Temploux, 15 juin 2020. Au cours de la rédaction de mes récents articles sur le centenaire de la SABCA, j’ai plusieurs fois fait mention des pilotes de la firme. Parmi eux, Serge Martin, le dernier pilote de la SABCA se qualifie plus comme pilote de « réception » que « d’essais » car il part du principe que la Belgique assemble plutôt qu’elle ne conçoit des avions. Raison de plus pour lui rendre une visite en sa demeure à Temploux avec mon ami Michel Huart, grand spécialiste de l’aviation congolaise, qui a organisé le rendez-vous. De premier abord réservé, notre hôte semble étonné de l’intérêt qu’on peut lui porter vu qu’il y a près de vingt années qu’il a arrêté de voler. Au cours de cet entretien qui durera quelques heures, nous aurons l’occasion d’évoquer son parcours un peu atypique et parler de ses expériences, le tout accompagné d’une impressionnante collection de classeurs de photos et de souvenirs .
Le début d’une longue carrière
Né le 6 février 1934, ses premiers souvenirs d’avions sont marqués par les chasseurs et bombardiers alliés survolant la région liégeoise lors de la 2ème guerre ainsi que la flak allemande, les V1 et les V2. De nature chétive au point que ses copains l’appellent le « petit Serge », son parcours scolaire est perturbé par des périodes de maladie. Il est surtout passionné de mécanique et à 15 ans il entre comme apprenti dans un garage et fais ce qu’il aime. Sa voie semble toute tracée dans la mécanique auto. Il envisage un moment de devenir mécano dans la marine marchande mais l’absence de références d’école technique sur son CV lui ferme cette voie.
Son appel au service militaire obligatoire de deux ans ayant été ajourné à la suite d’un accident, il décide de s’en affranchir en postulant comme mécanicien à la Force Aérienne alors en plein développement. De plus il sera payé et abordera ce qu’il considère comme la partie noble de la mécanique. Le 12 novembre 1953 il entame sa formation à l’école technique de Saffraenberg et est affecté 6 mois plus tard à la 25ème escadrille volant sur Meteor à Brustem. Le contact avec les pilotes et un travail sur la ligne moins glorieux qu’imaginé l’amènent à postuler comme candidat sous-officier pilote. Il intègre la 132ème promotion en décembre 1954. Elle compte près de 120 candidats et le retard des promotions précédentes tout aussi nombreuses ne font que retarder la formation. Au terme de 79 heures de vol sur SV-4B à l’ Ecole de Pilotage Elémentaire de Gossoncourt, la promotion rejoint enfin l’ Ecole de Pilotage Avancé à la base de Kamina. Du 16 mai au 23 octobre 1956, Serge Martin y effectue 147 heures en T-6 et sort premier de la promotion . Rentré en Belgique, il rejoint l’ Ecole de Chasse à Coxyde (ensuite à Brustem) dans la filière T-33 et est finalement breveté le 17 juin 1957 au terme de 106 heures de vol supplémentaires. Un long parcours pour un jeune homme de 23 ans qui « dans ses ambitions d’enfant , n’avait pas prévu l’aviation ni pour la mécanique , ni pour conduire » .
En escadrille
Après le T-33 de l’ Ecole de Chasse, c’est le transfert vers une escadrille opérationnelle sur F-84F Thunderstreak avec au préalable un passage en OTU (Operational Transition Unit). Après le cours au sol sur le F-84F qui se donne à Saffraenberg, Serge Martin rejoint la 27ème escadrille à Kleine-Brogel qui est chargée de la transition des pilotes fraichement brevetés. L’avion n’a pas de version biplace et la conversion est exigeante. Dans ce cursus, le pilote aborde pour la première fois le vol supersonique lors d’un vol en piqué au-dessus de la mer du Nord. Le F-84F est alors en configuration « clean » c-à-d sans bidons. Accompagné d’un instructeur qui l’accompagne dans un autre Thunderstreak, le pilote aborde le piqué à 45.000 pieds, plein moteur avant de réduire le moteur et d’amorcer une ressource de 4 à 5g une fois la vitesse de mach 1.15 atteinte. Ceci ramène l’avion à environ 20.000 pieds . Ce n’est pas sans risques et certains pilotes y perdront la vie comme Marcel Pondant. De la même promotion que Serge Martin, il a suivi le même parcours via Saffraenberg, mécano à la 25éme et ensuite pilote. Il s’écrase au large de Den Helder (NL) le 2 juillet 1957 probablement à la suite d ‘une collision avec le « chase plane » de l’instructeur Hislaire Symaeys (class 53G) qui y trouve également la mort (F-84F FU-70 RA-S et FU-71 RA-O).
