Le Mirage (bien réel !) de Celle…

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Gingelom, le 16 mai 2016. Aux confins des Brabant Flamand et Wallon, nous découvrons avec émerveillement la partie avant du Mirage 5 BA immatriculé BA 27 dans un état immaculé. Celle-ci est devenue la propriété de Marcel « Celle » De Petter après qu’il ait égrené un chapelet de péripéties, et « chapelet » n’est pas un vain mot !

En mai 2016, l’homme à la base du projet de restauration, le Commandant Aviateur e.r. Marcel « Celle » De Petter devant la partie avant du Mirage 5 BA 27. (JP Decock)

Marcel De Petter est un ancien pilote de Mirage 5 à la Force Aérienne qui est devenu un inconditionnel (comme tous les passionnés, d’ailleurs) de cet avion mythique. Le Mirage a connu ses plus belles heures de gloire lorsqu’à bord d’un Mirage III, Jacqueline Auriol a battu le record du monde de vitesse. Mais la réputation de chasseur du Mirage fut révélée par les succès en combat aérien des pilotes israéliens lors de la guerre dite des six jours en 1967. Il y eut bien d’autres hauts faits d’arme de cet avion, désormais légendaire, y compris en Belgique qui en acquit 106 exemplaires (63 BA monoplaces d’attaque, 16 BD biplaces et 27 BR de reconnaissance photo) le 18 février 1968. Ceux-ci furent mis en service à la Force Aérienne à partir de juin 1970.

Le BA 27 se prépare à atterrir en 1985 ; il porte l’emblème de la 8ème escadrille du 3ème wing tactique (cocotte d’argent sur écu à fond bleu) appliqué sur la dérive. (Archives JP Decock)

Mordu du Mirage

Marcel « Celle » De Petter faisait partie de la promotion 72B de la Force Aérienne. Après sa formation sur SIAI-Marchetti SF260M, Fouga CM170.R Magister et Lockheed T-33, il entama sa conversion opérationnelle sur Mirage 5B à la 8ème escadrille du 3ème wing tactique. Il accomplit son premier vol solo le 13 mai 1974 à bord du BA 19, celui-là même à bord duquel SAR le Prince Philippe, futur Roi des Belges, effectuera son premier vol solo Mirage à Bierset le 12 octobre 1982. Après un passage à la 2ème escadrille du 2ème wing tactique de Florennes, Celle De Petter fut affecté à la 8ème escadrille (à l’emblème de la cocotte bleue) du 3ème wing tactique de Bierset en tant qu’instructeur sur Mirage 5. Ironie du sort, c’est en menant une formation de cinq Mirage alors qu’il pilotait le BA 19 le 8 mai 1985 que des problèmes de moteur le contraignirent à tenter un atterrissage d’urgence à Gütersloh (Allemagne), mais lors de l’approche, l’appareil devint ingouvernable et Celle n’eut d’autre alternative que d’actionner son siège éjectable; s’il ne subit que des problèmes physiques relativement mineurs, le BA 19 fut réduit à l’état d’épave. Cette terrible expérience lui valut de devenir le membre numéro 3966 du fameux « Caterpillar Club » ouvert uniquement à ceux qui doivent la vie à un siège éjectable Martin-Baker.

Le cockpit ouvert révèle le siège éjectable Martin-Baker MK10 conforme à l’original et la souris (cône dans l’entrée d’air) mobile pour moduler l’apport d’air au réacteur en fonction de la vitesse de l’appareil. (JP Decock)

Marcel De Petter était de la formation des Mirage qui fit le tour des bases belges, en guise d’adieu, lors du dernier vol de la 8ème escadrille le jour de sa dissolution le 13 septembre 1991, peu après son déploiement de janvier à mars 1991 à Dyarbakir en Turquie orientale dans le cadre de la première guerre du Golfe.

Marcel De Petter fut ensuite versé au 15ème wing de transport et, plus spécifiquement, à la 20ème escadrille sur Lockheed C-130H Hercules jusqu’en 1996, lorsqu’il partit à la retraite avec un grand total de 6.800 heures au compteur, dont 3.200 sur Mirage 5. Le recordman de la Force Aérienne Belge (et peut-être même du monde) en la matière est Auguste « Gus » Janssens avec plus de 4.000 heures aux commandes du chasseur à aile delta, suivi par Franciscus « Cis » Aerts, tous deux membres de la 8ème escadrille et as du Mirage !

