Temploux, le 2 janvier 2018. Comme j’ai pu l’écrire dans l’article sur les quinze premières années de vol à voile à Temploux, les pouvoirs publics et la Force Aérienne apportent dès 1947 un soutien important au développement de cette activité en Belgique. Notre compagnie nationale, la SABENA, n’est pas non plus en reste. Dans un article paru dans la revue « La Conquête de l’Air » de juillet 1961, Willy Grandjean, le président de la toute récente Fédération des Clubs de Vol à Voile, fait le bilan belge depuis la guerre. On peut lire : « La SABENA peut être citée parmi toutes les compagnies aériennes nationales comme celle qui a probablement apporté l’appui le plus important au vol à voile dans son pays » ! C’est un sujet jamais abordé dans les nombreux historiques parus depuis la faillite de la Sabena. Raison de plus de voir ce qu’il en est en détail !
Le prix SABENA
Dès 1951 la SABENA montre son intérêt pour le développement du vol à voile en décidant d’offrir un prix annuel. Il consiste en un ticket pour un aller-retour au Congo pour le meilleur vol de distance à but fixé de l’année pour autant que celui-ci soit d’au moins de 100 kms. Au cours des années il arrivera que le prix ne soit pas décerné. Ce n’est pas négligeable car le ticket vaut entre 40.000 à 50.000BEF ce qui est une grosse somme pour l’époque. Marcel Cartigny de Verviers Aviation s’attribue le prix en 1952 avec un vol de 307 kms à but fixé de Namur à Auxerre réalisé à l’occasion des « Journées Nationales ». Jean d’Otreppe de Bouvette de l’Aéro-Club de la Meuse (ACM) s’adjuge le prix en 1954 suivi en 1955 par Henri Gildemyn de Gand qui s’adjuge par la même occasion le record de Belgique de distance à but fixé avec un vol de 324,7 kms et obtient le premier diamant à sa couronne d ’or (brevet E). En 1956 personne ne gagne le prix mais les deux précédents récipiendaires sont sélectionnés pour les Championnats du monde qui ont lieu à Saint-Yan où ils se classeront respectivement 35ème et 19ème sur 45 participants en classe standard (15m). Jean d’Otreppe réalise en 1957 un remarquable vol à but fixé de 511 kms en 6h23 de Temploux à Anger -Avrillé sur le Ka2b OO-SZD dont nous parlons ci-dessous. Il aurait pu facilement atteindre 700kms s’il n’avait pas décidé de perdre son altitude en tournant au-dessus de son objectif ! Etant pilote de ligne à la Sabena, nous pouvons nous demander s’il a utilisé réellement son prix de 1954 mais toujours est-il surprenant qu’en 1957 le prix ne lui est pas attribué, à personne d’ailleurs. Ce seront deux prix qui seront décernés en 1958, respectivement à Roger Rollé et Jean Pissoort tous deux du Club National d’Aviation (CNA) qui réalisent le même jour un aller-retour Temploux-Verviers-Temploux de 154 kms. Pas d’attribution du prix en 1959. Il est en 1960 attribué à Harold Drory de Ghent Aviation. En 1961 le prix est scindé en deux avec un voyage à Nice et un voyage à Paris décernés à respectivement Raymond Van Gestel de Keiheuvel A.C et le docteur Herman Smet du R.A.A.C (Anvers) pour des épreuves réalisées lors des championnats de Belgique du début juillet. Les douloureux évènements de l’indépendance du Congo ont posé la question de ce voyage vers l’ancienne colonie. En 1962, le prix est supprimé suite aux modifications survenues dans l’exploitation des lignes de la Sabena et la situation au Congo. Le plus long vol de distance à but fixé de cette année fut un Temploux-Poitiers de 545 kms par Henry Stouffs. En 1964 la Sabena attribuera comme prix, un voyage aller-retour sur Luxembourg, à Jos Legrand, président des « Limburgse Vleugels ». Par après la Sabena offrira encore quelques prix de moindre importance à l’occasion de compétitions diverses.