Au terme de l’ OCU , Serge rejoint la 1ère Escadrille du 2ème Wing Tactique à la base de Florennes et entame la vie en escadrille. Il connait les périodes de tir air-air et y engrange de bons résultats. Ces campagnes se déroulent à Sylt, base anglaise sur une île au large du Danemark où la Force Aérienne déploie annuellement ses escadrilles avant de se rabattre en décembre 1960 sur Solenzara en Corse. En 1958, il devient chef de section (section leader) et se voit attribuer en avril 1959 le prix « Capitaine Gade ». Il a aussi l’occasion de piloter souvent l’ Airspeed Oxford qui sert d’avion de liaison.
Ces belles années en escadrille n’ont cependant pas empêché notre jeune sous-officier pilote de songer à son avenir. Avec les 3 années déjà passées comme mécano et les 4 années d’engagement complémentaire pour devenir pilote, la question se pose d’une carrière à la F.Aé comme officier ce qui implique de passer l’ examen (A), ou de s’orienter vers le civil. C’est cette dernière option qui s’impose étant donné le plus de possibilités de voler plutôt que de devenir un « desk pilot » militaire. Il passe le « Transport Public » dès 1960 après la licence de pilote professionnel. Rappelons qu’à l’époque la formation de pilote militaire n’incluait pas cette licence (ATPL), ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Les perspectives d’engagement dans le civil s’avèrent cependant difficiles. La SABENA a beaucoup engagé dès 1958 et son effectif est complet. D’autres pistes n’aboutissent pas faute d ‘expérience en multimoteurs au point qu’en 1962 Serge Martin doit se résigner à devenir « SOC » càd sous-officier de carrière. A sa demande il rejoint en avril 1962, pour 4 mois, le «flight appui-feu » sur T-6 Harvard à Usumbura (aujourd’hui Bujumbura) au Burundi. Ce séjour lui donne l’occasion de voler quelques fois comme copilote sur DC-3.
LA SABCA
Au cours de l’année soixante, la SABCA se retrouve leader du « «groupe ouest » chargé du montage final des F-104G Starfighter et des essais en vol à Gosselies. Bernard Neefs, un ancien pilote de la F.Aé engagé par Fairey, devient le chef pilote de l’association momentanée SABCA -Fairey mise sur pied pour la production de plus de 200 F-104G pour la Luftwaffe allemande et la Force Aérienne. Les premiers appareils allemands sortent de Gosselies dès mai 1962 et le premier F-104G belge est attendu pour février 1963. Vu les cadences de livraison à tenir, le besoin se fait sentir rapidement pour un pilote d’usine supplémentaire. A la demande de Pierre Georges Willekens, directeur de la SABCA, Bernard Neefs se met en quête de trouver un candidat. Les recommandations se portent très vite sur Serge Martin et appuyées par le général-major aviateur Albert Henry, chef d’état-major de la F.Aé, les arrangements de sortie de l’armée et transfert sont pris en coulisses à l’insu de l’intéressé.
En campagne de tir à Solenzara en septembre 1962, l’intéressé reçoit par télégramme l’ordre de regagner la Belgique immédiatement pour « régularisation de situation militaire », ce qui ne manque pas de le surprendre vu le passage en SOC quelque temps auparavant. C’est donc avec surprise qu’au retour à Florennes à sa descente du « Streak », l’officier Ops& Training, le commandant aviateur Soufnonguel, l’informe qu’il est attendu le lendemain par P.G Willekens et B. Neefs pour un entretien à SABCA-Haren afin d’être engagé comme pilote de réception dans le cadre du programme F-104G. La proposition est alléchante sur tous les points de vue et les autorités militaires se montrent très conciliantes pour trouver des arrangements au contrat « SOC » qui le lie en le mettant initialement en congé sans solde. Les choses ne trainent pas et Serge Martin entame quelques jours plus tard sa nouvelle carrière de pilote d ‘usine par un air test d’un F-84F sortant de grande visite IRAN, avant de rejoindre fin octobre la base de Nörvenich durant trois semaines pour sa conversion sur F-104G. Mis en congé illimité de la F.Aé. en janvier 1963, il reste cependant réserviste et revole déjà régulièrement à la 1ère escadrille dès la mi-mars. Cela lui permet de conserver ses compétences en vol aux instruments et en formation rarement ou jamais pratiquées à la SABCA.
