Coxyde, le 1er avril 2015. La Belgique est un pays très aérophile et donc propice à l’éclosion de talents en matière d’aviation et, s’il est un pilote talentueux parmi tous ceux que compte le pays, c’est sans aucun doute Philip Avonds qui a accepté, de bonne grâce, une entrevue – tour d’horizon sur sa fabuleuse carrière et ses triomphes que sa grande modestie tend à estomper quelque peu. Ce sont les étapes majeures du parcours d’un aviateur et d’un concepteur, constructeur et pilote surdoué de modèles réduits d’avions radioguidés qui son retracées dans le présent article.
Tombé dedans, déjà tout petit…
C’est en quelque sorte son oncle, Jacques Lebeau, qui a inoculé le virus de l’aviation à son neveu Philip Avonds. Jacques Lebeau a fait carrière à la Force Aérienne mais a été, de tous temps, un fin constructeur de modèles réduits d’avions téléguidés qui ne répugnait pas du tout à donner un sérieux coup de main à plusieurs de ses amis pilotes qui construisaient un avion en tant qu’amateurs. Il était donc dans l’ordre des choses qu’il ait été le mentor de son neveu pour la pratique de la construction et du pilotage de modèles réduits d’avions. L’expérience fut enrichissante car, comme le prétend Philip Avonds, le pilotage d’un aéromodèle est plus complexe que celui d’un avion réel, vu qu’il faut le contrôler du tout début à la toute fin de chaque vol en s’imaginant être aux commandes à bord, le pilotage ne pouvant se faire qu’à distance… Compte tenu de ce constat, l’atterrissage qui est la phase la plus délicate de tout vol, l’est encore davantage avec un avion miniature et Philip Avonds avoue avoir crashé plus d’un petit zinc mais qu’il l’a fait en tant qu’autodidacte et n’a jamais bénéficié de l’assistance d’un club. La passion du vol et du pilotage allant en s’amplifiant, c’est tout naturellement qu’il est devenu candidat pilote auxiliaire à la Force Aérienne et fut incorporé le 28 octobre 1976 à la promotion 76B.
Carrière à la Force Aérienne
Dès son entrée à la Force Aérienne, Philip Avonds a suivi le cursus classique de l’époque comprenant 125 heures de vol sur SIAI-Marchetti SF260M à l’Ecole de Pilotage Elémentaire de Gossoncourt suivies de 125 heures sur Fouga Magister et 100 heures sur Lockheed T-33 à Brustem. Il lui arriva, durant son passage au Centre de Perfectionnement, une péripétie assez stressante lors d’un vol en Fouga Magister, en l’occurrence lors de son second vol seul à bord de ce petit biréacteur école. Il subit, en effet, une perte de pression hydraulique au moment du break précédant l’atterrissage. Il dut en conséquence poser l’avion sans les volets (qui abaissent la vitesse d’approche tout en augmentant la sustentation), descendre le train d’atterrissage manuellement et se poser sans freins… Mais tout se passa sans encombres et il ramena la machine sur le plancher des vaches sans autres problèmes. Incidemment, Philippe Avonds affirme que le Fouga Magister est plus vicieux à poser que le F-104G pour cause de décrochage en bouts d’ail dont le vrillage de deux degrés est insuffisant pour contrecarrer ce phénomène.
Vers la fin de sa formation de pilote début 1979, Philip Avonds aux commandes du Lockheed T-33A immatriculé FT38 de la 11ème escadrille du Centre de Perfectionnement de Brustem. |
Il reçut ses ailes de pilote le 1er mars 1979 et fut affecté à l’OCU (Operational Conversion Unit) TF-104G à Kleine-Brogel et obtint sa qualification avec brio avant de passer à la 31ème escadrille « Tigers ». Il accumula 650 heures de vol sur Starfighter préalablement à sa conversion sur F-16 en juin 1983, appartenant toujours à la 31ème escadrille du 10ème wing.
Retour au paddock de Philip Avonds à l’issue de son lâcher sur Lockheed TF-104G Starfighter à Kleine-Brogel le 23 mai 1979. |
Un vol en F-104G lui donna des sueurs froides. Au retour d’un vol d’acrobatie à deux avions au-dessus de l’aérodrome de Weelde avec Jean-Paul « Pedro » Buyse comme ailier, Philip Avonds réduisit les gaz et entendit soudain plusieurs boums inquiétants à l’arrière de la carlingue. La chute des RPM (tours moteur), l’augmentation de l’EGT (exhaust gas temperature ou température des gaz à l’éjection) et la perte de puissance indiquaient un « compressor stall » (décrochage du compresseur). Il coupa son réacteur et, du fait du ralentissement qui en résulta, il fut dépassé par « Pedro » Buyse tandis qu’il appuyait sur les « ignition switches » (contacts d’allumage). Il regagna un peu de puissance et ses instruments étant stables, il vint se poser en vol plané à Kleine-Brogel. Même si ce vol sans moteur fut bref, il convient de souligner que le F-104G avec ses courtes ailes planait plutôt comme un fer à repasser.