Le Schleicher Ka2b « Rhönswalbe » dans sa livré Sabena complète à Temploux en 1958. (La conquête de l’Air) |
Les planeurs « Sabena »
Si le « prix Sabena » est un encouragement à la performance il ne touche que les « élites ». C’est par la mise à disposition ou le financement de l’achat de planeurs que la Sabena apporte une aide plus que significative. La compagnie est alors en développement avec une forte demande de pilotes. Les dirigeants de la compagnie (dont Anselme Vernieuwe et Gaston Dieu, anciens de la RAF) voient dans cette démarche volontariste des avantages d’attrait vers une carrière aéronautique plus que simplement la promotion d’une image de marque. C’est ce que les vélivoles et la littérature aéronautique de l’époque appellent communément les planeurs « Sabena ». Ces machines n’ont jamais fait partie d’un quelconque « Sabena Aéro-Club » mais ont été mis à disposition du CENVV ou du CNVV (Centre National de Vol à voile, successeur en 1956 du CENVV, Centre Ecole National de Vol à Voile) ou de clubs pour promouvoir le vol à voile. Tous ces planeurs ont porté d’une manière ou d’une autre les couleurs de la Sabena même si c’est de façon non peu standardisée. Certains sont déjà immatriculés avant que cela ne devienne obligatoire en 1956 pour les planeurs et ne sont donc pas dans la séquence « Z » attribuée à ceux-ci. Tous sauf un ont une immatriculation commençant par « S » pour Sabena (bien que d’autres planeurs aient une immatriculation « S » sans rapport avec la compagnie). A l’exception du Foka, ils ont été inscrits initialement au nom de la Sabena à l’administration. Certaines sources indiquent un transfert de propriété au Centre en novembre 1965 pour au moins deux d’entre eux (OO-SZC et SZA) et d’après les rapports de la section vol à voile de l’ACRM, les OO-SZD et SZE étaient propriété du CNVV en 1979. Il est donc plausible qu’il y ait eu un transfert de propriété de ces planeurs au CNVV, sans doute en 1965 ? Des six planeurs, cinq existent encore mais un seul est en état de vol, peut-être bientôt un deuxième. Pour la plupart, les « papiers » des planeurs sont égarés ou incomplets et les archives de l’ancienne Administration de l’Aéronautique (aujourd’hui BCAA /DGTA) inexistantes. Toutes corrections ou infos complémentaires sont donc bienvenues.
Les Scheibe Spatz B OO-SZA s /n 515 et OO-SZB s/n 517
En Allemagne après la guerre la majorité des planeurs construits avant et pendant ont été détruits ou confisqués par les alliés. Les structures sont dissoutes mais cette période troublée n’empêche pas les ingénieurs de concevoir des modèles pour des temps meilleurs. En 1951 le commandement des troupes d’occupation permet à nouveau la pratique des sports aériens sur le territoire de la République Fédérale et la construction de planeurs est relancée. Trois années plus tard l’Allemagne (de l’ouest) comptera 800 clubs, 28.000 pratiquants et 750 planeurs !
Ainsi nait de la table de dessin de Egon Scheibe, un petit planeur désigné A-Spatz (moineau) qui effectue son premier vol en mars 1952. Un an plus tard la Sabena porte son choix sur deux exemplaires de Spatz B à roue incorporée, petit monoplace de 13,2 m d’envergure pesant à peine 110 kg qui présente de grandes qualités voilières et de maniabilité.
En septembre ces machines immatriculées OO-SZA et SZB (certificats d’immatriculation 929 et 930) sont remises au CENVV qui a la charge d’en faire profiter deux clubs ayant une forte activité pour autant que ceux-ci veillent à leur entretien et support. Déjà plusieurs vélivoles, Charles Delhaes, Christian Voos et Jean d’Otreppe de Bouvette, ont rejoint la compagnie nationale tout en continuant à pratiquer leur sport favori, ce qui n’est sans doute pas étranger à cette attribution. Les Spatz sont mis à disposition des sections vol à voile du Club National d’Aviation de Bruxelles et de Verviers Aviation.