BA 27 ou la quête du Graal

Avec un tel palmarès et un «  fighter spirit » demeuré intact, le Commandant Aviateur Marcel « Celle » De Petter ne pouvait développer qu’une passion dévorante pour un avion « d’homme » aussi légendaire que le Mirage et celle-ci alla en s’amplifiant alors qu’il était pensionné et avait quitté l’aviation militaire. Il fut membre fondateur – et est actuellement toujours administrateur – de la Mirage Pilots Association créée au tout début du 21ème siècle. Sa participation active à cette association d’anciens pilotes de Mirage l’incita à reconstituer le tableau de bord fracassé du BA 19, dont il s’était éjecté en 1985, et qu’il avait pu retrouver chez un collectionneur établi à Bruges.

Le BA 27 cockpit fermé montre bien l’absence de la pointe du nez qui sera remontée dans un proche avenir. (JP Decock)

Sa quête des instruments pour refaire le « bureau » du Mirage 5 l’emmena de plus en plus loin et à contacter de nombreux individus et organismes qui l’aidèrent d’une façon ou d’une autre. L’horizon des recherches s’élargissant (et l’appétit venant en mangeant, comme on dit), Celle De Petter fut mis au courant de la vente aux enchères à des fins caritatives d’un ancien Mirage belge (le BR 21) comme pièce maîtresse parmi d’autres objets relatifs à l’aviation à l’Hôtel Dassault à Paris le 29 octobre 2010. Si ce phénomène n’eut guère d’écho chez Celle, il l’aiguillonna cependant et ses explorations le mirent en contact avec un collectionneur et designer français qui avait acquis le Mirage 5 BA 27 qu’il avait carrément scié en deux, ne gardant que les ailes et la partie arrière (sans réacteur) pour en faire le mobilier « branché » d’une boîte de nuit parisienne… La moitié avant était à vendre et Celle cassa sa tirelire : ici commence une nouvelle et palpitante aventure pour Marcel « Celle » De Petter…

La grande aventure du cockpit du BA 27

Malgré le « massacre à la tronçonneuse » qu’avait subi le BA 27, la partie avant longue de huit mètres était relativement en bon état, bien que vidée de ses instruments et de son siège éjectable. La peinture extérieure était également bien conservée depuis le retrait de l’appareil des effectifs de la Force Aérienne Belge.

Le tableau de bord et le cockpit restaurés et complets, y compris les instruments fixés en haut du tableau de bord qui, conjugués à l’étroitesse de l’habitacle, ne facilitaient guère la vue vers l’avant des pilotes de Mirage 5. (JP Decock)

C’est en août 1971 que le BA 27 fut mis en service et accomplit ensuite une carrière longue de vingt-deux ans, essentiellement à la 8ème escadrille basée à Bierset. Il fut mis au sol en janvier 1994, comme tous les Mirage 5, et fut stocké à Weelde jusqu’à sa revente en 1998 à la société française SAGEM spécialisée en matériels destinés à la défense. Cette entreprise récupéra divers éléments des avions pour les revendre comme pièces détachées, les fuselages étant généralement revendus pour devenir des monuments ou des gardiens placés à l’entrée d’aérodromes ou même entrer dans des collections privées ou publiques.

Vue rapprochée sur le collimateur allumé et sa glace de projection avec, au devant, le défilement d’une vidéo sonore de Mirage 5 en action. (JP Decock)

Un transport spécial amena la partie avant du BA 27 chez son nouveau propriétaire en mai 2014 et ce dernier le plaça dans un grand abri de jardin dans des conditions très satisfaisantes. Celle De Petter voulait reconstituer le cockpit du BA 27 et, vu son état à la livraison, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait du pain sur la planche. Heureusement, et après avoir pris contact avec des anciens mécanos et techniciens du 3ème wing tactique, généralement membres de la fraternelle « The White Bison » regroupant des anciens de la base liégeoise, Celle put compter sur un fan club d’experts. C’est ainsi que le BA 27 CC vit le jour (pour BA 27 Cockpit Club), dont le noyau dur était constitué de Patrick Bouchans (modéliste), Claude Mozin (électricien), Marc Schraepen et surtout Clément Wayet, électronicien et spécialiste en instruments Mirage 5, ce dernier (âgé de 74 ans) fut rejoint pas son fils Jean-Claude et son petit-fils Jérôme : une belle famille de passionnés dont l’enthousiasme et l’expertise vinrent à bout des problèmes les plus ardus. Leur seul point de départ était la liasse de plans d’un Mirage 5 BD biplace amicalement fournie par la SABCA.