Par contre, il put assouvir ses aspirations à pratiquer l’aéromodélisme car, sur la base de Kleine-Brogel, il y avait un club très actif dans la construction et du pilotage de modèles réduits radiocommandés et l’émulation entre les membres du club faisait de la compétition le maître mot. Philip Avonds en fit, bien entendu, partie et participa à sa toute première compétition avec une maquette de Grumman F9F Cougar (qu’il possède d’ailleurs toujours) en 1982 au Royaume-Uni et y décrocha la 3ème place… Un podium pour une première tentative : le coup d’essai était un coup de maître.
Mutation sur hélicoptère SAR
Philip Avonds fut qualifié sur F-16A en juillet 1983. Après un an de vol opérationnel sur le nouveau chasseur, des raisons médicales l’obligèrent à renoncer au pilotage des avions de combat. Le choix lui fut donné entre passer au transport aérien ou aux hélicoptères de recherche et de sauvetage (SAR) à Coxyde. Philip Avonds opta pour la 40ème escadrille parce que la base de Coxyde lui permettait de s’adonner à son dada pratiquement sans restrictions, dans la mesure où il pouvait faire décoller et atterrir ses modèles réduits sur une piste en béton, chose impossible à Melsbroek. Il prit d’ailleurs cette potion d’autant plus volontiers qu’il envisageait de développer une maquette volante radiocommandée du fameux chasseur américain F-15A Eagle dans lequel il avait eu le privilège de voler en « back seat » (siège arrière) lors du Tiger Meet à Leck (Allemagne) auquel il prit part en tant que tigre de la 31ème escadrille.
Pose un peu spéciale pour la photo après la qualification sur F-16A le 8 juillet 1983, alors qu’il faisait partie des Tigers du 10ème wing. |
Philip Avonds rejoignit la 40ème escadrille le 20 août 1984 pour y entamer sa conversion sur hélicoptère Sikorsky HSS-1/S-58 durant cinquante heures avant la prise en mains du Westland Sea King MK48. Une fois qualifié, il prit ses rôles de permanence de recherche et sauvetage en mer ou sur terre au sein de la 40ème escadrille dont c’était la mission. Une de ses interventions parmi les plus mémorables se déroula après un scramble (décollage en urgence) au petit matin pour aller secourir un naufragé dérivant au large de Blankenberge à bord d’un canot pneumatique. Arrivé sur les lieux, le Sea King aperçut l’infortuné marin qui gisait inanimé dans son dinghy et la décision fut prise de descendre le plongeur qui constata que, bien qu’immobile, celui-ci était toujours vivant. Le naufragé fut hélitreuillé à bord pour l’emmener sans tarder dans un hôpital. Alors que le plongeur et la victime étaient sur le point d’être saisis à bord de l’hélicoptère, le naufragé s’éveilla inopinément et se mit à gesticuler frénétiquement et tout l’équipage suffit à peine pour le maîtriser. Philip Avonds, au poste de pilotage, se retourna à cause du raffut et vit tous les membres de l’équipage maintenant le forcené, sauf le « médic » qui était prêt à lui administrer une bonne piqûre de calmant qui fit rapidement son effet. Une fois débarqué, le virulent secouru était furieux d’avoir perdu sa botte gauche – avec éperon – lors des opérations de sauvetage; le fait est qu’il était ivre et s’était soûlé et avait inconsciemment pris la mer parce que sa petite amie l’avait plaqué. Les sauveteurs vivent parfois des situations aberrantes lors de leurs missions de secours.
Le Pape Jean-Paul II fit, lors de sa visite en Belgique en 1985, de nombreux déplacements à bord des Sea King de la 40ème escadrille. C’est Philip Avonds qui confectionna le cadeau papal offert à Sa Sainteté par l’escadrille, à savoir une calotte blanche surmontée d’une hélice, le tout fixé sur un socle. Le Pape accepta la « calotte volante » avec un grand éclat de rire.
Le dramatique naufrage du ferry-boat « Herald of Free Enterprise » le 6 mars 1987 à la sortie du port de Zeebruges mobilisa tout les effectifs disponibles de la 40ème escadrille, soit trois Sea King (RS01, RS02 et RS03) et six équipages ainsi qu’une Alouette III du flight héli de la Marine. Philip Avonds y participa aux commandes du RS01. Collectivement, les hélicoptères et les équipages furent sur la brèche durant 22 heures 56 minutes et sauvèrent de nombreux passagers de la noyade. Pour cet exploit humanitaire, l’escadrille se vit attribuer le prix Paul Tissandier de la FAI (Fédération Aéronautique Internationale) décerné pour faits exceptionnels dans l’aviation…
Champion du monde !