Le Scheibe Spatz B OO-SZA sous un ciel menaçant à Temploux en 1957. On distingue l’inscription Sabena en-dessous de l’aile. (Ph. Roose) |
Le OO-SZA porte sur la queue l’insigne de la compagnie et en-dessous des ailes (en deux parties) « Sabena » en grandes lettres. L’arrivée de ce Spatz au CNA à Grimbergen donne l’impulsion à de plus en plus de vols de performance au sein du club bruxellois. De nombreux pilotes décrochent leur brevet D sur le « petit Spatz » souvent appelé ainsi pour le distinguer du L-Spatz de 15m (baptisé « Mieke ») qu’acquiert le club plus tard. Le SZA compte pas mal de vols de distance de plus de 300 kms et même plusieurs de 400 kms en libre et à but fixé, de nombreux gains d’altitude de 2000ms et quelques-uns de 3000ms en vol d’onde à Issoire. Une de ses performances la plus remarquable est sans conteste le vol libre de 572 km que réalise Roger Meulemans, ancien moniteur de la F. Aé qui vient de rejoindre la Sabena, le 28 mai 1957 de Grimbergen à Le Fuilet à 35 kms au nord-est de Nantes après 7h40 de vol. Ce vol lui vaut sa couronne d’or et un diamant ainsi que le prix « Marie Monseur » récompensant la plus belle performance aéronautique de l’année.
Baptiséle « Ketje » (gamin en bruxellois), le petit Spatz connait bien des aventures que Roger Rollé, un ancien du club, relatera avec saveur dans un article « Requiem pour un petit Spatz » dans la revue « La conquête de l’Air » d’octobre 1970. Parmi les anecdotes on peut en citer quelques-unes savoureuses.
Un jeune pilote, Jean-Pierre Verdier, accompagne deux vedettes du club, Jean Pissoort et Roger Meulemans à Issoire durant l’hiver 1959/1960. Il réalise un vol à Noël qui lui permet de réaliser un gain d’altitude de 1000m. Deux jours plus tard, pour l’épreuve de durée du brevet D (couronne d’argent), le chef pilote de l’aérodrome local, Mr Herbaut, le pousse à faire ses 5 heures sans contrôler son carnet de vol. Jean-Pierre se retrouve dans l’onde et réalise non seulement son épreuve de durée mais aussi son gain de 3000m, épreuve qui vaut pour la couronne d’or (brevet E). Le soir, au restaurant, le moniteur français tombe à la renverse en apprenant qu’il a lâché par inadvertance en onde le jeune pilote qui n’a que 24 heures en solo. Le 5 juillet 1959 lors du Challenge Victor Boin qui se déroule en Hollande, Roger Rollé va « aux vaches » et se pose, après 5 heures de vol et 185 kms parcourus, dans la propriété du baron van Hardenbroeck qui n’est autre que le Grand-Maître de la Maison de la Reine de Hollande. Furieux de voir un planeur sur sa pelouse et sa tranquillité troublée, il ne manque que de peu que le baron y boute le feu. Il y a bien d’autres atterrissages en campagne ou plutôt en ville comme Philippe Roose qui le pose en 1957 sur la chaussée Romaine à Bruxelles à hauteur des Grands Palais du Centenaire ou un autre avec Roger Rollé dans un jardin dans un carré d’habitations près de Bruges ou il fallut évacuer le planeur démonté en traversant la maison. Le « Ketje » connait plusieurs casses en atterrissant dans les blés notamment lors des championnats de Belgique en juillet 1963 ou aligné par Jean-Pierre Baiwir il sera très sérieusement endommagé. Toujours réparé par le club, il est utilisé jusqu’ à l’été 1970 ou à la suite d’un dur cheval de bois ayant endommagé les attaches de l’aile droite il est jugé inapte par le « conseil de révision » du club. L’épave est acquise par Guy Englebert (aujourd’hui disparu), amateur de planeurs anciens. Elle est revendue à Bruno de Wouters de Bouchout (ancien pilote de Mirage à la F. Aé et membre du club des Faucheurs de Marguerites) qui l’a revendue en Allemagne après avoir renoncé à la restaurer vu son état et les modifications apportées à la cellule.
Le OO- SZB est attribué au Royal Verviers Aviation. Il semble d’après les photos existantes qu’il n’a pas porté les couleurs de la Sabena sauf peut-être sur l’intrados. En 1955 André Xhaet remporte les championnats de Belgique à son bord. Nous n’en savons pas beaucoup plus sur ses exploits. Le SZB connait aussi des casses lors d’atterrissages en campagne notamment avec Jean-Pierre Crustin à Saint- Vith où il perd sa queue dans les barbelés en sautant une clôture. Un mauvais atterrissage dans les années soixante au Laboru par Jacques Schmitz a eu raison de sa carrière et il ne sera pas réparé et rendu en l’état. Le planeur a été récupéré par Firmin Henrard (président-fondateur du club des Faucheurs de Marguerites) qui le stocke à Sovet.
