Beauvechain, le 3 octobre 2019. Près de huit cents personnes avaient rallié la base pour assister à l’ultime présentation des équipes de démonstration de la saison 2019, dont les Diables Rouges sur SIAI-Marchetti SF260, mais l’ambiance de grande fête qui y régnait concernait le demi-siècle de service du SF260 à la Force Aérienne Belge.
Un choix judicieux
Les avions école de base, les Stampe & Vertongen SV4b arrivant en fin de vie opérationnelle à la fin des années 60, l’état-major se mit en quête de son successeur pour équiper l’Ecole de Pilotage Elémentaire (EPE) de Gossoncourt.
Une brève étude de marché identifia rapidement cinq candidats pour la relève: le Stampe & Renard SR7 belge, le Beagle Pup britannique, le SAAB S-91 Safir suédois, le SIAT/MBB (Messerschmitt, Bölkow et Blohm) allemand et enfin le SIAI-Marchetti SF260 italien. Une première prise en main les écarta tous, sauf l’appareil italien conçu par Stelio Frati qui surclassait manifestement ses concurrents. Le comité d’évaluation du nouvel avion d’entraînement primaire était supervisé par la Colonel Aviateur Roger Taymans secondé par les Majors Aviateurs Jacques « Red » Dewalheyns et Marcel Terrasson. Ce team accomplit sa mission d’avril à juillet 1968. Une commande de 36 appareils fut placée en septembre, elle émargeait au budget de 1969. Trois pilotes furent envoyés à Vergiate chez le constructeur pour mise au point finale des appareils destinés à la Belgique. Seules une quinzaine de modifications furent requises, globalement mineures, la plus significative étant l’agrandissement de la dérive afin de faciliter les sorties de vrille.
L’équipe d’évaluation a parfaitement rempli sa mission, comme démontré par cinquante ans de service du SF260 qui a conservé son allure racée et des performances dignes d’un petit chasseur.
Un voltigeur doué
Le SIAI-Marchetti SF260 est très maniable et ses commandes répondent au quart de tour. Son rapport poids/puissance est extrêmement favorable grâce à son moteur Lycoming de 260 CV. Tout cela en faisait un appareil idéal pour l’acrobatie aérienne. Les pilotes belges ne tardèrent guère à s’en rendre compte et une présentation acrobatique en solo fut mise sur pied avec le Commandant Aviateur Jean Siccard en 1970/1971 et puis par l’Adjudant Aviateur Serrien et le Sous-lieutenant Aviateur Delacuvellerie qui prirent la suite après le départ de Jean Siccard à la retraite.
Le Commandant Aviateur Fonderie inaugura en 1973 la patrouille des Swallows (hirondelles) évoluant en duo dont il était le leader avec l’Adjudant Aviateur Serrien comme ailier. De 1976 à 1981, le pilier des Swallows fut le Capitaine Aviateur Xavier Elleboudt. Il en devint le leader en 1979 et fut rejoint par le Capitaine Aviateur Dany Payeur comme ailier. Les mutations et exigences du service obligèrent à mettre le team en veilleuse. Il fallut attendre 1995 pour voir voler les New Swallows animés par le Capitaine Aviateur Marc Casteleyn et le Lieutenant Aviateur John Vandebosch conseillés par les anciens tels que Xavier Elleboudt et Dany Payeur. La nouvelle équipe présenta le SF260 avec énormément de brio pendant trois ans, leurs avions étaient tout de bleu vêtus et mettaient les couleurs nationales bien en valeur. A nouveau, les mutations des pilotes mirent un terme aux présentations du team fin 1997.
Le Major Aviateur Jean-François Balon, commandant la 5ème escadrille du 1er wing training, constitua un quatuor de SF260 en 2008 pour démontrer la maniabilité de l’appareil pour effectuer des changements de formation; le team fut baptisé Hardship Red d’après l’indicatif radio de la 5ème escadrille école. Le team fut officiellement accepté en 2009 et l’idée qu’avait J.F. Balon derrière la tête fut consacrée en 2011 par la création de la patrouille acrobatique Les Diables Rouges (ou Red Devils) descendant de celles qui virent le jour sur Hawker Hunter dans les années 50 et sur Fouga CM170.R dans les années soixante pour n’être dissoute qu’en 1977.
D’entrée de jeu, la nouvelle patrouille connut un franc succès auprès du public par ses manœuvres « cousu main » effectuées dans un mouchoir de poche et enchaînées sans temps morts: tout ce que les spectateurs de meetings aériens adorent, en Belgique autant qu’à l’étranger. Les Diables Rouges new look eurent comme leaders successifs le Commandant Nicolas Delfosse, le Commandant Alain Collard, le Commandant Paul Leys et le Lieutenant-colonel Jean Van Hecke.
