Loncin, le 14 août 2009. Dans une courette du fort de Loncin, entré dans l’Histoire en août 1914, Monsieur Fernand Moxhet et Monsieur Francis Macours, l’instigateur du projet muséal concernant le Halifax NP-P/HR734, s’adressent à l’assistance venue à son inauguration. Le fort de Loncin faisait partie de la grande ceinture défensive de Liège au début de la 1ère guerre mondiale. Il était jugé imprenable et sa garnison avait solennellement juré de ne jamais se rendre dès les premières heures du conflit. Le fort ne se rendit pas et résista aux quelques 15.000 obus tirés par l’ennemi et jusqu’au 25ème obus de 420 mm (et pesant 900 kg) qui tomba sur le toit de la poudrière le 15 août 1914 et la volatilisa, entraînant dans la mort tous ceux qui s’y trouvaient. Ils y sont toujours ensevelis pour la plupart et le fort est devenu depuis leur mausolée. C’est dans une salle du fort demeurée intacte et baptisée « Salle John Redman » qu’est établi le musée dédié au Halifax qui s’écrasa à proximité du fort par une nuit de juillet 1943.
Monsieur Francis Macours, curateur du musée, reçoit une superbe peinture du Halifax HR734/NP-P offerte par Hubert Sermon (à droite) qui en est l’artisan et Jean Loncelle (à gauche), supporter de la première heure; tous deux sont des anciens du 3ème Wing de Bierset. |
Porté manquant
Le bombardier quadrimoteur Handley Page BMK2 immatriculé HR734 avait décollé de sa base de Lissett (Yorkshire) tard dans la soirée du 3 juillet 1943. L’appareil chargé de bombes et portant le code NP du squadron 158 de la Royal Air Force ainsi que la lettre individuelle P (P for Peter, comme disaient les équipages) mit le cap sur son objectif situé à Cologne.
L’épave du Halifax après le crash du 4 juillet 1943; on distingue, à l’arrière-plan, des poteaux indicateurs signalant Saint-Trond à 26 km et Liège à 7 km. (collection P. Hanselaer) |
Le « stream » nocturne (flux d’avions se suivant à la queue leu leu) se composait de 653 appareils, dont 182 Halifax, provenant des 3, 4, 6 et 8 groups du Bomber Command. Le dispositif offensif atteignit et attaqua son objectif sans incident notoire en tout début de nuit le 4 juillet. Une fois les bombes larguées, la consigne était de virer à droite et de prendre le cap de retour. C’est peu après que les ennuis commencèrent, car les radars de la redoutable chasse de nuit allemande guettaient leurs proies et, durant l’été 1943, son efficacité ne laissait plus planer le moindre doute !
Une maquette du Halifax et des trois membres d’équipage qui sautent en parachute à l’ouest de Liège en juillet 1943, le tout fort bien exécuté à l’échelle 1/72; à noter : le plafond voûté typique d’une casemate du fort de Loncin. | Le panneau original du fuselage arrière du Halifax récupéré par Monsieur Ernest Lowet en 1943 et qui a servi de cloison dans sa ferme d’Awans durant 66 ans. Les couleurs de la cocarde sont délavées et le bas est en fait un panneau reconstitué aux couleurs de l’époque. | Le Sergeant John Redman à l’époque où il servait au squadron 158 de la RAF. La salle du musée a été nommée ainsi à sa mémoire. (via F. Macours) |
La Nachtjagd de la Luftwaffe eut cette nuit-là raison de 30 bombardiers lourds de la RAF. Le Halifax HR734 fut détecté par le radar du chasseur de nuit allemand sur la frontière belgo-allemande et celui-ci fit feu à plusieurs reprises. Les canons meurtriers du Messerschmitt Bf 110C (immatriculé 3C+LR) piloté par l’Oberfeldwebel (adjudant chef) Reinhard Kollak de la 7./NJG 4 (7ème escadrille de la 4ème escadre de chasse de nuit) basée à Juvincourt près de Laon abattirent le P-Peter : c’était la 26ème victime à son tableau de chasse…
Touché à mort, le bombardier britannique s’écrasa à Loncin à 1H10 du matin, le long de la route Liège-Bruxelles, à une portée d’arbalète du fort. Son pilote, le jeune Flight Sergeant canadien Charles Preston pilota l’avion jusqu’au bout afin d’éviter les zones densément habitées. Il fut tué sur le coup ainsi que trois autres des sept membres d’équipage : le Sergeant Frederick Walton (mitrailleur), le Sergeant David Lock (mitrailleur) et le Sergeant Edward Macintosh (mécanicien de bord). Les trois autres membres de l’équipage avaient pu sauter en parachute : le Sergeant John Redman (bombardier), le Sergeant Cecil Carey (navigateur) et le Sergeant Victor Moss (opérateur radio) Ces trois survivants, descendus du ciel en territoire hostile, connurent des fortunes diverses.