Le F-104G Starfighter
A Gosselies, Serge Martin travaille avec Bernard Neefs aux tests et réceptions des F-104G devant être livrés. Il y côtoie d’autres pilotes, dont Jean- Jacques Mans chargé des réception d’hélicoptères en révision et Michel Jacob de Beucken, pilote de Fairey qui procède à la révision de F-84F et Percival Pembroke de la F.Aé. La production des F-104G connait des pointes et les périodes plus calmes sont mises à profit pour réceptionner d’autres avions sortant de révision comme les T-33 et (R)F-84F.
En 1963, Bernard Neefs présente le F-104G au 25éme Salon du Bourget. Il en profite pour battre sur le F-104G n° 9028 (FX-11) le record de vitesse entre Bruxelles et Paris, trajet réalisé en 9’55 ‘’ 7/10 à la vitesse moyenne de 1575 km/h. Ce qui est moins connu est qu’il présentera une figure acrobatique inédite, le « Touch-Roll -Go » (TR). Cette manœuvre difficile sera plus tard améliorée ou complétée par Bill Ongena en « Touch-Roll-Touch-Go « (TRT) et est rentrée dans la légende. Plusieurs l’ayant tentée se sont tués. Comme le souligne Serge Martin , le débattement des ailerons doublait une fois le tain sorti par rapport au train rentré et il fallait « tourner » le tonneau avant de le rentrer.
Les vols de F-104G s’enchainent et la SABCA a obtenu de gros contrats de révisions de Starfighter allemands. (Voir article)
C’est au cours d’un vol de réception après chantier que notre pilote connaitra un évènement qui sera fort médiatisé à l’époque, d’autant plus que les allemands perdent quelques jours plus tard le 10 mars, leur 117èmepilote, le Slt. Hans-Joachim von Hassel, fils du président du Deutsche Bundestag. Laissons la parole à Serge Martin :
«C’était le 26 février 70 sur le F-104G n° 2044 (ndlr: construit par Lockheed en 1961 , immatriculé 20+37, exposé actuellement dans le musée Volandia près de Milan en Italie) venu de VFW, lors de son vol de sortie de SABCA. Je sortais du test mach 2 et commençais le test des basses vitesses. Moteur au ralenti depuis la décélération et la descente du zoom à 50.000 pieds. Comme je stabilisais vers 31.500 pieds pour les premières lectures, les deux alternateurs tombent en panne, reset… rien, donc c’est la panne électrique totale (il n’y a pas de batterie sur le F-104G). Par hasard j’avais déjà eu cette panne exactement au même moment lors d’un vol précédent, donc c’est un peu la routine. Je sors le RAT (Ram Air Turbine) qui me restaure quelques circuits électriques essentiels, c-à-d la radio, quelques instruments, et les flaps (qui sont électriques sur 104). Je préviens Belga radar (le radar militaire qui me suit toujours dans mes vols d’essais) que j’arrête les essais et retourne à Gosselies. Comme à ce moment je suis +/- au-dessus de Valenciennes, je tourne vers Gosselies moteur restant au ralenti pour la descente de 30.000 pieds et fais l’inventaire des systèmes restants et là, surprise, l’EGT (Exhaust Gaz Temperature) qui donne la température de la tuyère moteur, indique zéro. Comme c’est une lecture directe (l’instrument se passant d’une alimentation électrique) l’indication est juste! Coup d’œil sur le RPM = 18%, c à d que j’ai un « flame out », une panne moteur. Un coup sur la manette de gaz et, évidemment, rien…j’alimente les 2 bougies d’allumage (start switches), rien non plus… J’averti aussitôt belga « belga- beltest 3- I have a flame out», la réponse: “real or simulated ?» « real! » « Chièvres Airfield is not far… » « Thanks, I will check It » Ce sont à peu près les quelques mots échangés avec l’Adj. Hyman, le contrôleur de