100 bougies pour la SABCA (3éme partie 1970-2020)

Les « têtes de série » effectuent leurs premiers vols en France avec les immatriculation MA 01, BD 01 et BR 01. Dès leur arrivée en Belgique, le M est modifié en B pour Belgique. Ce seront les seuls Mirage belges à être parés des décorations rouges aux entrées d’air et arrière du cockpit. (Dassault)

Gosselies, fin 1964. La production du F-104G Starfighter touchera à sa fin dans deux ans, les contrats d’entretien des F-84F et d’autres contrats secondaires arrivent également à terme. Le personnel est monté à 1.850 personnes et l’inquiétude grandit de devoir procéder à une réduction du personnel vu la baisse progressive des charges de travail.

La recherche permanente de diversification
Avec les programmes militaires la SABCA a acquis, depuis les années cinquante, une notoriété internationale pour la qualité de sa production mais elle est très consciente de sa dépendance aux contrats militaires. Le programme Starfighter lui a permis de percer entr’autre dans le domaine de l’hydraulique, de l’électronique et lui a apporté une expérience précieuse des programmes américains et internationaux.

Le F-104G aura marqué l’histoire de la SABCA. Les appareils y reviennent régulièrement pour des modifications et révisions. A partir de 1967 ils reçoivent le camouflage « Vietnam » tel le FX 15 vu par Guy Viselé le 8 avril 1967. (Photo Guy Viselé)

Afin de faire face aux cycles, depuis des années, les dirigeants de la société cherchent des moyens de se diversifier. Dans les années soixante, les entreprises aéronautiques européennes ne sont plus en mesure de développer seules un nouvel avion vu les coûts de développement. Ceci ouvre la porte à des participations dans divers programmes ou des partenariats. La SABCA s’investira progressivement dans le domaine spatial avec des programmes de lanceurs mais également dans l’aviation civile en prenant part à plusieurs programmes internationaux. La montée dans le capital de la société Fokker en 1966 et de Dassault en 1969 vont marquer le début d’une longue fidélité des actionnaires principaux, une stabilité financière et de progrès techniques dans les bureaux d’études et ateliers. Depuis 1955, la SABCA travaille sur deux sites de production, Haren et Gosselies, chaque unité de production ayant ses spécialités qu’elle va exploiter au mieux notamment au travers de leurs bureaux d’études respectifs qui vont se spécialiser en suivant l’évolution du secteur aérospatial européen.

Les installations de Haren abritent des ateliers importants de mécanique de haute précision. A l’arrière-plan le nouveau siège de l’OTAN à Evere. (SABCA)

Haren
Le site de Haren a perdu dans les années cinquante sa ligne de vol mais n’en reste pas moins très actif dans l’étude et la fabrication de composants. Au travers de différents programmes de modernisation et capitalisant sur l’expérience acquise en hydraulique et électronique le bureau d’études du site bruxellois va se spécialiser dans les voilures, volets, carénages, éléments de fuselage ou de dérives pour ce qui concerne les cellules, les servo-commandes pour l’hydraulique et l’intégration de systèmes électroniques avec la filiale COBELDA. Elle va participer au développement des structures aérospatiales et de composants « mécatroniques » alliant l’hydraulique et l’électronique.

Début 1964 SABCA passe un accord avec la société américaine True Trace qui est spécialisée dans l’automatisation des machines-outils à commandes hydrauliques. Elle se lance ainsi dans la production d’équipements industriels et obtient la représentation et la licence du matériel de la société américaine pour les marchés européens, nord-africains et le Moyen-Orient. L’évolution de la technologie vers les commandes numériques sonnera la fin de cette activité, finalement peu rentable.

Les ateliers de Haren se sont spécialisés dans l’étude et fabrication d’éléments tels voilures, empennages, servocommandes et volets hypersustentateurs. Ici le système Flap Track Mecanism de l’A400 M exposé au Salon du Bourget de 2019. (Photo Guy Viselé)

