Le Bourget, le 21 juin 2023. Quatre années depuis la dernière édition du Salon du Bourget (en 2019), qui n’avait pu être organisé en 2021 pour cause de Covid. Beaucoup de changements et une présence belge riche en annonces positives.
Le Salon International de l’Aviation et de l’Espace, dont c’était la 54è édition, est et reste le plus important événement du genre au niveau mondial. A l’heure des bilans, notons qu’il a attiré du 19 au 25 juin 2023 près de 2.500 exposants, 156 aéronefs et plus de 300.000 visiteurs (dont 130.000 professionnels). Le volume des commandes annoncées s’élève à 150 milliards de dollars.
La plus grosse commande d’avions commerciaux a été annoncée en fanfare chez Airbus, qui enregistre un contrat portant sur 500 avions de la famille A320 pour la compagnie indienne Indigo. Avec cette nouvelle commande, Indigo portera ainsi sa flotte tout Airbus à 1.330 avions.
Au deuxième jour du salon, Air India a confirmé sa méga-commandes historique de 250 Airbus et 290 Boeing. La compagnie aérienne appartenant au groupe Tata avait annoncé son intention de commande auprès des deux avionneurs en février 2023.
Chez Boeing, la commande, qui comprend 190 737 Max, 20 787 Dreamliners et 10 777X avec des options pour 50 737 Max et 20 787 Dreamliners, est la plus importante de l’avionneur nord-américain en Asie du Sud.
Chez Embraer, 23 nouvelles commandes ont été annoncées, portant sur des E175 et E195-2 pour le loueur Avolon et pour les compagnies American Airlines et Binter Canarias.
Un Salon pas comme les autres
Ambiance de retrouvailles mais aussi sentiment d’un changement d’époque: les grands défis du secteur sont désormais mis en vedette. Les réponses de l’industrie aux défis du changement climatique et la volonté d’arriver à décarboniser le secteur était le thème principal de cette 54è édition. Moins d’avions de combat, moins de participations exotiques: l’absence des Russes (pour cause de sanctions en réaction à la guerre en Ukraine), mais aussi pas d’avions chinois, japonais, suédois et de quelques autres constructeurs sur le tarmac parisien, était compensée par une forte présence d’avions militaires américains exposés par leurs forces armées.
On notait aussi l’impressionnante montée en puissance de Turkish Aerospace Industries qui exposait plusieurs modèles de drones UAV, hélicoptères et même la maquette grandeur nature du Hürjet, le futur Advanced Jet Trainer (AJT) turc.
Le traditionnel duopole Airbus-Boeing assurait le spectacle. Première présentation sur le continent européen du nouveau Boeing 777X (dans sa version -9), aux extrémités de voilure repliables (comme pour les avions utilisés sur les porte-avions), ainsi que de la version Max10 du Boeing 737.
Chez Airbus, la nouveauté était le monocouloir long-courrier A321Neo XLR, accompagné des autres modèles du constructeur européen (A350-1000, A319ACJ et A330MRTT), sans oublier l’A220 (ex Bombardier C-Serie). L’Airbus A321Neo XLR aura une autonomie de 4.700 nm (8.700 km) (soit 700 nm de plus que la version A321LR) et une capacité de 180 à 244 passagers. Il permettra plus de liaisons directes en long-courrier, évitant ainsi de de devoir transiter par les grands « hubs » des compagnies aérienne.
Le transport aériendoit réduire de façon drastique ses émissions de CO2 et atteindre ses objectifs de « zéro émission » en 2050.
Tourné vers l’avenir, le Salon enregistrait la présence de nombreux prototypes ou projets testant les différentes solutions potentielles de diminution de la dépendance du secteur en énergie fossile (le kérosène).
Cela va de l’avion électrique (tout électrique ou hybride) à l’avion à hydrogène, avec aussi l’apparition d’une nouvelle catégorie d’engins, les eVTOL (electric Vertical Take-Off and Landing) , aussi appelés taxis volants et visant le domaine de la mobilité urbaine aérienne (Urban Air Mobility) et un usage grandissant des carburants aviation durables (SAF pour Sustainable Aviation Fuel).