Zemmerzake, dont je me souviens. Il ne cessera de me donner des indications utiles: distance et direction de Chièvres, fréquence de la tour… Le plané à 245 kts (nœuds) IAS en take-off flaps donne +/- 6 de finesse. Il y a un petit banc d’alto qui me cache Chièvres mais je finis par voir la piste, je ne suis pas mal positionné et rejoins le « low key » (vent arrière à 7.000 pieds). Je connais bien l’avion et suis bien entrainé au flame out landing. Pour le dernier virage il est prudent d’avoir 260 kts, une fois en longue finale en face de la piste 08, pas très longue et sans barrière d’arrêt. Il s’agit de sortir le train au bon moment, c’est lui qui va ralentir la vitesse pour passer le bord de piste à 200 kts. Donc je sors le train (en secours on le décroche simplement et il sort par son poids et aidé par la vitesse) « M…, trop tôt ! ». En fait, lors de mes entrainements en « simulated flame out », j’arrêtais la manœuvre une fois en face de la piste d’où je repartais en remise de gaz sans sortir le train. Cette fois je dois le sortir mais alors qu’ on sort le train vers les 220 kts ou, en secours, il sort en 4,5 secondes, ici à 260 kts il s’est loqué peut-être en 3 sec avec une trainée (l’effet de freinage) plus forte à 260 qu’à 220 kts. Voilà donc toute ma réserve de sécurité « bouffée » par cette seconde et demie et le freinage aérodynamique du train. Je toucherai la piste de Chièvres dans les quelques premiers mètres vers les 180 kts, en refusant le sol au point que le bout du fuselage arrière a touché la piste. Drag chute, freins en « manual », arrêt vers la mi-piste. Toute l’affaire a pris 2,5 minutes. C’est la « main fuel pump » du moteur qui a cassé à cause d’un FOD! L’avion a été rapatrié en vol à Gosselies une semaine plus tard ».
C’est la première fois qu’un F-104G est ramené au sol sans moteur et la série d’accidents enregistrée par la Luftwaffe lors de la mise en service du Starfighter est toujours ancrée dans la mémoire collective Cette prouesse qu’il qualifie « de petite panne de moteur » lui vaudra non seulement une notoriété médiatique mais surtout les félicitations de Lockheed qui lui attribuera des mains de Clarence «Kelly » Johnson, le concepteur du F-104, et de Glenn « Snake » Reeves, pilote d’essais, un « Award for Flying Excellence » , sans compter la reconnaissance des assureurs de la SABCA !
Au cours de ses nombreux vols en F-104G, Serge Martin connait d’autres expériences . Le 1er juin 1970 sur le F-104G allemand n°7077 (ndlr : construit par Messerschmitt en 1963, immatriculé 22+07) lors d’un vol à mach 2 (750kts) à près de 40.000 pieds, la porte droite s’arrache en endommageant le volet de bord d’attaque et celle de gauche s’ouvre et reste collée à l’aile. Secoué dans tous les sens ,l’avion vole encore mais notre habile pilote le pose à Beauvechain qui dispose d’une piste plus longue que Gosselies. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Se présentant au corps de garde de la base de Beauvechain quelques jours plus tard ,la commission d’enquête comprenant des représentants de SABCA, de la Luftwaffe et de assureurs se voit refuser l’entrée. Un TF-104G a connu un problème similaire quelques temps auparavant à basse altitude et grande vitesse sur les Ardennes mais l’équipage était parvenu à ramener l’avion à Florennes et un autre incident du même genre se produit à la même période mais Serge Martin ramène l’avion à Gosselies où se rend directement la commission. La cause est rapidement identifiée dans une défectuosité des crochets de verrouillage des trappes.