LA SABCA dispose d’un parc de machines-outils important qui lui permet d’aborder des tâches complexes de haute précision et le formage de tôles d’alliages légers en ce compris le titane. Dans sa lutte existentielle permanente, la société s’est cherché un créneau pour atténuer sa trop grande dépendance des contrats d’assemblage d‘avions militaires sous licence. Elle a pris une place importante dans l’industrie aéronautique européenne grâce à une spécialisation poussée dans le domaine des surfaces de contrôle, de volets hypersustentateurs, stabilisateurs et gouvernes. Diverses productions sont en cours à la fin du programme F-104G. Depuis 1956 SABCA a étudié et construit de l’outillage et des gabarits pour la construction des voilures du F-27 Friendship de Fokker. En 1964 elle participe au développement du Breguet 941, dont elle assure l’étude et la fabrication des volets à la suite d’un accord de partenariat avec les ateliers Louis Breguet. Cet avion est alors vu comme un successeur potentiel au C-119G de la F. Aé. C’est un programme dans lequel la SABCA investira sur fonds propres mais qui n’aboutira qu’à la construction de quatre appareils de présérie en 1966.

Dès 1960 elle est associée au projet du VFW 614, un avion de transport bon marché d’origine allemande du consortium ERNO (Entwicklungring qui regroupe les sociétés Wezer et Hamburger Flugzeugbau ainsi que Focke Wulf.) C’est un bimoteur à réaction aile basse destiné aux pays en développement. Elle en étudiera et réalisera la liasse-plan, les volets hypersustentateurs et rails de guidage. Devenu un projet multinational, le projet est financé essentiellement par l’Allemagne mais aussi à des degrés divers par les britanniques et les belges SABCA et Fairey. Faute d’intérêt il en sera construit moins de 20 appareils. En plus du prototype détruit par crash en février 1972, 18 exemplaires seront construits et livrés, et quatre autres non complétés seront détruits ou utilisés pour pièces de rechange …

Afin de se diversifier la SABCA a participé à plusieurs programmes d’avions civils qui ne furent pas toujours des succès comme le Fairchild-Dornier 728 dont SABCA devait construire la structure du cockpit et du fuselage arrière. Ce programme fut arrêté, avant même la certification du seul prototype, à la suite de la faillite de Dornier en 2002. (SABCA)

Dès 1963 la SABCA s’intéresse à l’espace et participe à des programmes de fusées-sondes dont elle est l’intégrateur de charges utiles. Son ambition est de participer aux programmes spatiaux européens dès le stade de développement en se focalisant sur ses atouts à savoir les systèmes électroniques, les commandes hydrauliques et les structures. Cette ambition spatiale se concrétisera au travers de différents projets de lanceurs (Europa, Ariane, Vega etc …) dont elle se voit confier l’étude et la réalisation de composants en relation avec ses spécialités jusqu’à sa participation dans les programmes Ariane successifs. Dès 1973 elle est associée au Spacelab dont elle conçoit et fabrique des éléments importants comme un compartiment pressurisé et contrôlé thermiquement, appelé l’Igloo, destiné au stockage d’équipements de servitude destinés à la mission et des éléments de structure inter-modules.

La fusée sonde ESTEC SABCA R66 réalisée par la SABCA en collaboration avec la COBELDA en 1966. (Photo Guy Viselé)

Gosselies
A Gosselies, la fin du programme F-104G inquiète surtout la section tôlerie. Les premiers F-104G belges entrant déjà en usine pour des modifications au rythme de deux par mois dés mi 1964 permettent garder de l’emploi mais la société doit se diversifier dans des productions hétéroclites allant de caravanes, capots pour locomotives de la SNCB, des cabines électriques pour les ACEC et même des containers sanitaires pour les liners de la SABENA. Heureusement un contrat de révision de 150 F-104G de la Luftwaffe que l’industrie aéronautique outre-Rhin n’est pas en mesure d’assurer, est tombé à point nommé fin 1965 et permet d’éviter des licenciements. Au total ce seront finalement 295 appareils allemands qui passeront en révision à Gosselies de fin 1965 à 1972 quand l’industrie allemande sera à même de reprendre l’activité.

Dans la recherche de diversification et assurer l’emploi en période creuse, la SABCA construira même des caravanes Jouret. (SABCA)

Entrée dans le secteur des hélicoptères grâce au contrat de révision des Sikorsky H-34 américains (version militaire du S-58,) la SABCA procède aussi à la révision d’hélicoptères HSS-1 de la marine Italienne et de la Force Navale, d’Alouettes II Artouste de la Light Aviation de la Force Terrestre. 21 Lockheed T-33 rentrent dans les ateliers à partir de décembre 1967 pour subir une grande révision. D’autre part la COBELDA procède à la révision et à la réparation des équipements de systèmes électroniques du F-104G (dont ceux de la Luftwaffe,) de systèmes électroniques Doppler du Bréguet Atlantic ainsi que du radar PAR du missile Hawk dans le cadre de la maintenance OTAN de 5ème échelon.