Les hybrides
Tout comme pour les voitures électriques, le poids et la faible endurance des batteries restreignent l’usage exclusif de moteurs électriques pour les avions. D’où l’idée de combiner les deux systèmes de propulsion (le thermique et l’électrique) pour augmenter l’autonomie tout en contribuant à une réduction des émissions de CO2.
Issu d’une collaboration entre Daher, Safran et Airbus, l’Eco Pulse est un des projets collaboratifs français majeurs dans le domaine de la décarbonisation de l’aviation. Ce TBM-700 modifié est équipé de six propulseurs électriques intégrés ou e-Propellers (fournis par Safran), répartis le long des ailes. Ce prototype permettra d’évaluer les avantages opérationnels de l’intégration de la propulsion distribuée hybride-électrique, avec un accent particulier sur les émissions de CO2 et la réduction du niveau de bruit. Une seule source d’alimentation électrique indépendante alimente plusieurs moteurs répartis sur l’ensemble. Son système propulsif est constitué de deux sources de puissance: un turboalternateur (un générateur électrique entraîné par une turbine à gaz Safran, et un pack batterie (fourni par Airbus). Ce démonstrateur a effectué son premier vol avec son moteur thermique conventionnel en 2022 et devrait entamer les essais en vol des moteurs électriques dans les prochains mois.
Voltaero, un des pionniers de la propulsion hybride thermique-électrique, dévoilait le prototype de son nouveau Cassio 330. Le constructeur français a désormais un nouvel actionnaire, le motoriste Kawasaki. Dans un premier temps le prototype volera avec un moteur à pistons classique (dérivé du moteur de moto Kawazaki Ninja H2R) et compatible avec du carburant d’aviation durable (SAF). Un second prototype devrait voler en 2024, avec cette fois avec une configuration moteur hybride composée du moteur thermique Kawasaki et d’un moteur électrique intelligent Safran.
Les eVTOL
Jusqu’à présent issus de l’imagination débridée de jeunes « start-ups », ces véhicules semblant issus de BD de science-fiction, faisaient leur première apparition en masse au Salon, y compris avec démonstrations en vol (le Volocopter de Volocity), et présentations de pas moins de huit eVTOL dans un espace du hall 5 dédié à la mobilité urbaine et baptisé Paris Air Mobility.
Les grands constructeurs (Airbus, Boeing, Embraer,) ont annoncé des contrats de rachat ou de collaboration avec certaines de ces « start-ups », et exposaient sur leur stand ou au statique leurs eVTOL. Chez Boeing, Wisk Aero est désormais une filiale détenue à 100%, et le prototype du Wisk Generation 6 y était exposé. Embraer, actionnaire majoritaire de Eve Air Mobility, présentait la cabine de son eVTOL.
Le prototype d’eVTOL d’Airbus, le CityAirbus, n’était pas physiquement exposé, mais faisait l’objet d’une présentation holographique et une maquette du EcoCopter était présente. Airbus annonçait en outre diverses collaborations industrielles et commerciales avec plusieurs « start-ups ».
On assiste à un phénomène comparable à l’engouement au début de ce siècle pour les « start-ups » en informatique, rachetées par de grands groupes en quête d’idées novatrices. La révolution électrique est en marche et on a pu sentir à Paris le passage d’une époque de pionniers à celle de projets plus convaincants, qui désormais attirent officiellement les grands du secteur. Plusieurs des appareils présents au Bourget seront utilisés dès l’an prochain dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris, reliant pas moins de cinq sites d’atterrissage dédiés à cette catégorie d’engins.
Le progrès technologique
Les motoristes n’étaient pas en reste pour afficher leurs projets visant à développer des solutions innovantes pour motoriser la prochaine génération d’avions. Safran est le chef de file du programme « Open Fan » Ofelia (Open Fan for Environmental Low Impact of Aviation).
Bénéficiant d’un financement européen de 100 millions d’euros de la part du programme « Clean Aviation », Ofelia vise à démontrer les avantages d’une architecture de type « Open Fan » en termes d’efficacité énergétique pour répondre aux besoins de la future génération d’avions court et moyen-courrier à l’horizon 2035. L’architecture « Open Fan » ambitionne une réduction de 20 % de la consommation de carburant et donc des émissions de CO2 par rapport aux moteurs turbo-fans actuels.