Mais comme le souligne Serge Martin : « Ce ne serait pas juste de n’évoquer le 104 que par des mésaventures, non seulement au vu de ses performances mais aussi par sa conception. Le 104 était extraordinaire, une mécanique fiable, bien conçue, un moteur formidable, le prix des performances se payant par un manque de maniabilité. Sa charge alaire, la plus forte de son époque (avec le F-111), ne pardonnait aucune erreur de pilotage. Le F-104G était un avion difficile mais pas dangereux » . Profitant des caractéristiques spectaculaires de l’avion, il fera quelques vols « zoom » à très haute altitude prudemment car non équipé de scaphandre comme les pilotes de la F.Aé.
Il pense effectuer son dernier vol de réception le 23 juin 1980 lors de la fin des Starfighter belges mais 4 ans plus tard un intérêt du Brésil pour les F-104 stockés à Coxyde amène la Force Aérienne à demander à la SABCA de reconditionner deux biplaces. Ceux-ci sont convoyés en vol à Gosselies le 21 décembre 1984 pour le FC-11 (avec l’aide d’un pilote hollandais encore qualifié à trois mois près) et le 5 février 1985 en solo pour le FC-04. Le deal ne se fera pas mais c‘est l’occasion pour Serge Martin de se « requalifier à nouveau lui-même sur F-104 » avec l’accord de la F.Aé. pour effectuer le vol le 7 mars 1986 de deux officiers aviateurs supérieurs brésiliens dont le chef de la F.Aé. du Brésil. Au total, Serge Martin aura volé 1.265 heures 10 min sur F-104G belges, allemands, mais aussi hollandais pour le compte de Fokker.
Le Mirage 5
En 1967 la Belgique choisit le Dassault Mirage 5 pour remplacer les vieux F et RF-84F. Dassault est chargée de la conversion de Serge Martin et sous-traite celle-ci au Service des Essais en Vol (SEV) à Istres. Il s’y rend donc en mars 1970 et effectue 8 vols en Mirage IIIB. Le premier vol à Gosselies sur le BA-02 a lieu le 10 juin 1970 et lui réserve une surprise. Au décollage le pilote se rend compte que l’indicateur de vitesse ne fonctionne pas. En pleine accélération, il est trop tard pour arrêter et il se retrouve en vol sans indication de vitesse. Il revient se poser dans l’aile d’un F-104G alerté et l’ « Adhémar », un instrument du Mirage qui donne l’angle d’attaque est d’une grande utilité. Il faut s’habituer à la machine delta qui est fort différente du F-104G. Différents incidents égailleront les vols sans trop de gravité dont un accrochage involontaire d’un câble d ‘arrêt en bout de piste qui a pour conséquence l’ajout d’un carénage au crochet de la crosse. Lors d’un autre vol , au largage du parachute de freinage, la verrière s‘envole à la suite d’une interférence entre le système de déploiement du parachute et celui d’ouverture de la verrière. Il participe activement aux trois programmes de modernisation du Mirage : l’installation de caméras panoramiques, le système ECM et le programme MIRSIP. Serge Martin clôture ses vols en Mirage en février 1990 avec 533 heures 30 min au compteur.
Le General Dynamics F-16
Le F-104G a marqué le début de la carrière de pilote d’essais de Serge Martin , un autre avion devenu légendaire en marquera la fin: le F-16 .
Si le F-104 était une grande avancée dans la modernité, le F-16 apporte a nouveau des innovations spectaculaires : commandes de vol hydro-électriques avec « side stick », plateforme à inertie à 99 « way points », radar air-air, air-sol et carte à écran synthétique, un système d’« energy management » tant pour l’économie que pour le combat aérien et un HUD (Head Up Display). Le premier vol en biplace de Serge Martin a lieu en 1978 aux USA suivi de plusieurs vols en monoplaces. Le 11 décembre, il effectue le premier vol du premier F-16 produit par SABCA en compagnie de Neil Anderson. Lors de passages annuels chez GD Fort-Worth pour son « check annuel », il a l’occasion de voler sur des F-16 de différentes versions ou destinataires : USAF jusqu’au bloc 35 (qui avait un moteur GE au lieu de P&W) mais aussi des grecs, vénézuéliens, Israéliens en plus des belges et danois chez SABCA et les hollandais et les norvégiens chez Fokker pour qui il assure certains vols. En plus des vols de réception, il participe à la mise au point et qualification du missile Matra Magic pour le F-16, un programme lourd en charge de travail en vol lors d’essais de « flutter » (oscillations des ailes rentrant en vibration) et tirs de 22 missiles sous différents facteurs de charge qui se firent en mer au large de la Hollande. Il effectue son dernier vol et sa 1.227 heure en F-16 le 16 mars 1992.