Le Göppingen Gö 4 Goevier OO-SZC s/n 415
Conçu par Wolf-Hirth et Wolfgang Hutter en 1939, le Gö-4 Goevier (pour Go 4 en allemand) est un biplace d’entrainement cote à cote qui devint le planeur d’entrainement standard dans la Luftwaffe et le NFSK (Nationalsozialistisches Fliegerkorps) pendant la guerre. Sa construction fut reprise par Schempp -Hirth Sport Flugzeugbau qui en construisit 21 de la série III entre 1951 et 1954. Le Centre Ecole de Vol à Voile de Temploux aligne déjà en 1952 un Gö 4 série III qui vole sans immatriculation avec pour seuls marquages « Centre Ecole National de Vol à Voile » sur la dérive.
En 1954 la Sabena met à disposition du CENVV un Gö4 immatriculé OO-SZC. Il porte le numéro constructeur 415 et est de la série construite par Schempp- Hirth en 1952.Il est peint en couleur « crème » avec des parements bleu clair, insigne Sabena sur l’empennage et Sabena dessus et dessous des ailes. L’avion est immatriculé au nom de la compagnie le 28 mai 1954 (C.I 1003) et il n’est pas indiqué comme venant d’usine. Il s’agit probablement du même appareil et une thèse est que la Sabena a racheté l’avion au CENVV et l’a repeint à ses couleurs avant de le remettre à disposition du CENVV. Il volera tant à Temploux qu’à Saint- Hubert et sera détaché en 1959 par le CNVV à la côte où il est mis en œuvre par le Zoute Aviation Club (ZAC). Repeint il n’aura plus les jolis parements bleus mais garde la grande inscription « Sabena » en-dessous des ailes. En 1963 il vole dans un autre schéma de peinture quelques temps au CAC, Cercle Aéronautique Carolorégien, jeune club de Gosselies créé en 1959.
Superbe photo en vol du Gö 4 OO-SZC qui sera utilisée pour les publicités du CNVV. (Ph. Roose) | |
Le Goevier OO-SZC vu au Zoute en août 1959. (L. Garey) |
Ayant acquis un nouveau Ka 7, le CNVV cède le Goevier au club de la côte en 1965. Surnommé « De Olifant » (L’éléphant) du fait de la forme de ses ailes qui font penser aux oreilles du pachyderme, il est utilisé pour les vols d’initiation et est particulièrement prisé des dames au grand plaisir de leur pilote. Suite à la fermeture de l’aérodrome du Zoute en 1960, le ZAC se replie d’abord sur Sint Denijs Westrem (Gand) ensuite sur Moorsele pour finir à Wevelgem (Courtrai). Le Gö 4 sera vu avec une publicité « Damart Thermolactyl » sur le fuselage et les ailes. Sérieusement endommagé lors d’un accident il ne suscite plus aucun intérêt et est finalement radié le 13 janvier 1978. L’épave délaissée dans un vieux hangar datant de la guerre, rongée par l’eau qui s’infiltre suite à l’effondrement de la toiture un jour de grands vents, pourrira avant d’être tout simplement enterrée en 1980 lors de travaux de terrassement sur l’aérodrome de Wevelgem en compagnie du Grunau Baby OO-ZCR lui aussi abandonné. (Cf. http://www.grunaubaby.nl/gb_in_belgie.htm)
Le Schleicher Ka2b Rhönswalbe OO-SZD s/n196
Début juillet 1956 sort des ateliers de A. Schleicher de Poppenhausen un Ka2b Rhönswalbe (hirondelle de la Rhön, région qui est le berceau du vol à voile allemand) commandé par la Sabena. D’après la facture, il lui en coute 9.400 DM pour le planeur et 2.200 DM pour la remorque. Le planeur est immatriculé OO-SZD (C.I 1093) le 18 août au nom de la Sabena. D’après les documents de Schleicher, il est livré en blanc sans peinture particulière. Il arrive cependant à Temploux dans une seyante livrée avec un « trim » bleu style « avion de ligne » le long du fuselage et l’empennage en bleu avec le S blanc. Sur le fuselage est inscrit Sabena avec un petit fanion aux couleurs belges. Sans doute a-t-il été décoré ainsi dans les ateliers de la Sabena entre la livraison et son arrivée à Temploux.