Safran s’investit aussi dans le développement et la production de moteurs électriques et annonce l’ouverture prochaine de quatre lignes de production automatisées dédiées à ses moteurs électriques ENGINeUS. et annonce être en mesure de fabriquer 1.000 moteurs par an à compter de 2026.
Cinq constructeurs aéronautiques et « start-ups » – VoltAero, Aura Aero, Bye Aerospace, Diamond Aircraft et CAE – ont déjà sélectionné les moteurs électriques ENGINeUS pour équiper leurs aéronefs 100% électriques ou hybrides.
Autres points forts
Diamond Aircraft présentait le prototype de la version la plus récente de son avion d’entraînement, le Dart 750, qui a effectué son premier vol quelques semaines avant le Salon. Suite à une réévaluation de son programme de biplace d’entraînement, initié avec le Dart 450, l’avionneur autrichien a modifié la motorisation de l’avion avec maintenant un moteur plus puissant (Pratt & Whitney Canada PT6A-25C) de 750 shp et une suite avionique Garmin G3000. Cet appareil est l’un des candidats potentiels pour succéder aux SIAI-Marchetti SF-260 de la Force Aérienne Belge.
Airbus Helicopters présentait le H145M, la version militarisée du H145, et doté notamment d’un pod canon HMP-400 (Heavy Machine Gun Pod) de la FN-Herstal. Cet hélicoptère est un candidat sérieux au remplacement de nos Agusta A109M.
Les Belges au Bourget
Pas mal de changements par rapport à l’édition 2019. Et aussi de grandes annonces en termes de contrats et de nouveaux projets. 75 entreprises flamandes, wallonnes et bruxelloises du secteur aéronautique, spatial et défense belge exposaient conjointement sur le stand commun « Belgian Aerospace » dans le grand Hall 2B du site du Bourget, regroupant à la fois les « grands » du secteur, mais aussi de nombreuses PME.
Sabca, qui fêtait ses 100 années d’expérience en 2020, a trouvé un nouvel actionnaire à la suite de la sortie de son capital de Dassault (qui en détenait 96 % à la suite du rachat de la participation de Fokker). Faisant désormais partie du holding Orizio, il s’y retrouve aux côtés de Sabena Engineering. Une première restructuration a fait passer le secteur MRO & U (Maintenance, Réparation, Révision et Mise à niveau) de Sabca Gosselies (avec notamment un important contrat portant sur les F-16 de l’USAF) vers Sabena Engineering, qui exerçait déjà avec talent ce genre d’activités, notamment au niveau des Lockheed C-130 Hercules (ils ont récemment remis à niveau plusieurs C-130 rachetés à la Force Aérienne Belge et revendus au Pakistan).
Stéphane Burton, PDG de Orizio, présentait ses deux entreprises (Sabena Engineering et Sabca) sur un stand commun, et se félicitait de la complémentarité et des synergies entre les deux partenaires. Il nous annonçait également un nouveau projet, dont il dévoilera les caractéristiques en septembre, à savoir la création d’une « Académie de l’Air », destinée à offrir des formations plus généralistes (notamment en gestion d’entreprise et de projets, et défis environnementaux) aux personnels formés aux licences techniques ou opérationnelles.
Premières retombées économiques en vue pour le F-35
La signature au Salon d’un accord-cadre (Memorandum of Understanding, MoU) entre Sabca et Lockheed-Martin pourrait déboucher prochainement sur un contrat de production des lower skin wings (face intérieure des ailes) en matériaux composite automatisée de tous les F-35A via une toute nouvelle technologie par les usines Sabca de Lummen (Limbourg). Cela permettra à la firme belge d’acquérir une technologie de pointe pour laquelle elle construira en 2027 un nouveau bâtiment et investira dans des machines très spécifiques. La valeur potentielle de ce futur contrat serait de l’ordre de 500 millions d’euros et représenterait à ce jour la plus grosse retombée économique de la commande belge de F-35A. Lockheed-Martin rappelait le long partenariat débuté il y a plus de 40 ans avec le F-16 et qui devrait continuer tout au long du cycle de production des F-35.