Ayant pris part à sa première compétition d’aéromodélisme au Royaume-Uni en 1982 alors qu’il était encore pilote à la 31ème escadrille de Kleine-Brogel, Philip Avonds y décrocha la médaille de bronze. Ce beau début ne pouvait demeurer sans lendemains et il construisit un P-51B Mustang avec lequel il atteignit la 8ème place lors du championnat du monde au Bourget en 1984. Il fit beaucoup voler son Mustang jusqu’à ce qu’il soit démoli dans un crash ; il en a gardé l’aile droite et l’arrière du fuselage avec les empennages comme souvenir.
Cette même année germa le projet de réaliser une maquette volante du F-15 Eagle à l’échelle 1/9, soit neuf fois plus petite que le vrai, ce qui en fait quand même un modèle réduit pour le moins imposant. Le projet fut concrétisé et permit de participer aux championnats en Norvège en 1986 où il se classa 6ème. En 1987, il obtint la 2ème place aux championnats d’Europe avec son F-15. L’apothéose fut le championnat du monde à Gorizia en Italie en 1988 où Philip Avonds fut sacré champion du monde.
La valse des succès ne faisait que commencer, car il décrocha la première place aux championnats d’Europe à Périgueux en France et la 1ère place aussi lors du championnat du monde à Varsovie en 1990, toujours en pilotant son prodigieux F-15.
C’est en 1985 qu’il décida de commercialiser ses créations afin de financer son hobby ainsi que les frais de voyage engendrés par ses participations aux concours internationaux. A partir de 1995, la compétition concernant les modèles à réaction devint une catégorie à part entière. Pour le premier championnat du monde de la catégorie, Philip Avonds conquit la 4ème place. C’est durant la période 1990-1995 qu’il compléta encore son escadrille avec une maquette de Rafale A et une autre de F-16A.
Philip Avonds prouva à nouveau l’excellence de ses productions et sa maîtrise du pilotage avec son Fouga Magister en livrée de diable rouge (le vrai étant piloté par Paul Rorive) en remportant les championnats du monde de 2011 à Dayton/Wright Patterson Air Force Base (USA) et à Meiringen (Suisse) en 2013. Il ne monta pas sur la plus haute marche du podium, mais bien sur la seconde, comme vice-champion du monde, à Leutkirch am Allgau (Allemagne) en août 2015 en pilotant avec maestria son beau Fouga MT48 écarlate. Un tel palmarès est édifiant et porte haut les couleurs de la Belgique.
Un détour par les drones
Lorsque l’Armée Belge renonça aux drones Shelduck américains au début des années 90, conjointement à la mise en service des missiles d’interception Mistral, les militaires décidèrent de construire eux-mêmes leurs engins cibles ou drones à moindre coût, les fournisseurs traditionnels s’avérant fort onéreux. Pour y arriver, ils firent appel à Philip Avonds dont les aptitudes à construire et à faire voler des avions téléguidés était notoire. Philip Avonds assura les essais du pilotage du nouvel engin sur la plage de Lombardsijde. Ceux-ci furent concluants et les militaires lui demandèrent de fournir les plans ainsi que son aide pour la production contre une rémunération forfaitaire unique, tandis qu’ils construiraient les drones eux-mêmes. Baptisé Ultima, ce nouveau drone conçu par Philip Avonds sert lors des exercices annuels de tir de Mistral en Crète. Les militaires ont d’abord lancé la construction d’une série de 750 Ultima en 1994 et il semblerait en 2015 que plus d’un millier de ces drones aient été construits.
Philip Avonds a terminé sa carrière de pilote militaire en tant que pilote d’hélicoptères Sea King. Il a été responsable des vols de réception de Sea King au titre de pilote d’essais après les grandes visites de maintenance des appareils. Il a également œuvré au sein de l’équipe chargée de la modernisation du système de vol automatique effectuée chez le constructeur Westland. Entre 1985 et son départ à la retraite, il a engrangé 3.200 heures de vol, le dernier ayant été accompli sur le RS01 le 24 octobre 2003, jour de son 45ème anniversaire. Depuis lors, et fort de ses nombreux succès dans le domaine de la construction et du pilotage à distance de grands modèles réduits d’avions, il a sérieusement développé ce volet de ses activités. Ses compétences multiples, dûment reconnues à l’étranger, rencontrent un franc succès et c’est tout à l’honneur de ce sympathique pilote et constructeur réellement talentueux.
Dans le grenier et atelier de Philip Avonds, deux panoplies de trophées en enfilade, mais il y en a encore beaucoup d’autres rangés en divers endroits de son atelier. (Photo : Jean-Pierre Decock) |
Jean-Pierre Decock
Photos : archives Philip Avonds
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