Pour l’époque c’est une machine performante qui est mise à disposition du CNVV Temploux qui se consacre au perfectionnement, Saint Hubert se chargeant de l’écolage de base. Très prisé, il sert à de nombreux pilotes pour effectuer des vols de performance. Dès 1957 Il participe à de nombreuses compétitions tels le Challenge Victor Boin et détient quelques records. En plus de celui de Jean d’Otreppe cité ci-dessus on peut citer par exemple le record de Belgique de vitesse sur 100 kms réalisé par Philippe Roose et Yves Michotte le 30 avril 1960. Il est en usage de temps en temps à l’antenne néerlandophone du Centre à Balen mais principalement au Centre à Namur durant de nombreuses années.
Le 20 mai 1965 Jacques Rousseau, jeune pilote de l’Aéro-Club de la Meuse, décolle à 10h50 de Temploux, seul à bord, avec le Ka2b OO-SZD du Centre. Son but est de tenter une épreuve du brevet « E » soit 300 kms aller- retour jusque Berny-en- Santerre près de Péronne dans le département de la Somme. Ce point de virage est un village un peu perdu dans la campagne picarde mais bien dégagé et facilement reconnaissable sur les photos nécessaires à l’homologation de la performance. Après 5h50 de vol, faute d’ascendances sur la branche de retour, il est contraint d’aller « aux vaches » à Maretz entre Cambrai et Saint Quentin. A peine posé, il voit arriver avec étonnement la gendarmerie toutes sirènes hurlantes. Des riverains ont téléphoné aux autorités pour signaler l’atterrissage en campagne d’un avion avec un empennage bleu avec un grand « S » blanc et marqué du sigle « SABENA ». Il n’en fallait pas plus pour que le plan catastrophe soit déclenché à la grande surprise du pilote !
Le OO-SZD n’a jamais été cédé ni vendu ni à l’ACRM ni au RCNA de Temploux mais les membres de ces deux clubs pouvaient l’utiliser et en en assuraient l’entretien. Retiré du service il est temporairement stocké à Saint-Hubert avec le Bocian et est vendu au début des années quatre-vingt à Guy Englebert qui le revend plus tard à Firmin Henrard.
En 1988 Firmin met le planeur, repeint et avec une autre verrière, à disposition du réalisateur de « Australia » avec Fanny Ardant, Jeremy Irons et Tchecky Kario, acteurs bien connus. « Australia » est un film de Jean-Jacques Adrien sur le déclin de l’industrie lainière à Verviers dans les années cinquante. Dans une scène du film tournée au Laboru à Theux-Verviers, Tchecky Karyo s’en va dans le Ka2b et ne rentre pas le soir. Il vole sans radio et sans éclairage, à la grande inquiétude de sa famille et des amis du club. Profitant du fort vent soufflant du sud il profite de l’onde qui se déclenche parfois au-dessus de la région spadoise. Il rentre au petit matin sans problèmes. Cette scène nous vaut quelques beaux plans du SZD en vol piloté par Michel Nizet du RVA.
Cédé en 2004 à Bruno de Wouters, Firmin le restaure dans les couleurs de la Sabena avec quelques petites libertés par rapport au schéma de 1956 et une nouvelle verrière plus galbée. Toujours en état de vol, il est actuellement en vente. Avis aux amateurs !
Le SZD 9bis Bocian 1C OO-SZE s/n P311
Le Bocian (Cigogne) est un planeur biplace polonais censé couvrir tous les aspects du vol à voile depuis la formation à la voltige. Il a été conçu et construit par « Szybowcowy Zakład Doświadczalny »(SZD)l’établissement expérimental de Vol à Voile de Bielsko créé après la guerre. Le 9 août 1958 la Sabena fait immatriculer un Bocian 1c OO-SZE (C.I 1193). Construit en début 1958, il n’est pas mentionné comme « ex-usine » dans certains registres d’immatriculations et la question se pose de savoir s’il s’agit d’une occasion ou d’un nouvel appareil. L’avion est aux couleurs Sabena dans un schéma différent du Ka2b.
