Bruxelles, le 28 juillet 2020. Or donc, l’Aviation Légère de l’armée de terre a retiré les Auster du service actif le 21 octobre 1955, mis à part l’A-2 modifié pour utilisation en Antarctique où il fut accidenté et abandonné en décembre 1958. En comptabilisant les pertes par accidents, c’est quelques sept Auster qui furent perdus (A-1/A-2/ A-4/ A-5 /A-6/ A-10 et A-19,) il en restait donc une quinzaine toujours en état de vol.
Les Auster de la Fédé
C’est alors que survint un homme providentiel, Albert De Mol. Il était administrateur et membre du comité directeur de l’Aéro-club Royal de Belgique et secrétaire général et membre du comité directeur de la Fédération des clubs belges d’aviation (la « Fédé ») affiliée à l’Aéro-club Royal de Belgique. Il se trouve que, parallèlement, Albert De Mol était trésorier et membre du comité directeur des Cadets de l’air qui prenaient alors leur essor. Enthousiaste et promoteur infatigable de l’aviation et siégeant à la direction de ces deux entités militaire et civile, il eut tôt fait d’apprendre, lors de l’inauguration de l’Escadrille Bruxelles des Cadets de l’air en 1957, qu’une douzaine d’Auster « démobilisés » était regroupée à Wevelgem pour l’essentiel… Aussitôt, et secondé par d’autres « mordus » tels que Freddy Van Gheluwe (président de la fédé) et Pierre Schellekens (membre du comité directeur de la fédé) et surtout du Colonel d’aviation Tony Ronvaux, conseiller et promoteur dynamique des Cadets de l’air. Albert De Mol prépara un dossier destiné au Ministre de la défense démontrant l’intérêt qu’il y avait de permettre à la fédé d’acquérir à bon compte la douzaine d’Auster. Les démarches et contacts furent rondement menés par ces fervents de l’aviation et la fédé fut autorisée formellement en juillet 1958 à procéder à l’acquisition des douze Auster pour un prix très compétitif afin d’en doter les clubs belges d’aviation, leur fournissant ainsi du matériel volant dont il avaient résolument besoin.
Démilitariser les Auster de la Fédé
Les douze Auster acquis par la fédé étaient les A-3 (OO-FDA,) A-7 (OO-FDB,) A-8 (OO-FDC,) A-9 (OO-FDD,) A-11 (OO-FDE,) A-12 (OO-FDF,) A-13 (OO-FDG,) A-15 (OO-FDH,) A-16 (OO-FDI,) A-17 (OO-FDJ,) A-18 (OO-FDK) et A-22 (OO-FDL.) En plus des avions stockés à Wevelgem, la fédé hérita de tout le matériel et du stock des pièces détachées d’Auster acheminés en vol à Melsbroek par quatre C-119 de la Force Aérienne.
La démilitarisation des Auster de la fédé fut confiée aux Ets Paul Van Pelt à Grimbergen qui entamèrent cette tâche en 1958, laquelle fut terminée début 1959. Outre une révision générale avec réentoilage et peinture, une sauterelle fut fixée à l’étambot de chaque avion pour les rendre aptes au travail aérien (essentiellement remorquage de bannières publicitaires ou de planeurs.)
Paul Van Pelt nous disait, en 2010, que le gros œuvre de la restauration des Auster était assurément l’enlèvement des plaques de blindage fixées sur les côtés et sous l’habitacle de l’avion et qui protégeaient l’équipage des tirs d’armes d’infanterie: il l’avait vérifié lui-même, car il était également membre d’un club de tir et cette cuirasse d’acier stoppait net le balles des armes légères des troupes au sol.
Tous les avions furent immatriculés au registre civil le 25 septembre 1958, prêts à être convoyés vers les clubs récipiendaires, mais les intempéries persistantes (neige, brouillard) rendirent l’aérodrome de Grimbergen impraticables pendant plus d’un mois. Voici la liste des avions et de leurs destinataires:
OO-FDA / A-3: Aéro-club du Hainaut (Casteau)
- OO-FDB / A-7: Aéro-club de la Meuse (Namur-Temploux)
- OO-FDC / A-8: Limburgse Vleugels (Genk-Zwartberg)
- OO-FDD / A-9: Club aéronautique Carolorégien (Charleroi-Gosselies)
- OO-FDE / A-11: Aero-club Keiheuvel (Balen-Nete)
- OO-FDF / A-12: Les Ailes Luxembourgeoises (Virton)
- OO-FDG / A-13: Ghent aviation club (Gent-Sint-Denijs-Westrem)
- OO-FDH / A-15: Aero-club van Aalst (ultérieuement clubs de Schaffen-Diest et Spa)
- OO-FDI / A-16: Royal Verviers aviation (Theux)
- OO-FDJ / A-17: Limburgse Vleugels (Genk-Zwartberg)
- OO-FDK / A-18: Royal Antwerp aviation club (Deurne)
- OO-FDL / A-22: Les Ailes Luxembourgeoises (Virton-Latour.)
Certains clubs n’ont pas été privilégiés, car trois des avions nécessitèrent leur remplacement dans la mesure où un appareil subit une panne de moteur grave mettant finalement deux moteurs hors d’usage et deux autres appareils furent problématiques et considérés « comme à faible rendement ».
Tout rentra heureusement dans l’ordre et les Auster civils volèrent fréquemment en 1959 et les années suivantes, mais leur taux de disponibilité s’avéra plutôt médiocre. Par conséquent, les avions sortirent de moins en moins souvent des hangars et c’est ainsi que le Musée de l’air de Bruxelles (démarrant ses activités en 1970) récupéra dans des états variables huit des douze Auster acquis par la fédé en 1958…
Un (petit) incident et un (gros) accident…
Ces deux situations scabreuses sont arrivées, pratiquement à un an d’intervalle à un seul et même Auster: l’OO-FDG opéré par le Ghent aviation club.