Nouveaux contrats Airbus chez Sonaca
Sonaca a annoncé la signature d’un important contrat avec Airbus et devient fournisseur des volets (de bords de fuite) pour le nouveau A321Neo XLR et étend sa contribution historique pour la fourniture des becs de bord d’attaque des A320 et A350. Ensemble, ces trois accords représentent le plus grand succès commercial jamais signé par Sonaca.
Ces contrats réjouissent Yves Delatte, le récent nouveau PDG de Sonaca:
« Ce nouveau partenariat marque une étape importante dans notre relation avec Airbus. Nous sommes partenaires depuis près de 40 ans, et je suis ravi de voir notre collaboration atteindre de nouveaux sommets pour la décennie à venir ».
Wings
L’industrie wallonne participe activement au programme Wings initié par la Wallonie. Safran Aero Boosters (société coordinatrice du projet Wings), Sonaca et Thales Belgique, collaborent sur différentes thématiques de recherche avec les centres de recherche, Cenaero, Institut von Karman, CRM, Materia Nova, Sirris, Cetic et Multitel et avec un panel de PME actives dans l’aéronautique, GDTech, Any-Shape, Calyos, Technochim, V2i, Machinesight, MSC Software.
L’entreprise liégeoise Safran Aero Boosters, filiale du groupe Safran, s’est spécialisée depuis plusieurs années dans le domaine des compresseurs basse pression (« boosters ») et participe au développement du General Electric GE9X (Boeing 777X), et au programme conjoint GE-Safran « Rise », qui représente un saut technologique important dans la bataille pour la « décarbonisation ».
SCAF
L’annonce que la Belgique allait rejoindre le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) a été l’événement majeur du Salon pour l’industrie aéronautique belge.
Malgré la mauvaise humeur exprimée récemment à l’égard de la Belgique (pour cause de non-achat du Rafale) par Eric Trappier, le patron de Dassault et partenaire majeur du SCAF, le réalisme politique (après tout, ce sont les gouvernements des pays associés qui financent ce programme) a triomphé.
La Ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder, avait fait le déplacement à Paris après un décision favorable en Conseil des Ministres pour signer l’accord avec les trois états partenaires du SCAF (Allemagne, Espagne et France) pour rejoindre avec un statut d’observateur le programme multinational visant à développer un système alliant trois éléments ( un nouvel avion de combat, une nouvelle génération d’armement et de drones incluant des « remote carriers », véhicules autonomes interconnectés, et des avions radars et ravitailleurs pour supporter les avions de combat).
Dassault est responsable du développement de la plate-forme volante du système, à savoir le New Generation Fighter (NGF), dont la maquette grandeur nature était exposée au statique.
Cet accord ouvre la porte, tout d’abord avec un statut d’observateur, à la Belgique et à son industrie aéronautique, à un projet aux multiples facettes et annonçant des perspectives d’avancées technologiques et de retombées industrielles dans de multiples domaines et pour de nombreuses années. L’expérience, le savoir-faire et les compétences de nos industriels qui participent déjà de longue date à des programmes avec les partenaires du consortium (tant pour Dassault que pour Airbus) font espérer que le mouvement d’humeur du PDG de Dassault sera vite oublié au profit d’une collaboration bénéfique pour tous.
En marge du Salon du Bourget, les ministres européens de la Défense ont été reçus à l’Elysée pour évoquer la défense aérienne de l’Europe. La Belgique fait l’acquisition de missiles sol-air Mistral avec d’autres pays européens (France, Chypre, Estonie et Hongrie). A suivre: l’intégration de cet armement dans nos futurs F-35.
Parmi les nouveaux exposants belges, notons la présence de Roadfour, qui ambitionne de développer un nouvel avion de lutte contre les incendies. Pouvant emporter jusqu’à 12 tonnes d’eau, il bénéficierait de commandes « fly-by-wire », et sera propulsé par deux moteurs de 5.000 shp. Le premier vol devrait avoir lieu en 2030. Un Salon résolument tourné vers l’avenir et bénéfique pour les industriels belges du secteur, avec des annonces qui permettent d’envisager avec optimisme le développement de nouvelles activités aux effets potentiels long-terme.