Gosselies, 26 octobre 2011. C’est l’actuel président du conseil d’administration, Pierre Sonveaux, qui est à l’origine du projet de retracer l’historique de la Sonaca au travers d’un livre marquant ses 80 ans d’activités. Et au cours de la préparation de celui-ci, il s’implique de plus en plus à la fois dans la rédaction et la recherche de documents. Ingénieur commercial de formation, il est en charge du dossier Sonaca lorsqu’il dirige le cabinet du ministre-président de la Région wallonne, Robert Collignon, durant la législature 1995-1999. Afin d’en assurer le suivi rapproché, en 1996 il est désigné président du conseil d’administration de la société, position qu’il occupe depuis avec beaucoup d’engagement et de détermination. Il est en outre depuis 2005 président du WAN, Centre wallon de formation en aéronautique, et, depuis 2009, du Pôle de Compétitivité wallon Skywin.
Sonaca 80 ans de passion aéronautique. (Photo Guy Viselé) |
C’est dans les installations de la Sonaca, sur l’aéroport de Charleroi-Gosselies, que nous rencontrons Pierre Taquet, contracts/sales manager, en sa qualité de co-auteur du livre consacré aux 80 ans de l’entreprise.
Pierre Taquet, co-auteur et passionné d’aviation, devant un T-6 Harvard. (Photo Sonaca) |
Pierre Taquet s’intéresse depuis son plus jeune âge à l’aviation, et notamment à son histoire. Il entre à la Sonaca en septembre 1979 en tant qu’ingénieur civil mécanicien de formation, et contribue aux études de l’Airbus A310. Il évoluera progressivement vers la gestion de programmes et le développement des affaires. Son domaine d’action privilégié est le secteur spatial, dont il est un des initiateurs à la Sonaca, et dont il est actuellement responsable.
Les deux auteurs ont voulu marquer la célébration des 80 ans d’existence de Sonaca par l’édition de ce livre, qui suit vingt ans après, l’ouvrage « Une maîtrise certaine du ciel », paru à l’occasion du soixantième anniversaire de l’entreprise, et auquel il emprunte la substance des premiers chapitres.
C’est en effet en 1931 que naît Fairey Belgique, contrainte de déposer son bilan en 1977, mais qui renaît en 1978 par la reprise de ses activités par une nouvelle société, la Sonaca. Comme le dit Pierre Sonveaux dans son avant-propos, « C’est 80 années de l’histoire de ces deux sociétés dont l’une est l’émanation de l’autre, qui vous sont contées ». Histoire passionnante qui décrit en 26 chapitres l’évolution et les changements profonds d’une entreprise mais aussi de tout le secteur industriel aéronautique. Si la première partie reprend l’historique passionnant des années Fairey, la période 1978 à 2011 décrit les énormes changements qui se sont opérés depuis afin d’adapter l’entreprise aux exigences toujours plus fortes de compétitivité et de globalisation d’un secteur dynamique.
Le début de l’histoire
L’histoire débute par l’implantation de la Sega (Société anonyme d’Entreprises Générales Aéronautiques), à l’initiative du Commandant Jacquet, sur l’aérodrome de Gosselies qui sera inauguré en 1920 par le roi Albert 1er. La Sega lancera la production sous licence des Avia BH-21 de conception tchèque. L’Aéronautique militaire belge envisage son remplacement dès la fin 1929. Ses pilotes sont séduits par les performances du chasseur biplan monoplace anglais Fairey Firefly. Le gouvernement belge en fait son premier choix mais impose que la production se fasse en Belgique. Le constructeur anglais Fairey n’hésite pas et charge un de ses fidèles collaborateurs, belge de surcroît, Ernest Oscar Tips, de créer et de diriger la nouvelle société de droit belge « Avions Fairey SA », formellement constituée le 12 septembre 1931, dont la Sega est également actionnaire. Pas moins de 88 chasseurs Firefly de différents modèles seront construits, suivis par son dérivé , le bombardier léger Fox, dont 199 exemplaires seront produits par Fairey Belgique.
Le personnel de Fairey SA pose devant les installations de l’époque (1933), à l’occasion de la livraison du premier Fairey Fox II construit à Gosselies. (Photo Sonaca) |
A l’approche de la guerre, Fairey reçoit une commande de 80 Hawker Hurricane, dont seuls deux appareils seront terminés début mai 1940, et un seul, le H-42, livré en escadrille. L’usine de Gosselies est bombardée et fortement endommagée le 10 mai 1940. Ernest Tips rejoint l’Angleterre avec une partie de l’outillage et du personnel. Il se retrouve chez Fairey à Hayes, en tant qu’ingénieur en chef de recherches et essais. Deux des avions légers qu’il avait conçu en Belgique, auquel tout un chapitre est consacré, le Tipsy M et le Tipsy BC, sont transférés outre-Manche juste avant le début du conflit, et serviront comme avions de liaison au sein de la RAF.