Des F-104G allemands de la JG 71 « Richthofen » sur le tarmac de Gosselies. Les F-104G qui sortent de grande révision IRAN chez VFW en Allemagne sont convoyés à la SABCA par le pilote d‘essais Serge Martin en vue de leur de calibration radar avec le système CORAPRAN développé par la COBELDA. (SABCA)

Dès 1959 la Force Terrestre s’est équipée de 61 Alouettes II Artouste en remplacement de ses Piper L-18C. En 1967 une commande supplémentaire de 41 Alouettes II Astazou, plus puissantes et plus économes en carburant, est passée et Gosselies se voit confier l’assemblage qui débute fin octobre pour se terminer en juin 1970. Ce ne sera qu’une étape dans la relation SABCA/Alouette car au travers de contrats de maintenance et de révision celle-ci ne se terminera qu’en avril 2004, 422 Alouettes seront passées par les ateliers de la SABCA en près de 40 années.

L’Alouette II « Astazou » OL-57 est livrée en décembre 1968 et retirée de service en 2008. (SABCA)

Le programme Mirage
Dès 1965 la Force Aérienne commence l’étude en vue du remplacement des F-84F Thunderstreak et sa version reconnaissance le RF-84F Thunderflash. Les avions sont vieillissants et leur retrait de l’inventaire de l’USAF, prévu pour janvier 1968, va compliquer la disponibilité de pièces de rechanges dont les stocks devront dorénavant être constitués et gérés par la F.Aé. L’étude d’un remplaçant se fait conjointement avec les hollandais confrontés au même problème. Après étude et évaluation de différents candidats dont le SAAB J-35 Draken, le Lockheed F-104S, le Douglas A-4E Skyhawk, le choix initial des militaires belges et néerlandais se porte en 1966 sur le Northrop F-5A dont 116 appareils sont prévus pour la Belgique et 105 pour les Pays-Bas.

Le FU 82, un F-84F Thunderstreak de la première escadrille du 2ème Wing Tactique de Florennes est vu à la SABCA Gosselies en février 1967. Une année plus tard, la décision est prise de remplacer ces avions robustes mais vieillissants par des Dassault Mirage M5. (Photo Guy Viselé)

La décision belge définitive se faisant attendre du côté politique, les Pays-Bas décident de s’en tenir au planning et concluent avec Canadair un contrat de construction sous licence. La Royal Canadian Air Force a fait le même choix et entame la construction sous licence du CF-5A. Invitée à participer au même deal, la Belgique considère les compensations économiques trop faibles. Dassault entre dans la danse avec une version « électroniquement dégradée » du Mirage IIIE, le chasseur-bombardier Mirage M5, initialement conçu pour répondre aux besoins israéliens après la « guerre des six jours » de 1967. Dassault offre des compensations économiques importantes et des investissements de l’ordre de 100 millions de Fb (2.5mios €.) En plus de l’assemblage final en Belgique, les compensations comportent la fabrication d’éléments d’autres programmes, le tout évalué à un plan de charge pour 1.070 emplois durant 7 ans. Le choix se porte finalement sur l’appareil français le 16 février 1968. Les contrats sont signés le 29 août pour 63 Mirage M5 BA, monoplaces chasseurs-bombardiers, 27 M5 BR monoplaces de reconnaissance et 16 M5 BD, biplaces d’écolage.

La chaine d’assemblage des Mirage à Gosselies en 1970. A l’avant-plan le BA 27. (Collection Charles Mali)
Le BD 02 fait l’objet de mises au point avant les essais en vol en août 1970. A noter à l’arrière-plan les réservoirs pendulaires de 1.700 L dans leur enduit rouge de protection. (Collection Charles Mali)

Les trois appareils de tête de série seront construits chez Dassault à Melun-Villaroche et livrés directement à la F.Aé. Le reste sera assemblé et testé à Gosselies. Les premiers avions sont prévus pour être livrés au début de 1970. C’est un soulagement pour SABCA et Fairey à Gosselies qui renoncent à licencier du personnel. Dassault tient ses promesses et SABCA Bruxelles se voit intéressée à divers programmes dans sa spécialité comme les dérives et stabilisateurs du Mirage F1, des éléments de voilure pour l’avion de ligne Mercure, l’étude et développement de l’empennage du Mirage G4 à géométrie variable, projet qui sera abandonné.