L’incident se déroula le 18 mai 1961 lorsque l’Auster OO-FDG remorquait le planeur Grunau Baby immatriculé OO-ZUN. Peu après le décollage du planeur, le pilote de celui-ci grimpa trop fort et souleva l’arrière du remorqueur, lequel était à trois mètres d’altitude et conséquemment piqua du nez sans que le pilote de l’Auster ait eu le temps de réagir, tandis que le pilote du planeur larguait le câble de remorquage; l’avion percuta brutalement le sol et fit un cheval de bois.
Peu après son crash peu ordinaire à Gand en mai 1962, Guy Vanderlinden examine l’épave de l’Auster OO-FDG (ex A-13 chez les militaires.) A noter, dans le fond du hangar, le bimoteur Cessna Bobcat OO-AUT en déliquescence, celui-ci appartenait au baron du textile Georges Hanet, fervent promoteur de l’aviation avant et dans l’immédiat après-guerre. (Photo Guy Vanderlinden)
Le pilote de l’Auster était Marc Herry (et celui du planeur Roger Fobe,) les deux pilotes s’en tirèrent intacts alors que le train d’atterrissage de l’Auster était plié et déformé, les capots moteurs étaient tordus et l’avion a subi d’autres déformations mineures, justifiant un retour en atelier pour le réparer, ce qui fut fait et l’appareils rejoignit le hangar du club quelques mois plus tard pour reprendre ses remorquages routiniers.
La fin de l’OO-FDG
L’accident qui fit de l’OO-FDG une perte totale eut lieu le 12 mai 1962 à Sint-Denijs-Westrem. Ce jour-là, comme cela était courant à cette période de l’année, le vent soufflait en travers des pistes (04-22 et 07-25) à une vitesse de 10 à 15 nœuds (19 à 28 km/h) et de direction variant de 300 à 330 degrés, ce qui exigeait un atterrissage sur une piste pratiquement plein nord dans l’axe du vent sur une bande de gazon fraîchement tracée et tondue. Celle-ci était compliquée à l’approche et à l’atterrissage pour les pilotes, vu les constructions et arbres dans le couloir à emprunter en courte finale, mais c’était une option plus sûre que de se poser sur les pistes avec un fort vent de travers (cross wind) de 20 km/h avec rafales à 30 km/h.
Le jeune pilote Guy Vanderlinden se présenta à l’aérodrome et, comme il n’avait plus volé depuis quelques mois pour cause de maladie, il demanda au chef-pilote du Ghent Aviation Club, Marc Herry, d’effectuer un test d’aptitude comme l’exige le règlement et, très normalement, l’instructeur fit faire cinq atterrissages au jeune pilote qui les accomplit de façon satisfaisante et reçut la permission de voler seul pilote à bord. Il décolla à 11H40, seul aux commandes, pour effectuer quelques circuits; alors qu’il accomplissait le premier dans la phase finale de l’approche, il se rendit compte qu’il allait être un peu court pour se poser. Il décida d’une remise des gaz pour refaire un tour (overshoot,) mais le moteur se mit à cafouiller et perdit sa puissance en dégringolant; le pilote ne put éviter le toit d’une maison et l’accrocha de l’aile gauche. L’impact fit dévier l’avion qui alla percuter le toit d’un bâtiment militaire proche et glissa le long de celui-ci suite à l’impact, cassant quelques tuiles et arrachant une antenne de télévision. Le nez de l’avion s’accrocha par l’hélice dans la gouttière tandis que l’arrière de la carlingue glissa et se positionna sur la cime des arbres tout proches. L’accident n’eut aucun témoin à cause de la proximité des bâtiments et arbres leur coupant la vue. Heureusement, le pilote n’eut à subir que quelques égratignures et coupures superficielles à la tête et fut emmené à l’hôpital pour examen, à l’issue duquel il put rejoindre son domicile. Le pilote était très chanceux, car l’Auster était littéralement une perte totale.
Cela n’empêcha pas Guy Vanderlinden de faire une grande carrière comme pilote de ligne qu’il termina en tant que commandant de bord de Boeing 747-400 à Singapore Airlines. Ayant eu le privilège d’être l’un de ses élèves en 1967-68, je l’ai vu effectuer plus d’un vol démontrant son incroyable maîtrise du pilotage, son « outstanding airmanship », à plusieurs occasions.
Comme souvent, des événements exceptionnels survenus dans un aéro-club alimentent son capital de récits typiques du « hangarflying », c’est-à-dire des rumeurs déformant et enjolivant au fil du temps la réalité pour animer les conversations au bar de l’escadrille. Celui-ci n’y échappa pas et certains prétendirent qu’au moment de l’impact du toit du bâtiment militaire, le brave bidasse de garde déjeunait attablé dans celui-ci (l’accident se produisit à midi) et se trouvait en dessous du point d’impact de l’Auster qui perdait de l’essence tombant goutte à goutte dans son pot de café. Intrigué, le garde des lieux sortit pour voir ce qui l’en était et, à sa grande stupéfaction, vit l’Auster encastré dans le toit et sur les arbres avec le nez fiché dans la corniche, mais du pilote, aucune trace… Etait-ce un avion fantôme ? Il est vrai que le pilote avait immédiatement quitté sa position très inconfortable par la corniche et le tuyau de déjection de l’eau de pluie, mais de l’autre côté par rapport à celui où se trouvait le militaire !