Le Bocian OO-SZE à Temploux dans les années septante, fuselage repeint. (G. De Mol via F. Van Humbeek) | |
Le Ka2b OO-SZC en 1971 à Temploux. A l’avant plan l’empennage du Bocian OO-SZE. (G. Rousseau) |
Pour pouvoir voler au CNVV sur le Bocian ou le Ka2b il fallait au minimum une expérience de 40 heures solos. Il est entr’autre utilisé pour la voltige et l’entrainement au vol sans visibilité en nuages. La création de la section vol à voile du ZAC a entrainé une forte demande à la côte et le Bocian y est mis à disposition du club local comme le Goevier lors de la saison 1959. Il sert aussi pour des stages à l’étranger comme à Blois en août 1963. Il participe aux presqu’annuels stages de vol d’onde organisés de mi-décembre à fin janvier par le CNVV à Fayence (Alpes du Sud) en 1959 et 1960 et ensuite Issoire (Auvergne) où il se rendra régulièrement jusque 1970 en alternance avec le deuxième Bocian du Centre le OO-ZSX. Le 2 janvier 1961 Denis Nootens de l’ACUL et Willy Witter de « De Meeuw » réalisent un gain d’altitude de 3350m en volant à près de 5000 m au-dessus d’Issoire battant le record de Belgique de gain d’altitude. Malheureusement une défectuosité du système d’oxygène ne leur permettra pas de monter plus haut. En janvier 1962 ce record est battu toujours à Issoire par Albert Vermeiren, instructeur du centre et Armand Richard avec un gain de 3590 m. Le 7 juillet 1961 lors des championnats de Belgique le prince Albert et la princesse Paola effectuent un vol sur le Bocian. La princesse, emmenée par Willy Grandjean, trouve le vol grisant et se déclarera ravie en particulier de l’approche en rase-mottes à grand vitesse. Sans doute son tempérament italien…
Tout comme le Ka2b le Bocian est utilisé à Namur par l’Aéro-Club de La Meuse et le RCNA au cours des années septante et se retrouve début des années quatre-vingt à l’aéroclub du Shape à Casteau. Racheté en 1988 par Jacques Lembourg, ressortissant français, puis par Remy Noé en 1995, il est basé à Valenciennes ou il vole jusqu’au 28 novembre 1998. Jean-Michel Ginestet de Paray le Monial en Saône et Loire le trouve délaissé en 2003 et le récupère pour le restaurer. Le Bocian a gardé jusqu’aujourd’hui son immatriculation belge et a été acquis en 2017 par Renaud Crinon et Benoit Auger membres administrateurs de Dédale, association de préservation du patrimoine aérien français. Il est prévu de le remettre en état de vol en 2018 et de passer sous immatriculation française mais le manque de documents originaux (carnets de vol, certificats etc..) égarés au cours des années rend la tâche ardue pour les nouveaux propriétaires. Souvent présenté sur internet comme étant un Bocian 1D (construit à partir d’avril 1958 mais qui n’aurait été exportée qu’à partir de 1960), il est certain qu’il s’agit d’un Bocian 1C, version qui tombe dans une catégorie en marge des contraintes de l’EASA (European Aviation Safety Agency) ce qui donne l’espoir de le revoler. Il reste cependant des problèmes de certificats d’exportation à régler avec notre DGTA avant ce moment attendu.
Le SZD 24C Foka Standard s/n W174
Du 11 au 24 février ont lieu les IXème Championnats du Monde de vol à voile à Junin dans la Pampa argentine. La Belgique y est représentée par trois pilotes, Marcel Cartigny du RVA, Marijnus Baeke de la F. Aé et Henri Stouffs du RCNA. Ils volent sur trois types de planeurs différents attribués par tirage au sort.
M. Baeke se voit attribuer pour la classe libre (planeurs de plus de 15 m d’envergure) un Skylark III mis à disposition par la Fédération Argentine qui n’est autre que le planeur avec lequel l’argentin Hossinger a décroché le titre de champion du monde à Butzweilerhof en 1960. M. Baeke battra à Junin le record de Belgique de distance libre avec 607kms.En classe standard Henry Stouffs vole sur le Ka6br OO-SZP (s/n 196). Bien qu’immatriculé avec un « S » ce n’est pas un « planeur Sabena ». Il été acheté en 1958 par l’Administration de l’Aéronautique. Après avoir été exposé à l’Exposition Universelle de 1958, il a été mis à disposition du Centre. A son bord, le 8 mai 1960, Michel Doutreloux bat le record national sur triangle de 100 kms avec la vitesse de 58,6 km/h. On retrouve le Ka 6 aussi à Issoire avec le Bocian lors de stages d’hiver de vol d’onde. Il est offert en 1979 à la section « air » du Musée Royal de l’Armée ou il est suspendu aux voutes du grand hall. Contrairement à ce qui est souvent publié, y compris dans les publications du MRA, Il s’agit d’un Ka 6br (r pour rad =roue) et non d’un Ka 6cr, cette dernière version n’étant d’ailleurs pas encore certifiée en 1958.