Diorama réalisé par Monsieur Jacques D’Heur et représentant le Halifax HR734 à l’aérodrome de Lissett avant un départ en mission. L’appareil portait bien le squadron code NP-P et non NP-B comme rapporté dans l’article sur le White Bison (le document qui y est présenté comportant cette erreur de lettre individuelle). |
Le parcours des survivants
Le Sergeant Cecil Carey atterrit à proximité de la gare d’Ans où il fut bientôt cueilli par une patrouille allemande. Le Sergeant Victor Moss fut également rapidement fait prisonnier. Le parcours le plus épique fut celui du bomb aimer anglais John Redman. Il atterrit dans un champ de blé à 15 km à l’ouest de Liège et y attendit l’aube. Il se mit ensuite en route et rencontra un paysan qui lui céda des bleus de travail et une casquette. Marchant le jour et se reposant la nuit, il pénétra dans un village le matin du 6 juillet afin d’y trouver de quoi se sustenter après deux jours de jeûne consécutifs au stress du combat et du parachutage. Une femme lui fit comprendre que le résident du château tout proche (il s’est avéré ultérieurement qu’il s’agissait du Comte Antoine d’Oultremont et du château de Warfusée près de Stockay) parlait anglais et pourrait lui prêter main forte. John Redman s’y rendit et y reçut nourriture et vêtements, il put aussi y prendre un bain et l’on y soigna ses blessures. Il fut pris en charge par des patriotes le lendemain matin et, enfourchant une bicyclette, il gagna finalement Liège le 10 juillet. Il y fut hébergé cinq jours et puis convoyé jusque Bruxelles d’où il partit pour Paris où il fut capturé le 18 juillet 1943. Interné à la célèbre prison de Fresnes, il n’en sortit que pour entrer au stalag IVB à Muhlberg en octobre 1943 et n’en sera libéré que le 24 avril 1945 par les avant-gardes de l’Armée Rouge.
Le badge du squadron 158 de la Royal Air Force dont la devise était « Strength in Unity » (c’est-à-dire « l’union fait la force ») évoque sans détour la devise de la Belgique. |
Après de longues recherches, des membres de l’association « Les Ansois Reconnaissants » ont retrouvé en 1993 la trace de John Redman le bombardier, désormais seul survivant de l’équipage du Halifax HR734/NP-P. Il se rendit en 1994 au mémorial dédié à l’équipage du bombardier en compagnie de la veuve du Sergeant Moss et de la famille du défunt pilote Charles Preston. La mise sur pieds d’un musée du souvenir fut évoquée et John Redman en fut d’emblée un ardent supporter. Il confia divers souvenirs à l’association qui lança le projet, à présent concrétisé par la « salle John Redman » du fort de Loncin.