Les « têtes de série » effectuent leurs premiers vols en France avec les immatriculation MA 01, BD 01 et BR 01. Dès leur arrivée en Belgique, le M est modifié en B pour Belgique. Ce seront les seuls Mirage belges à être parés des décorations rouges aux entrées d’air et arrière du cockpit. (Dassault)

En 1969 la Hughes Helicopters Cy. décide de se retirer de COBELDA à la suite de l’échec de la vente de ses hélicoptères OH-6 Cayuse à la F.Aé. La SABCA rachète ses parts et procède quelques temps après à la dissolution de l’entreprise qui est intégrée en tant que division électronique dans la SABCA.

A la suite de l’achat des Mirages, le contrat de révision des H-34 américains ne sera pas renouvelé.

A shot in the arm … l’arrivée de Dassault
Pour honorer ses engagements de compensation, le groupe Dassault constitue une filiale belge le 7 novembre 1968. La société « Dassault Belgique Aviation » (DBA) a pour vocation de faciliter l’accès au savoir-faire de Dassault pour la SABCA et Fairey, firmes belges participant au programme Mirage. De plus cette société supervise globalement le programme de compensation et les fournitures des sous-traitants des composants et dispose d’un bureau d’études. Via sa nouvelle filiale, Dassault décide en 1969 de rentrer dans le capital de la SABCA qui se voit ainsi doublé et porté à 240 millions de Fb. Cela se traduit directement par l’investissement dans de nouvelles machines-outils à commandes numériques. Le bureau d’études et les programmes initialement prévus pour DBA sont transférés à la SABCA. L’arrivée de Dassault dans son actionnariat, avec l’assentiment de Fokker qui y voit un intérêt pour le développement, donne une nouvelle dimension à l’entreprise en lui permettant d’intégrer des programmes dès la conception et d’acquérir une solide expérience dans les technologies de pointe.

Le BA 01 après sa livraison à la F.Aé à Florennes. Pour des raisons d’économie, les Mirage ne seront pas peints en usine par la SABCA mais en base par la F.Aé. suivant une directive du 12 mai 1970. Ceci explique sans doute les nombreuses variations dans les camouflages des Mirage belges. (Hugo Sermon via Hubert Barnich)
Entre 1978 et 1980 dans le hall se côtoient des F-16A en construction et des Mirage en révision et modification. Ici un Mirage 5BR fait l’objet de modifications en vue du placement de caméras panoramiques. (SABCA)

A l’approche de son cinquantenaire, la SABCA est adossée à deux grands groupes aéronautiques européens et détient un plan de charge étalé qui permet d’entrevoir la stabilité nécessaire à l’épanouissement de ses possibilités. Comme le prédit Pierre-Georges Willekens, son administrateur-directeur général en 1969, « les Etats-Unis ont besoin de l’industrie aéronautique européenne pour autant qu’elle soit qualitativement compétitive et la SABCA le sera si elle ne l’est déjà. » Déjà se profile à l’horizon le futur remplacement des F-104G, qui donnera lieu au deuxième « contrat du siècle », celui du devenu mythique General-Dynamics F-16.

Les BD 07, BA 03, BA 10 devant les ateliers de la SABCA probablement en janvier 1971, un mois qui fut très rigoureux et neigeux .

C’est donc avec confiance que la SABCA aborde les années septante. Elle compte alors 1.800 personnes occupées et ses installations couvrent 66.000 m². Outre la chaine d’assemblage, de montage final et d’essais en vol des Mirage, les révisions et réparations de F-104G et hélicoptères et d’accessoires électriques, hydrauliques, d’instruments, de radios, l’étude et la fabrication de composants pour des programmes de Dassault ou de Fokker, SABCA fabrique les supports et capotages pour les turbopropulseurs du Breguet Atlantic, des composants pour le SA 330 Puma et le Transall et même des pièces hydrauliques pour Boeing en guise de compensations offertes par l’avionneur américain pour l’achat très controversé de Boeing 737 par la SABENA en 1973 en lieu et place du Mercure de Dassault. C’est un beau contrat qui sera perdu en 1978, les prix étant devenus intenables à la suite des dévaluations du dollar.
L’électronique n’est pas en reste avec l’étude et la fabrication d’équipements de bord, des essais et intégration des systèmes d’armes et aussi l’étude, le développement la fabrication d’équipements de système de tir et de stabilisation pour les chars Léopard. La COBELDA, intégrée comme division électronique, a mis au point le « Corapran, » un système de calibration au sol pour radar qui suscite l’intérêt.