Sa carrière à la SABCA se termine en cette fin de 1992. En plus des grands programmes cités ci-dessus il aura également volé 233 heures en T-33, 1434heures en RF et F-84F , 119 heures en Alpha Jet. A cela s’ajoutent, en expérience d’avions d’armes, 9h20 en Hunter Mk6 lors du convoyage à Dunsfold chez Hawker des Hunter revendus par la F.Aé. en 1964/65 et 3h40 en Meteor TT20. Ceux-ci , ex-suédois, destinés au Biafra où une sanglante guerre fait rage, sont convoyés le 2 mai 1969 depuis Cologne en RFA vers Gosselies et vaudront aux deux pilotes ( Michel Jacob de Beucken étant le deuxième) des ennuis avec l’Administration de l’ Aéronautique pour avoir volé des avions suédois sans licence valable. Les deux Meteor seront bloqués à Gosselies par les douanes et ils subiront les outrages du temps. Un est préservé au musée de Mr. Pont à Savigny-lès-Beaune en Bourgogne. Le sort du deuxième m’est inconnu.
Une carrière parallèle variée
Le Tipsy Nipper, conçu fin 1957 par Mr. Ernest Oscar Tips (qui fut fondateur et CEO de Fairey Belgique), est un minuscule petit avion aux performances étonnantes qui a connu un beau succès et est toujours fort apprécié encore aujourd’hui. Il a été mis au point par le pilote de l’usine Bernard Neefs. Vu le programme chargé avec le F-104G dans le cadre de l’association avec SABCA, Fairey en a cédé sa production à André Delhamende, un commercial de Fairey, qui ouvre un atelier à Genk sous le nom de COBELAVIA. Serge Martin, titulaire de sa licence de pilote professionnel, est sollicité épisodiquement pour effectuer des livraisons notamment vers l’ Espagne et l’ Angleterre. Ceci l’amène un jour d’hiver, au terme d’un vol tendu, à devoir atterrir discrètement au crépuscule sur le taxi-track de l’aéroport de Southend, pratiquement en panne d’essence. Cela lui vaut non pas une sanction des anglais mais plutôt une reconnaissance de sa débrouillardise. Les temps ont depuis bien changés ! Le Tispy Nipper est devenu aussi une « affaire de famille » car son fils Edouard, pilote de ligne, en possède un magnifique basé à Temploux.
SIAI MARCHETTI, la connexion italienne
Au début des années soixante, la rencontre lors d’un voyage en Italie, de PG Willekens et de Fratelli Nardi ouvrira un nouveau pan de la vie de Serge Martin. Cet ingénieur italien a conçu dans les années cinquante un avion amphibie quadriplace, le Nardi FN333 Riviera, dont la production industrielle et la commercialisation est confiée à SIAI (devenant ainsi le SIAI- Marchetti FN333). Les ventes ne décollent pas et F. Nardi s’en ouvre à P.G Willekens qui en parle à Bernard Neefs et André Delhamende. Avec un avion confié par SIAI, en juillet 1963 , B. Neefs , A. Delhamende et S. Martin entament une tournée de prospection en Scandinavie, région propice à l’usage des hydravions. Cette prospection aboutit plus tard en 1965 à la vente d’un appareil à un client norvégien, dont une partie du paiement sera fait en nature par un Piper Aztec (PA-23 -250 construit en 1963 immatriculé danois OY -AFE). L’avion, racheté par la SABCA et immatriculé OO-SAB sert jusqu’ en novembre 1989 comme avion de liaison. Il sera vendu et basé à Zwartberg où il ne volera pas. Racheté fin 1991 par Serge Martin qui effectue à Gosselies la révision générale demandée par la DGTA ,il ne revole que le 30 mai 1998 . Il est revendu en 2011 à l’Aéro-Club du Borinage à Saint Ghislain où Il serait actuellement en vente.