Le Tipsy Belfair OO-TIC, biplace et version d’après-guerre du Tipsy BC, établit plusieurs records de distance dans les années cinquante. Il est maintenant exposé au Musée de l’Air de Bruxelles. (Photo Guy Viselé) |
L’après-guerre
Tout est à reconstruire après-guerre. Ernest Tips remet l’usine en état, et démarre des activités d’entretien et de modifications d’avions existants, principalement des Spitfire, T-6 et C-47. La création de la Force Aérienne Belge en 1949, les débuts de la guerre froide et la création de l’OTAN encouragent des programmes de réarmement et de modernisation, dont Fairey va bénéficier pendant plusieurs décennies, participant aux programmes industriels liés aux Gloster Meteor, Hawker Hunter, F-104G, Mirage V, Alpha Jet et F-16. Mais ces contrats sont éminemment cycliques, et avec le temps, de plus en plus espacés, ce qui pose d’énormes problèmes. L’entreprise doit de se diversifier afin de ne pas dépendre exclusivement des commandes militaires de plus en plus espacée.
Photographié lors du meeting aérien organisé par Fairey en 1962, ce F-104G arbore son numéro de construction 9008. Il sera livré à la Luftwaffe avec le code 25+62. (Photo Guy Viselé) |
Pour Fairey, le programme OTAN d’avion de lutte anti-sous-marine lancé fin 1956, et qui résulte dans le choix du Bréguet Atlantic, marque le début d’un processus de coopération internationale depuis le développement jusqu’à l’industrialisation. Fairey intervient dans la production et l’assemblage de surfaces de contrôle, en l’occurrence les volets hypersustentateurs et leurs rails-guides.
Cette nécessaire diversification d’activités comporte des risques, et la reprise de Britten-Norman en 1972, avec une production qui atteindra 13 machines par mois dans l’usine de Gosselies en 1973 et 1974, entraînera avec une chute de ce marché et l’accumulation d’un stock important d’avions non-vendus la faillite du groupe Fairey en 1977, la situation financière étant devenue intenable.
L’accumulation de Britten-Norman invendus entrainera des problèmes de trésorerie énormes qui conduiront à la faillite de Fairey en 1977. (Photo Guy Viselé) |
De Fairey à Sonaca
Entretemps, la Belgique avait choisi en 1975 de commander le chasseur General Dynamics F-16 et Fairey est un des partenaires industriels majeurs. La société est en effet une pièce essentielle du méccano mis en place pour la réalisation du contrat F-16, intervient également dans les fabrications destinées aux Alpha Jet commandés par la Force Aérienne, et est toujours active dans les compensations liées au programme Mirage 5. S’ajoute l’impact social du dossier, le tout incitant le gouvernement à rechercher une solution au travers de la constitution d’une nouvelle société à capitaux mixtes. Celle-ci est créée le 10 avril 1978 sous le nom de Sonaca, Société Nationale de Construction Aérospatiale.
La nouvelle Sonaca tire les leçons de l’échec de Fairey. Forte de l’excellence de son savoir-faire et de sa capacité technique et industrielle, notamment dans la conception et la fabrication de surfaces de contrôle, c’est sur cette spécialité que l’entreprise mise comme pièce angulaire de son développement. Et c’est l’entrée dans le programme Airbus, avec un premier contrat conclu en 1979, pour la production de tous les becs mobiles des bords d’attaque des voilures des A310.
Rencontre symbolique des deux produits-phares qui permettront le redémarrage sur des bases industrielles stables et riches de potentiel: le General Dynamics F-16A et l’Airbus A310 se croisent lors du Salon du Bourget au début des années 80. (Photo Sonaca) |
Depuis, grâce à un vaste programme de rééquipement tant en machines-outils qu’en moyens informatiques, la Sonaca est et reste un des partenaires privilégiés du groupe Airbus, et participe aux programmes civils A320, A330/340, A380 et A350, et militaire A400M.
Fin octobre de cette année, l’entreprise livrait d’ailleurs le 5.000ème jeu de bords d’attaque d’Airbus A320, composé de 10 slats (5 slats/aile).