Le projet Mercure de Dassault auquel la SABCA est associée ne sera pas un grand succès. En 1973, le choix de la SABENA d’acquérir des Boeing 737 au lieu de cet appareil créera la polémique. (Dassault)

Le programme Alpha Jet
Au milieu des années septante, la Force Aérienne est confrontée au remplacement du F-104G ainsi que des deux avions d’entrainement, les T-33 et Fouga Magister.
En septembre 1973 le choix du nouvel avion d’entrainement se porte sur le Breguet-Dornier Alpha Jet. 33 appareils sont commandés dont le premier est assemblé en France et livré à la F. Aé en juin 1978. L’assemblage final, les essais au sol et en vol des 32 autres appareils sont confiés à la SABCA Gosselies. La SABCA Bruxelles construira 536 pointes avant pour tous les Alpha Jet. L’AT-02, le premier avion assemblé en Belgique, fait son premier vol le 27 novembre et est livré le 14 décembre 1978. Les avions sortent discrètement d’usine à une cadence de deux par mois, parallèlement à la chaine F-16 qui débute et qui lui volera la vedette. Les grandes révision se feront non pas en usine mais par la F. Aé, la SABCA s’occupant de la révision de sous-ensembles.

Le premier Alpha Jet belge est assemblé en France et fait son premier vol à Istres le 26 octobre 1973. (Collection Robert Verhegghen)
Les Alpha jet AT 31 et 32 après assemblage à Gosselies. (SABCA)

L’AT 06 reviendra en usine en février 1998 pour servir de tête de série pour le programme de modernisation PDM qui consiste à remplacer des équipements électroniques obsolètes et adapter la structure. La SABCA développe et construits les kits de modernisation, incluant entr’autre une plateforme inertielle à gyroscope laser et GPS intégré. Au terme des essais en vol qui se terminent début 2000 les modifications seront progressivement apportées aux 28 Alpha jet encore en service à l’occasion des grandes révisions à Beauvechain avec l’aide de techniciens de la SABCA. En 2004 et 2008 de nouvelles phases consisteront à récupérer des instruments de F-16 déclassés et les rétrofiter sur les Alpha Jet et à un remplacement de radios. En janvier 2008 cette expérience sera payante quand L’Armée de l’Air française confie également à la SABCA, en partenariat avec Thalès Avionique, la modernisation de 20 Alpha Jet avec un système de navigation et d’attaque adapté à la formation des futurs pilotes de Mirage 2000-5 ou Rafale. Les Alpha Jet seront modifiés en France avec des kits fournis par la société belge entre 2010 et 2013.

Inspection de la peinture de fond (primer) sur un Alpha Jet. (SABCA)
L’Alpha Jet E-O131 (314-LT) sert de prototype pour la modernisation des Alpha Jet français en 2010. (SABCA)

Le 2ème contrat du siècle , le F-16
En 1974 la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, qui songent à remplacer les F-104G vieillissants, décident d’unir leurs efforts au sein de European Participating Air Forces (EPAF) pour la sélection d’un avion répondant à leurs besoins tout en négociant le meilleur prix. C’est un marché potentiel de 400 appareils qui suscite l’intérêt des constructeurs. Les concurrents sont nombreux: le « Lancer » qui est un F-104 amélioré, le SAAB Viggen, le Mirage F1E/M53, le Northrop YF 17 Cobra, le B.A.C – Dassault Jaguar et le YF-16 de General Dynamics. La discussion se résume très rapidement en un affrontement entre le Mirage F1E/M53 et le YF-16 dont les constructeurs font l’offensive sur la Belgique avec moultes compensations économiques.