En 1965, SIAI envisage la mise en production de deux avions de tourisme, le SIAI 205 et le SF 250 conçu par l’ingénieur en aéronautique indépendant Stelio Frati, développant des avions avant de vendre les droits de production aux constructeurs italiens susceptibles de les construire et commercialiser tout comme F. Nardi l’a fait pour le Riviera. Le SF-250 est bien né et donnera naissance au SIAI-Marchetti SF 260, bien connu sous nos cieux. SIAI hésitant cependant à lancer le 205 , un quadriplace à ailes basses et train fixe conçu par son « chef designer » Alexandre Brena, demande à B. Neefs, M. Jacob de Beucken et S. Martin d’en faire une évaluation. Le rapport est favorable moyennant certaines améliorations. Les trois amis vont participer au Salon du Bourget de juin 1965 dans l’équipe SIAI, chargés d’amener et présenter en vol les deux avions au salon. Le 12 juin, Serge Martin se charge de convoyer le SIAI 205 depuis l’Italie avec le chef mécanicien de la compagnie italienne mais à la suite d’un problème de jauges d’essence pas fiables, ils sont contraints de se poser en panne de carburant sur une route de campagne entre Sens et Troyes. L’aile gauche touche un buisson et l’avion part en cheval de bois et se retrouve endommagé à l’aile et roue de nez brisée deux jours avant le début du salon. Il sera ramené de nuit par camion au Bourget. Le jour suivant, Serge Martin se rend directement chez SIAI à Vergiate en Riviera et ramène le jour même « frauduleusement » dans celui-ci les pièces de rechange à Paris sans les dédouaner ni au départ ni à l’arrivée, seule manière de tenir les délais. Le 17 juin le 205 revole et sera présenté durant une semaine au salon. Those were the days !
En novembre 1965, une tournée de promotion du SIAI SF-250 en Suisse et Italie tourne au drame. La tournée se termine à Gênes pour un meeting . Alors que Serge Martin est en vol sur le 205 avec un client potentiel, Bernard Neefs exécute une démonstration acrobatique avec le SF-250. Mis en attente avant l’atterrissage par le contrôle, il est surpris à basse vitesse et altitude par des rabattants derrière un grand hangar, décroche et part en vrille. Ce drame humain s’accompagnera malheureusement d’un conflit juridique au niveau assurances car B.Neefs agissait en tant qu’indépendant dans le cadre des ventes et n’était couvert ni par SABCA-Fairey ni SIAI. En 1983, je suis un jeune chef de service dans une grosse compagnie d’assurances et Raymond « le Lange » Van Keymeulen, collègue mais ancien pilote de la F.Aé avec qui je me suis lié d’amitié, me parle de cette époque. Il m’informe qu’il doit exister probablement un dossier « sinistre » de B. Neefs, la compagnie assurant en « accidents du travail et vie privée » le personnel de la SABCA. Quelques jours plus tard, après quelques recherches, je me ferai remettre le dossier clôturé sorti des archives. L’accident ne tombait malheureusement pas dans le cadre du contrat mais avait donné lieu à de nombreuses discussions juridiques. L’accident de B.Neefs avait fait l’objet d’une intervention dite « extra contractuelle à titre commercial » des années auparavant. La popularité du pilote, sa situation familiale et le « poids » du client ont joué dans la recherche d’une intervention à l’amiable, d’autant plus que le président du conseil d’administration de la compagnie n’était pas moins que le baron Gaston de Gerlache de Gomery, Lieutenant-Colonel Aviateur connu pour son expédition en Antarctique de 1957. J’ai toujours regretté de ne pas avoir conservé ce volumineux dossier, qui outre les notes de la compagnie et des avocats de peu d’intérêt pour le sujet qui nous occupe, contenait de nombreuses photos, rapports, articles sur ce pilote exceptionnel. Le dossier, datant de l’ère pré-digitale, a été détruit après sa date de conservation légale.
Le décès de Bernard Neefs marque un ralentissement de Serge Martin pour SIAI se consacrant aux vols « jet » SABCA dont il reprend la direction.