Le plus caméléon des avions de l’air force
Le SIAI-Marchetti SF260 connut une quinzaine de livrées au cours de ses cinquante ans de service à la Force Aérienne Belge. Les trois livrées standard furent, dans l’ordre, le camouflage type Vietnam composé de placards vert foncé et moyen ainsi que beige appliqués de façon irrégulière avec bande de fuselage et bidons d’aile en orange vif avec le dessous uniformément gris clair. La dérive fut peinte en orange vif dans son intégralité peu de temps après la mise en service de l’appareil.
Le deuxième habillage des SF260 fut choisi après divers essais visant à plus de visibilité et donc de sécurité pour l’appareil en vol. En conséquence, les Marchetti furent intégralement (dessus et dessous) peints en jaune canari (comme les avions écoles américains et canadiens de la dernière guerre, qui furent surnommés « yellow peril »). Une bande aux couleurs nationales ornant les flancs court du nez de l’avion jusqu’au sommet de la dérive. Cette livrée, gardant les bidons d’ailes et le bord de fuite en rouge vif, fut appliquée au tournant de l’année 2000 et perdure depuis.
L’ultime revêtement des Marchetti rejoint, d’une certaine façon, celle des avions de combat comme le F-16 en recevant une livrée gris perle avec les bidons d’aile et le sommet de la dérive en orange vif, telle qu’elle apparut pour la première fois en 2009.
La gueule de requin des SF260
Constatant un certain manque d’ardeur côté élèves autant que moniteurs lorsqu’il devint le CO (Commanding Officer) de la 5ème escadrille à Gossoncourt en 1985-87, le Major Aviateur Eddy De Sutter rendit, entre autres, les Marchetti plus agressifs en leur appliquant sur le nez une gueule de requin digne d’un chasseur. Il reçut l’accord tacite de l’OSN (officier supérieur navigant) de l’époque, le Lieutenant-colonel Aviateur Guy Van Eeckhoudt. Le premier appareil ainsi décoré apparut en janvier 1986. Très rapidement, c’est-à-dire en mars, une patrouille à quatre avions qui se dénommait The Sharkies (en référence au sharkmouth ou gueule de requin ornant les appareils) fut officieusement constituée et se livrait à des démonstrations avec de fréquents changements de formation. Cette formation mettait bien en valeur la précision de pilotage du SF260. Ce team officieux fit encore quelques démonstrations en 1987 et fut ensuite mis en veilleuse. N’empêche que la gueule de requin fut appliquée sur quasiment tous les appareils et l’est encore de nos jours, à la grande fierté du CO de la 5ème escadrille devenu entre-temps lieutenant-colonel et chef de corps de la base de Gossoncourt en décembre 1994, cédant son commandement lors de la fermeture de l’aérodrome tirlemontois en octobre 1996 et la mutation des effectifs à Beauvechain.
Décorations spéciales
La longue carrière du SIAI-Marchetti SF260 à la Force Aérienne explique le grand nombre et la grande diversité des décorations et marquages spéciaux qui leur furent appliqués. Généralement pour célébrer un cap franchi en matière de performances du type d’appareil ou rendre les avions plus attractifs sur le plan visuel. Cela commence par l’esquisse de quelques « cheat lines » (bandes décoratives) des Swallows première version et se poursuit par les avions aux couleurs chatoyantes apparus plus tard, comme les Swallows deuxième mouture et, plus récemment, de la patrouille des Diables Rouges aux avions à la livrée écarlate et aux marquages nationaux flamboyants. De nombreuses autres décorations, globalement réussies, ont vu le jour et sont représentées en photo dans le présent article.
Et demain…
Cinquante ans, c’est un âge respectable et le SIAI-Marchetti SF260 ne montre pas son âge, c’est dire que son concepteur, Stelio Frati, était futuriste et que le team d’évaluation de la Force Aérienne a particulièrement vu juste.
Pour combler l’attrition (dont le taux était réduit à la Force Aérienne Belge), neuf SF260D immatriculés ST-40 à ST-48 furent acquis en 1991 mais également, et surtout, afin de disposer d’appareils d’école aux normes du vol en IFR (aux instruments) pour compléter utilement le cursus des élèves pilotes.
Aux fins de prolonger la vie opérationnelle des avions, de nouveaux longerons d’aile furent montés dès le début des années 2000. D’autre part, comme le gabarit et la taille des élèves pilotes et moniteurs actuels sont nettement plus imposants que ceux de leurs aînés, la canopée du SF260 fut agrandie en même temps pour accueillir des pilotes de plus grande taille et plus « baraqués ».
Le SIAI-Marchetti SF260 a porté haut les cocardes belges pendant un demi-siècle et est prêt à reconduire le bail pour de nombreuses années à venir qu’il accomplira tout aussi vaillamment.
Jean-Pierre Decock