Au retour du Bourget en juin 1975 , le YF-16 est présenté à Beauvechain où il est opposé à un RF-4 Phantom. La démonstration sera éblouissante de puissance et maniabilité. (Collection Robert Verhegghen/42sqn F.Aé)

Si en décembre 1973 le choix belge penche encore fortement vers le F1 français, le premier vol du YF-16 le 2 février 1974 conforte la position de l’avion américain comme concurrent. Le choix le 14 janvier 1975 du F-16 par l’USAF qui étend considérablement le nombre d‘avions à construire, est décisif. Ce nombre estimé à 4.000 amortit les coûts de développement et diminue les prix. Quelques semaines avant le salon du Bourget 1975, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège avaient annoncé leur choix du F-16, et la décision belge était attendue avec beaucoup d’impatience. Le 7 juin 1975, la Belgique se prononce en faveur du F-16 américain et en fait l’annonce au cours du salon au grand dam des partisans de l’ avion français, provoquant une crise politique. Les pays de l’EPAF annoncent le choix du F-16 justifié par des performance supérieures et des coûts de production moindres. Après la décision belge, les ministres de la défence des cinq pays , Belgique, Danemark, Norvège, Pays Bas et Etats Unis signèrent le Memorandum of Understanding (MOU) fixant le principe des compensations économiques accordées aux acheteurs européens.

Deux monoplaces F-16A belges et un biplace danois sur la chaine d’assemblage. Ce sont des block 10. Le carénage de queue abritant le système ECM Carapace sera rétrofité ultérieurement. (SABCA)
La chaine d’assemblage du F-16A à Gosselies. 6H est la numérotation propre au consortium pour les monoplaces belges. (SABCA)

La Belgique commande 96 monoplaces et 27 biplaces. SABCA Bruxelles construira les caissons de voilure, les servocommandes et SABCA Gosselies assurera le montage final, la peinture et la mise en vol des appareils destinés à la Force Aérienne belge, les 58 F-16 achetés par le Danemark ainsi que 4 appareils destinés à l’USAF. La production de ces appareils s’étalera de juillet 1978 à novembre 1984 à la satisfaction de General Dynamics et des clients. Tout comme pour le F-104G, le premier F-16 belge, le biplace FB-01, est construit aux USA et est livré en Belgique par avion de transport C-5 Galaxy, assemblé par la SONACA et testé en vol par la SABCA le 11 décembre 1978 par Serge Martin. Il sera livré à la F.Aé. le 25 janvier 1979 sous des conditions météo exécrables et une grève des employés. C’est le début d’une longue histoire entre la SABCA et le F-16 qui dure encore aujourd’hui. L’histoire montrera que c’était le bon choix, même si le Mirage F1 et le YF-17 devenu F-18 Hornet connurent eux aussi de belles carrières.

De janvier 1988 à mai 1991, une seconde tranche de 40 F-16A et 4 F-16B est produite pour pallier les pertes de Mirage 5. Connu sous l’appellation « Follow On Buy », cette commande s’est inscrite sur fonds de querelles communautaires, la Flandre estimant ne pas avoir reçu de retombées économiques suffisantes avec la première production. Elle agit au travers du Flemish Aerospace Group (FLAG,) un groupe de pression qui s’est constitué en 1980 à l’initiative du Vlaams Economisch Verbond (VEV) pour la défence de leurs intérêts. La Flandre n’ayant aucune facilité aéronautique cela n’aura pas de conséquences sur les activités de Gosselies. Boeing fera une promesse de compensation à la Flandre qui reviendra en fait à la SABCA sous forme d’une machine à napper les tissus en composite de carbone. Elle sera installée dans une nouvelle filiale spécialisée en production de matériaux composites qu’elle ouvrira à Lummen dans le Limbourg. Au total la SABCA construira 222 F-16 dans ses ateliers dont le dernier sera livré en septembre 1991. Ce programme de fabrication entraine des adaptations importantes de l’infrastructure dont de nombreuses liées à la sécurité qui sont imposées par les américains. Des investissements sont également consentis pour un nouveau banc d’essais pour les tests moteurs et un hall de décapage utilisant des technologies nouvelles préservant les surfaces et l’environnement.