Une vitrine riche en objets relatifs à ce tragique événement qui s’est déroulé en région liégeoise durant la dernière guerre. |
Le bombardier lourd Halifax
Le Handley Page HP 57 Halifax était un bombardier quadrimoteur construit à 6.176 exemplaires en Grande-Bretagne entre 1941 et 1945. L’appareil qui s’est écrasé à Loncin en juillet 1943 est de la version B Mark 2 srs (series) 1a, dont 152 machines (immatriculées HR711 à 952) furent assemblées de mars à juillet 1943. L’ensemble des Halifax de la Royal Air Force accomplit 75.532 sorties opérationnelles et largua 255.000 tonnes de bombes durant la guerre.
Très instable dans l’axe de lacet (ce qui fut rétrospectivement corrigé en adoptant de plus grandes dérives rectangulaires) et d’un pilotage délicat sur trois ou deux moteurs, voire suicidaire sur un seul, le Halifax n’était guère prisé des équipages qui l’affublaient du sobriquet « Halibag » (Hali-le-sac) et qui lui préféraient nettement l’Avro Lancaster, beaucoup plus maniable et performant. Pratiquement tous les pilotes du Bomber Command effectuaient leur entraînement opérationnel sur Halifax (HCC ou Heavy Conversion Course) avant d’être affectés à des squadrons opérationnels sur Lancaster ou Halifax et plus rarement sur Stirling. Ce fut le cas du pilote belge Louis Rémy qui critiquait le Halibag autant qu’il ne tarissait pas d’éloges pour le Lancaster…
De petits souvenirs qui ont un cœur gros comme ça et qui sont très représentatifs de l’époque. |
Les Groupes Lourds des Forces Aériennes Françaises Libres furent exclusivement dotés de Halifax jusqu’à la fin de la guerre; les ayant ramenés en France, ils effectuèrent encore de nombreuses missions, et notamment des transports vers Madagascar lors des troubles qui secouèrent la grande île en 1947.
De nombreux Halifax furent convertis en patrouilleurs maritimes, en avions de reconnaissance météo, en remorqueurs de planeurs où ils firent merveille et connurent leur heure de gloire en Normandie et à Arnhem en 1944, certains furent également transformés pour le parachutage et des missions spéciales sur les territoires occupés en soutien à la résistance.
La dernière mission offensive effectuée par un Halifax le fut le 25 avril 1945 et tous les Halifax « versatile but much maligned aircraft » (des avions versatiles mais très vicieux) furent retirés du service du Bomber Command dès après l’armistice du 8 mai 1945.
Des murs jalonnés de panneaux informatifs tels que celui-ci et extrêmement bien documentés. |
Des petits riens… représentatifs de toute une époque !
La salle John Redman du fort de Loncin contient de nombreux objets en relation directe au Halifax qui s’y est écrasé en 1943. La pièce la plus imposante est incontestablement une partie du revêtement arrière de la carlingue avec la cocarde britannique, dont les couleurs ont subi l’outrage du temps. Il y a encore divers petits objets émouvants, comme les croix-souvenirs taillées dans les vitres en plexiglas prélevées sur l’épave du bombardier. En outre, de nombreux sympathisants du musée ont confectionné de fort intéressants dioramas et de nombreuses maquettes reconstituant, entre autres, une scène à l’aérodrome de Lissett ou encore le parachutage des membres de l’équipage du HR734 en perdition. Diverses vitrines contiennent des pièces d’équipement et d’uniformes et les murs sont amplement garnis de panneaux extrêmement bien documentés relatant l’odyssée de l’avion et de son équipage.
Cette initiative, à la fois muséale et mémorial, est assurément une belle réussite et nous ne pouvons qu’en féliciter les protagonistes et inciter le public à rendre visite à la salle John Redman et au musée du fort de Loncin, une promenade plaisante autant qu’instructive et qui vaut le détour !
Jean-Pierre Decock
www.fortdeloncin.be Accessible le samedi et le dimanche de 14 à 18 H. Entrée : 2€
Photos de l’auteur, sauf indications contraires. Merci à Monsieur Francis Macours pour son aide iconographique.