Grâce à leur savoir-faire, ces techniciens tenaces sont parvenus à reconstruire un cockpit archi-complet, malgré que de nombreux instruments et pièces ne fussent pas d’origine. C’était pareil pour le siège éjectable du type Martin-Baker M K10.

Le team BA 27 Cockpit Club avec son leader, Marcel « Celle » De Petter tenant l’emblème, et ses membres enthousiastes et compétents. A gauche, en fin de rangée, les trois générations de Wayet : Clément âgé de 74 ans, Jean-Claude et Jérôme. (via Marcel De Petter) 

Toujours grâce à l’aide bienveillante de la SABCA, tout le câblage électrique du poste de pilotage a pu être réinstallé et fonctionne, permettant d’éclairer le tableau de bord en conditions dites de vol de nuit. Même si cela parait évident, il s’agit néanmoins d’une prouesse technique pour laquelle on peut féliciter le BA 27 CC.

La glace du collimateur est installée et le dispositif fonctionne adéquatement, opérations réalisées sur base du tableau de bord du BR 12 (avec lequel il avait volé lors du déploiement à Dyarbakir début 1991) racheté par Celle De Petter chez un collectionneur à la frontière franco-suisse. L’intention de celui-ci est de projeter des vidéos dont l’image et la bande sonore permettront une mise en condition proche de la réalité pour ceux qui auront le bonheur, dans un avenir rapproché, de s’installer dans l’habitacle du BA 27 totalement relooké. Cette ultime étape est prévue une fois que le nez, actuellement posé à terre devant la partie avant de l’avion, sera remonté, c’est-à-dire dès que la réserve de bois à brûler derrière l’avion sera liquidée, laissant la place pour reculer suffisamment la partie du Mirage et dégager ainsi l’espace nécessaire à l’appareil muni de sa pointe.

Le BA 27 en 1981 lors d’une période de tir à Solenzara (Corse) avec un rack pour rocket pod au point d’attache extérieur sous voilure. (Marc Rostaing)

La restauration de grande qualité du BA 27 a requis beaucoup de temps et d’argent, mais surtout de passion et d’enthousiasme, indispensables pour surmonter les nombreux obstacles. Celle De Petter et les techniciens du BA 27 CC n’ont ménagé ni leurs heures de travail, ni leur peine pour atteindre la quasi-perfection dans la reconstitution du cockpit de l’avion : job well done, comme on dit chez les aviateurs !

Dans son élément durant plus de vingt ans

Il ne s’agit pas d’un passage en revue minutieux de la carrière du BA27, laquelle s’étale sur vingt-trois ans. Toutefois, ce Mirage 5 bien particulier a permis de lâcher de nombreux jeunes pilotes parmi les 404 qualifiés Mirage 5 par la Force Aérienne Belge.

Le BA 27 a accompli sa besogne de façon plus que satisfaisante lors d’exercices et de manœuvres tels que les déploiements AMF (Allied Mobile Force) pour renforcer les flancs nord (Norvège) et sud (Turquie) de l’OTAN, les échanges d’escadrilles, les grands exercices OTAN (dont le Tactical Weapons Meet) et les périodes de tir à Solenzara en Corse.

Le BA 27 vole en formation avec un Fiat G-91Y du 8 stormo de Cervia lors d’un échange d’escadrilles en 1984. (Via Jean-Marie Hanon)

Le BA 08 vole en tête d’une formation célébrant la 8ème escadrille le 8.8.88 (seule date du 20ème siècle contenant autant de 8); le BA 27 ferme la marche du box de quatre Mirage. (Ulrich De Bruyn via Jean-Marie Hanon)

Le BA 27 fut de l’ultime vol de groupe de la 8ème escadrille le jour de sa dissolution, bien que non piloté par Celle De Petter qui faisait partie de la formation, mais aux commandes d’un autre Mirage, il clôturait son carnet de vol Mirage avec 3.200 heures de vol comprenant les 88 heures 30 minutes volées sur le BA 27.

Dernier vol en formation du BA 27 lors de la dissolution de la 8ème escadrille à Bierset le 13 septembre 1991. (JP Decock)

Gros plan sur le bidon gauche du BA 27 portant des inscriptions on ne peut plus explicites lors de sa dissolution de la 8ème escadrille le 13 septembre 1991. (JP Decock)

A cette occasion, les Mirage dessinant un 8 dans le ciel vinrent tirer leur révérence en survolant toutes les bases aériennes du royaume.

Sic transit gloria mundi…

Jean-Pierre Decock

Picture of Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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