La construction d’ailes de F-16A à Haren. Aujourd’hui la SABCA est le seul centre européen de maintenance F-16 qui dispose encore de gabarits pour construire de nouvelles ailes. (SABCA)
Le FB 01 est « emprunté » par General Dynamics pour le Bourget 1979. (Collection Robert Verhegghen/42sqn F.Aé)

Les F-16 belges et étrangers reviendront souvent à la SABCA afin d’évoluer et subir des upgrades ou adaptations d’armement (comme pour les missiles Magic et AS30 français) ou le système ECM Carapace. En 1988 déjà la décision est prise conjointement avec les USA, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège de moderniser les avions pour les maintenir opérationnels jusqu’en 2020. Cet important programme MLU pour « Mid Life Update Program » débute en 1996 et a pour but de porter les F -16A /B au niveau des F-16 C/D Block 50. La SABCA participe au programme de développement aux USA et assure le support technique pour les modifications des appareils européens et fabrique 412 kits de modification. Elle procèdera à la modification des 90 appareils belges concernés au fur et à mesure de leur maintenance, le premier étant le FB 21 en août 1995. LA SABCA est devenue au fur et à mesure des programmes un leader européen incontesté qui lui assure des marchés notamment avec l’USAF qui lui confie encore aujourd’hui la maintenance de F-16 basés en Allemagne et Italie. En 2017, le contrat s’étend à des avions de provenance autre qu’européenne.

Livré à la F.Aé le 28 février 1985, le FA 96 est le 998ème F-16A construit dans le monde et le dernier par la SABCA. Il est vu au 10ème Wing Tactique à Kleine Brogel en mai 1985. (Robert Verhegghen)
« SABCA Limburg » est une filiale à 99% installée à Lummen près d’Hasselt. Elle est spécialisée en matériaux composites. Elle utilise un matériel de pointe comme cette machine de nappage de bandes de fibres de carbone Cincinnati G650 ATL SL et possède un des plus grands autoclaves d’ Europe. (SABCA)

L’Agusta 109
En septembre 1987 un appel d’offre est lancé pour l’acquisition d’hélicoptères à capacité anti-char et d’observation destinés à remplacer les Alouettes les plus anciennes de la Force Terrestre. Le marché porte sur 46 hélicoptères, 28 (HAtk) anti-char et 18 (HObn) d’observation. c’est un marché important de 15 milliards de Fb qui prévoit que les appareils soient assemblés chez SABCA à Gosselies. Deux appareils sont en lice, l’A-350-L1 mono-turbine Ecureuil et l’Agusta 109 BN Hirundo biturbine italien. Contre toute attente, le 21 décembre 1988, l’hélicoptère italien est préféré alors que l’on s’attendait au choix de l’appareil français. Ce choix débouchera quelques années plus tard, en 1994, sur l’ouverture d’un dossier de corruption à l’encontre du Ministre de la Défense Guy Côme, dossier qui finalement fera tomber des têtes du parti socialiste flamand. Ce dossier se prolongera par des suspicions de malversations dans le dossier « ECM Carapace » du F-16 impliquant Dassault, scandale qui fera tomber le Ministre de la Défense ainsi que le président du parti socialiste. Les Agusta seront assemblés d’août 1990 à avril 1994. Ils seront modifiés quelques fois notamment par l’adjonction de plaques de blindage, une version d’évacuation sanitaire, des protections contre les missiles infra-rouges, l’installation de filtres anti-poussière. A chaque fois la SABCA s’occupera de l’étude et des modifications.

Mais l’Agusta n’est pas le seul hélicoptère qui entre régulièrement à la SABCA pour révision ou modifications dans ses usines. Sans rentrer dans les détails, on y verra aussi les Sea King de Coxyde, les Puma et Alouette de la Gendarmerie et les Alouettes III.

La SABCA a investi à Gosselies d’un atelier de décapage et de peinture très moderne et respectueux de l’environnement. Les appareils repeints reçoivent un petit souvenir de leur passage , vu ici sur un F-16C de Aviano lors d’une visite en février 2019. (Robert Verhegghen)

Upgrades et MRO-U
Dès 1975 la F.Aé envisage de doter ses Mirage de systèmes de défense efficace actifs et passifs. Les travaux débutent en 1976 avec une collaboration entre Haren, Gosselies et Dassault. Après les tests en vol sur le BR 21, 63 kit de modifications sont construits et les machines modifiées. En 1989 un nouveau programme important de modernisation est lancé, le Mirage Improvement Safety Program (MIRSIP.) Les anciens sièges Martin-Baker BRM 4 sont remplacés par des Martin-Backer MK10. Le cockpit est remodelé avec un système de navigation, d’attaque et de reconnaissance high-tech développé par la SAGEM. De plus les appareils seront équipés d’ «ailes canards » sur les entrées d’air afin d’augmenter la manœuvrabilité à basse vitesse ainsi que d ‘autres modifications structurelles dont un point d’avitaillement central. Le programme porte sur 15 monoplaces d’attaque et 5 biplaces et sera mené à terme malgré les importantes restrictions budgétaires du plan du ministre Delcroix. Ils ne seront pas utilisés par la F.Aé et seront revendus au Chili en 1994 où ils sont connus sous le nom Mirage 5 « Elkan » et resteront en service jusque décembre 2006.