Le SZD 24C Foka StandardOO-ZEU utilisé par M. Cartigny aux Championnats du Monde de 1963 arbore les marques de la Sabena. (M. Nizet) |
Marcel Cartigny du RVA se voit confier le OO-ZEU un SZD 24c Foka Standard construit en 1962 et immatriculé le 31 janvier 1963 par le CNVV (C.I 1454). A noter que la presse de l’époque l’identifie comme un Foka 3, version qui n’a existé qu’à un exemplaire. Fort du soutien d’Anselme Vernieuwe, senior executive vice-president de la Sabena mais aussi président du CA du CNVV, la Fédération des Clubs de Vol à voile a acheté le Foka estimé à 200.000 BEF grâce à un prêt de la compagnie. Les marquages Sabena sont donc tout naturellement apposés sur la queue et le fuselage. En 1963 l’Institut National pour l’Education Physique et des Sports (INEPS) n’a accordé aucun intérêt ni aide financière. Il se rattrape en 1965 en accordant un subside de 50.000 BEF pour payer partiellement le Foka.
Gros plan sur les marques Sabena sur le Foka Standard OO-ZEU à Junin(Argentine) en 1963. (via B. de Wouters) |
Le Foka porte le numéro de compétition 16 et Marcel Cartigny termine 16ème au classement général ! Il battra en Argentine trois records de Belgique en classe standard : le record de vitesse sur triangle de 100kms avec 79,9 km/h de moyenne, le record sur triangle de 300kms avec 81,29 km de moyenne et finalement le record sur triangle de 500kms avec 81,90 km/h de moyenne.
Les OO-ZEU et OO-SZP à Buenos Aires le 2 février 1963 avec le DC-6B de la 21ème escadrille du 15 Wing. (via B. de Wouters) |
Mais le transport du Foka de Bruxelles jusqu’en Argentine ne s’est pas fait sans problèmes, comme le relate Jacques Servais du RVA : « Le ministre de la Défense Mr Seghers et le général Henry chef d’E.M de la F. Aé ont apporté leur soutien en mettant à disposition un DC-6B du 15 Wing de Transport pour transporter l’équipe et les Foka et Ka 6 à Buenos Aires et retour. Le départ est prévu pour le 1er février à 8h au départ de Melsbroeck, le lendemain de son immatriculation. Nous sommes déjà dans les tous derniers jours de janvier et le timing est très serré. Le Foka doit venir de Pologne mais plus le challenge est difficile, plus Willy Grandjean se bat pour le relever ! Avec l’aide de la SNCB, de Cologne, Montzen et Verviers, il réussit à faire atteler le wagon de marchandise qui contenait le Foka à l’express Varsovie-Paris avec décrochage à la gare Verviers- Central, arrêt non prévu sur la ligne internationale. A Verviers, une locomotive de manœuvre attend le convoi pour amener le wagon sur une voie de garage où une équipe du Royal Verviers Aviation charge le planeur pour le mettre sur une remorque et l’amener par la route à Melsbroek juste à temps ! Tout simplement ! Il faut savoir que Willy Grandjean avait un carnet d’adresses bien rempli ! Le retour se fera sans problème le 25 février ». Quelle époque où tout semblait possible pour peu qu’on le veuille !