Le pari Embraer
Un pari identique est pris en 1993 en s’associant comme partenaire à risque d’Embraer dans le projet d’avion de transport régional biréacteur EMB-135/145. Sonaca assumera le développement et la production des corps de fuselage central et arrière, et les pylones moteurs, ainsi que l’étude et la fourniture des bords d’attaque fixes de l’aile. L’entreprise carolorégienne est actuellement associée au programme EMB-170 et EMB-190, mais avec un accroissement de la part brésilienne qui est aussi à la base de l’implantation de la Sonaca au Brésil.
Se sont ajoutés au fil des ans des contrats importants avec le groupe Bombardier, avec Dassault dans le cadre du Falcon 7X, l’entrée dans le spatial (notamment le développement du cône extérieur du bouclier anti-météorite du module européen Columbus), ainsi qu’une participation au programme de drone B-Hunter et un très bref flirt avec l’ULM (Falcon).
Illustration de la modernité et de la haute technicité des fabrications Sonaca, cette machine-outil effectue le rivetage automatique des portes de train principal de 1’A400M réalisées entièrement en fibre de carbone. (Photo Sonaca) |
La production est depuis 80 ans au cœur du métier de Fairey d’abord, de Sonaca ensuite: elle a dû s’adapter en permanence en faisant évoluer son équipement et en remettant régulièrement en cause son organisation, sa gestion et son modèle d’entreprise. Elle a aussi dû s’adapter à la nécessaire internationalisation du secteur. La crise du secteur qui fait suite aux événements de 2001, et la crise économique depuis 2008, conjuguées à l’évolution défavorable du dollar, entraîne une pression permanente des clients sur les prix, et impose à la Sonaca de poursuivre de manière accélérée le processus d’amélioration de sa compétitivité. Ceci amène l’entreprise à se rapprocher de ses clients et à s’internationaliser. Elle est maintenant présente de façon globale au travers de filiales implantées au Brésil, au Canada, aux Etats-Unis, et tout récemment en Chine. A fin 2010, l’entreprise occupait un peu plus de 2.000 personnes dans l’ensemble de ses installations, dont 1.400 sur le site de Gosselies. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 221 millions d’euros et livrés en 2010 des éléments de structure pour 849 avions (539 à Airbus, 240 à Embraer et 70 à Dassault).
Le livre
Les différents chapitres du livre se lisent de façon agréable, et abordent divers sujets moins connus, tels que l’activité de la flotte de transport aérien de Fairey à l’époque de la production des F-104G. Deux Bristol 170 Freighters et un DC-4 opérèrent ce qui fut un précurseur à échelle réduite de ce qui est maintenant mis en œuvre chez Airbus avec des Belluga pour acheminer les différents éléments en provenance des sous-traitants vers la chaîne d’assemblage final.
Un des Bristol 170 Freighter utilisé au début des années soixante pour transporter les éléments de F-104G d’une usine à l’autre. (Photo Guy Viselé) |
Les aspects humains ne sont pas négligés et un hommage est rendu aux pilotes de l’entreprise et à son personnel. Agrémenté d’articles de contributeurs extérieurs, il relate notamment le vol bisonique du roi Baudouin en TF-104G, l’histoire d’Airbus, d’Embraer, de Dassault, et de Bombardier, auxquels la SONACA fournit en tant que partenaire à risque différents éléments de structure à très haute technicité. Le livre est abondamment illustré de plus de 230 photos noir et blanc et couleurs, souvent inédites, mais aussi de magnifiques profils couleurs (notamment du Fairey Fox) dûs au talent de Georges Pradez, et même d’un dessin du chat de l’illustre de Philippe Geluck.
Cet excellent ouvrage se penche sur un passé glorieux mais décrit aussi la stratégie et les atouts d’une entreprise qui a connu des crises, mais dont le savoir-faire et l’ingéniosité, alliés à des prises de risques inévitables dans ce secteur, lui promettent un avenir passionnant. Nul ne sait de quoi les vingt prochaines années vont être faites, mais la Sonaca les aborde avec confiance.
Imprimé par Snel. Format : 24 x 30 cm. Disponible par commande chez Pierre Fernémont (pierre.fernemont@sonaca.com tel : 071/25.50.84. fax : 071/34.40.35.) au prix de 25 euros frais de port compris. On devrait bientôt trouver le livre au prix de 20 euros au shop du Musée de l’Air de Bruxelles, et à la Librairie « La Source du Livre », Rue de la Source (dans le piétonnier), à Wavre.
Guy Viselé