Le Promavia Squalus
En dehors de la SABCA, Serge Martin pilotera un autre jet peu connu qui aurait pu être un beau succès belge, le Squalus. Après avoir vendu près de 800 SF260, André Delhamende envisage un jet pour le remplacer comme avion école de base. Il confie sa réalisation à Stélio Frati. Ce dernier dirige son bureau d’étude à Bergamo où il a aussi un atelier capable de sortir quelques prototypes. Le prototype du Squalus sort en avril 1987. Jack Zanazzo, pilote d’essai italien qui a effectué les premiers vols s’occupe de la conversion de Serge Martin. Il effectue son premier vol solo sur l’avion le 9 décembre 1987 et le dernier vol le 15 décembre 1995. Malgré les qualités du Squalus, les commandes ne suivent pas. La fabrication ne dépasse pas le stade des deux prototypes(dont un seul volera) et la société Promavia est déclarée en faillite en 1998. Le lecteur en lira l’histoire complète sur HF dans l’excellent article de Guy Viselé
Pilote de ligne
En 1973, un concours de circonstances amène Serge Martin à commencer en parallèle de ses activités chez SABCA une carrière de pilote ligne. Invité, il accompagne un de ses amis de la F. Aé devenu pilote chez TEA pour un vol sur Boeing 720 et se voit sollicité quelques jours plus tard pour intégrer la compagnie comme pilote freelance. Avec l’accord de son employeur principal, titulaire de l’ ATPL, il suit le cours machine chez Aer Lingus à Dublin en février 1974. S’en suivent 10 heures de simulateur et 150 heures comme copilote avant d’intégrer le siège de gauche comme commandant dès le mois de juin. Il effectue de nombreux vols charter l’été vers les pays méditerranéens et les Canaries et en hiver des vols «Hadj » de pèlerinage vers La Mecque en sous-traitance pour diverses compagnies. Entre novembre 1984 et janvier 1985, il participe à l’opération Moïse organisée par Israël, évacuation humanitaire « discrète si pas secrète » des Falashas, une ethnie éthiopienne juive menacée d’extermination dans un conflit local et réfugiée au Soudan. Les vols directs entre le Soudan et Israël étant impossibles pour des raisons diplomatiques, la TEA organise des vols de Khartoum vers Tel-Aviv via Bruxelles et évacue près de 5.000 personnes avant que la presse n’évente l’opération amenant le Soudan à interdire les vols par suite de la pression des pays arabes. C’est une expérience riche en émotion pour Serge et son épouse Michelle, hôtesse de l’air de la compagnie qui y participe également.
Serge Martin vole encore à la fin des années quatre-vingt pour les compagnies Young Cargo et BIAC sur Boeing 707 et en 737 pour Sobelair, EBA, Virgin et Air Belgium, toujours en pilote « freelance ». Il effectue son dernier vol en 737 pour Air Belgium le 5 février 1999 en compagnie de son fils Edouard. Il atterri à Bruxelles au retour d’Athènes à 22h 40 , quelques heures avant la limite d’âge de 65 ans imposée aux pilotes de ligne par l’administration.
Ainsi se termine une carrière riche en expériences, variée en types d’avions pilotés et totalisant un nombre d’heures de vol impressionnant. Serge Martin continuera de voler jusqu’en 2002 sur l’ Aztec devenu avion familial jusqu’à la perte de son médical. Visiteur régulier de l’ aérodrome de Temploux , il n’est pas rare de le voir voler avec son fils Edouard. Comme il le dit lui-même « je suis étonnamment surpris à quel point on garde la dextérité de voler correctement même après des années sans piloter» . Rien d’étonnant pour un pilote aussi doué qui était capable de voler sur F-16, F-104 G, Mirage 5 et Alpha Jet dans la même journée.
Un grand merci à Serge Martin pour son accueil, le temps pris à évoquer sa carrière , ouvrir ses albums, partager ses photos et souvenirs et d’ avoir aussi ravivé les miens. Je me souviens en effet comme si c’était hier, avoir vu les MeteorTT20 pourrir à EBCI en 1972, vu un TF-104G survoler l’autoroute près de Charleroi au milieu des années quatre-vingt me demandant comment c’était possible vu leur retrait de service quelques années auparavant, d’avoir observé le Squalus peint en jaune et sans oublier le dossier d’assurance.