Le Foka aux Championnats de Belgique en 1964 à Saint Hubert avec G. Sander de Verviers Aviation. (J. Servais) |
Le Foka sera encore utilisé durant des années dans diverses compétitions. On le retrouve par exemple en mai 1964 au Challenge Victor Boin qui a lieu à Teuge en Hollande, compétition remportée par Marijnus Baeke avec un vol de 397 kms. Du 4 au 14 juin 1964 Marcel Cartigny l’aligne aux Championnats de Belgique à Saint-Hubert ou il se classe 4ème. A une date inconnue Il est racheté par un instructeur de « De Meeuw » Jacques Fine en copropriété, d’abord F. Franssens ensuite W. Deswaef en 1997. Le 20 septembre 2008 à Zoersel (?) il est accidenté lors d’un décollage au treuil. Suite à une défectuosité du treuil, il fait un atterrissage brutal et le fuselage casse. Après avoir été stocké à Deurne le planeur est radié à la matricule belge le 17 janvier 2014. L’épave est vendue en Hollande ou depuis 2016 elle est suspendue au plafond d‘un des bâtiments du « Technische Universiteit Eindhoven ».
L’opération « planeurs polonais »
En juillet 1960 15 Muchas standard et 5 Jaskolkas, planeurs polonais de performance, apparaissent dans le ciel belge. Ils sont acquis grâce à l ’ « opération planeurs polonais », comme l’appelle W. Grandjean, une opération de soutien financier de la Sabena aussi importante que peu connue. Pour se donner une idée, le prix « catalogue » d’un Mucha p.ex. est alors de 125.000 BEF F.O.B avec instruments. Le mécanisme de financement aurait été celui-ci : au milieu des années cinquante la Sabena a inauguré une ligne régulière Bruxelles -Varsovie-Bruxelles. Elle a des créances en Pologne mais on a sous-estimé les problèmes de devises. Les polonais ne peuvent payer en BEF, encore moins en dollars et l’exportation du Zloty est soumis à de très fortes restrictions. Anselme Vernieuwe (un des patrons de la Sabena cf. ci-dessus) parvient à conclure un deal avec les polonais en acquérant les planeurs en apurement de certaines créances. Le CNVV achète les planeurs à un prix de faveur grâce à un prêt de la Sabena remboursable en 5 ans. Deux des Muchas seront gardés pour le centre à Saint Hubert et Balen et un Jaskolka pour Temploux, les autres seront mis à disposition des différents clubs du pays et payables par annuités.
La boucle est bouclée … !
Le Ka2b OO-SZD en août 1978 à Temploux. (Coll. R. Verhegghen) | |
Le 16 juillet 1977, 1er vol à Temploux de R. Verhegghen avec A. Michel, instructeur. (N. Delhaye) |
Le 16 juillet 1977venant du CNVV de Saint-Hubert ou je viens d’obtenir mon brevet « B » avec deux petits vols solos, je débarque à Temploux. C’est André Michel, le sympathique instructeur de l’ACRM aux grandes moustaches, qui me prend en main pour me lâcher. Il me montre le biplace sur lequel nous allons voler. Immatriculé OO-SZD il est blanc un peu défraichi à la dérive bleue et André m’explique qu’il s’agit d’un vieux planeur des années cinquante qui a volé à la « Sabena ». Ma tête s’allonge quelque peu car il parait bien lourdaud au regard de l’ASK-13 sur lequel j’ai été formé. Nous monterons à 2100 m QFE (hauteur par rapport au sol) ce jour-là au cours de ce premier vol namurois ! Le OO-SZD sur lequel je ferai mes classes avec une vingtaine de vols en 1977 et 1978 me donnera quelques frayeurs avec un gros dérapage en virage de finale lors d’une rentrée trop basse et un décollage en solo où je perdrai la verrière, le système de fermeture avant (la tirette) s’étant dévissé. Juste le temps de larguer le câble et me poser en bout de piste 24. Il se faisait vieux ce bon vieux Ka2…. Je volerai aussi quelques fois sur le Bocian OO-SZE qui lui arbore encore le grand « S » de la Sabena sur son empennage. Les deux vétérans quitteront la plaine discrètement au cours de l’hiver 1979/1980, sans fanfare ni flonflons ce qu’ils auraient pourtant bien mérité.
Interviews et photos : J.Bouchat, S.Cartigny, B.De Wouters, F.Henrard, J.C Heurter, H.Mojet, M.Nizet, D.Nootens, P.Roose, G.Rousseau, J.Rousseau, J.Servais.
Sources : archives et notes R. Verhegghen ; archives de l’ACRM ; revues d’époque « La Conquête de l’Air, Air Revue ; Liga blad, Revue des « Faucheurs de Marguerite ; Zweefvliegen in Vlaanderen par Bert Sr. Schmelzer
Robert Verhegghen