moyen de transport mis à disposition du public ou d’un groupe de personne qui ne contrôle pas l’exploitation ». Ici, EAPC fonctionne selon le principe d’un « club » qui a le contrôle des opérations, donc n’est pas « commercial » au sens de la règlementation, et opère sous statut privé. Les seuls actionnaires d’EAPC sont les utilisateurs et il n’y a pas d’actionnaire qui ne soit pas utilisateur. Le principe même de la « coopérative ». Le modèle fonctionne sur la flexibilité et la convivialité et ne cherche pas la croissance à outrance. Au niveau sécurité, les avions d’EAPC sont volés par des pilotes professionnels expérimentés et qualifiés sur les types de machines opérés. Les entretiens s’effectuent auprès de JG Aviation à Gray (France), service center agréé Pilatus.
La flotte actuelle est constituée de cinq Pilatus PC-12 et du premier Pilatus PC-24 belge, ainsi que de l’Extra 500 des débuts. La progression est régulière, avec un nouvel avion chaque année depuis 2013. Chaque avion de la flotte appartient à une société distincte, ce qui permet de répartir facilement les charges par actionnaire au sein de cette société. Les partenaires sont à la fois actionnaires de la société « avion » et de EAPC.
L’utilisation annuelle par appareil est assez élevée, ce qui réduit sensiblement la part de frais fixes ramenés à l’heure. Les Pilatus PC-12-47E NG volent près de 1.000 heures de vol par an ! Le premier (OO-PCI MSN 1380) a été livré en juin 2014, suivi du OO-PCJ (MSN 1571) en 2015, du OO-PCK (MSN 1611) en 2016, du OO-PCM (MSN 1704) en 2017 et du OO-PCN (MSN 1819) en 2018. Et le tout nouveau biréacteur PC-24 (OO-MAP MSN 131), livré le 23 juillet 2019, a déjà effectué plus de 130 heures de vol à fin septembre.
Surnommé « The Super Versatile Jet », le nouveau biréacteur PC-24 développé par Pilatus est le seul appareil de sa catégorie à pouvoir décoller et atterrir de pistes non-pavées. Il est propulsé par deux réacteurs Williams International FJ44-4A de 3.420 lbs de poussée. Sa cabine offre un volume de 14,20 m » et peut accueillir de 6 à 10 passagers selon les configurations. Tout comme le PC-12, il dispose à la fois d’une porte d’entrée passagers à l’avant et d’une porte cargo de grandes dimensions à l’arrière (1,25 m x 1,30 m). Son autonomie avec quatre passagers est de 2.000 nm (3.700 km) et sa vitesse de croisière maxi de 440 kts (815 km/h). Son plafond maximum est de 45.000 ft (13.716 m).
L’arrivée de ce premier biréacteur marque une étape importante dans le développement d’EAPC. Ce modèle « belge » de la copropriété d’avions privés performants fonctionne bien depuis déjà six ans et croit de façon régulière. Denis Petitfrère, qui est à la fois administrateur délégué et accounting manager, nous précise la vision d’avenir de l’entreprise: la priorité est de rester dans une relation conviviale avec un nombre restreint de partenaires qui se connaissent, ce qui n’empêche pas une progression raisonnable.
Guy Viselé