Un A-109 Hirundo en cours d’assemblage. (SABCA)
1995, destiné au Chili le Mirage 5 BA 46 ayant fait l’objet du programme « Mirsip » est en cours de transformation « Elkan ». Les peintures étant pratiquement neuves, les chiliens garderont le camouflage belge. (Photo Guy Viselé)

Les programmes d’upgrade des Alpha Jet, Mirage et F-16 consolident la SABCA dans ce créneau et lui permettent d’emporter des marchés comme l’upgrade de Mirage F1 espagnols et marocains, d’Alpha Jet marocains, et même des F-5E et F-5F indonésiens dont un exemplaire de chaque seront transportés en Belgique pour l’étude et la mise au point en 1995, apportant une touche d’exotisme dans le ciel belge.


Toute cette expérience a débouché sur une activité constante connue sous le vocable » MRO-U » pour « Maintenance, Repair, Overhaul and Upgrades » que Guy Viselé a longuement détaillé dans Hangar Flying en avril 2019. Nous n’y reviendrons pas et renvoyons le lecteur à cet article pour connaitre les dernières évolutions (www.hangarflying.eu/fr/2019/04/sabca-charleroi-un-centre-de-competence-mro-u-apprecie-internationalement/)

Les F-1 marocains font l’objet d’un ambitieux programme de modernisation en 2006-2007 en collaboration avec la SAGEM. Le F1-EH n°173 rentre en usine le 25 octobre 2006 pour servir de prototype qui servira à l’étude et la construction des kits de modification. A l’arrière-plan un A-10 de l’USAF faisant l’objet de modifications « Precision Engagement » ( PE ) de modernisation de l’armement. Sous divers contrats de modifications, ce seront 98 A-10 qui passeront dans les mains expertes de la SABCA entre 2000 et 2014. (SABCA)

Le futur ?
LA SABCA est avec Boeing la plus ancienne société de construction aéronautique au monde et ayant toujours gardé le même nom. En mars, 2019 Fokker a cédé sa participation de 43,57% dans le capital à Dassault. Une année plus tard Dassault cède à son tour ses parts à Sabena Aerospace et à la SFPI, le bras financier de l’Etat Belge. La SABCA redevient un acteur 100% belge. La présence de Sabena Aerospace devrait donner l’occasion de développer des synergies plutôt que de se concurrencer sur le marché de la maintenance d’avions de combat ou d’étendre à la filiale marocaine de la SABCA établie à Casablanca. le centre de service agréé pour les C-130 Hercules. Face à une concurrence forte, la SABCA doit capitaliser sur ses atouts afin de préserver sa compétitivité et innover. Le développement des drones est un secteur en plein développement où elle a sans doute des atouts à faire valoir. Elle s’y intéresse depuis 2017 dans le domaine des drones industriels. Face à la raréfaction des marchés de révision d’avions de combat, la non-participation à l’assemblage du F-35 choisi par la F. Aé ainsi que des contrats civils venant à terme, la SABCA s’est engagée dans un plan de redressement et de restructuration important à l’arrivée de son nouveau CEO, Thibaud Jongen en 2016. Avec son équipe, il doit faire face aujourd’hui à la crise du Covid-19 mondiale qui ne sera pas sans conséquences sur l’aéronautique civile qui aurait pu être un relais de croissance. Au cours de son siècle d’existence la SABCA a connu des succès, traversé de graves crises, dû faire face à la mondialisation de l’aéronautique mais elle s’est à chaque fois remise en question et a su faire preuve d’adaptation. Gageons que fort de sa longue expérience, de la qualité de son personnel et de ses dirigeants, la société saura faire face aux défis qui l’attendent, faire les bons choix et sceller les bonnes alliances.

SABCA s’intéresse depuis 2017 aux drones qui représentent un secteur en plein développement. Ici un drone médical « Helicus Aero Initiative » destiné au transport d’échantillons médicaux en toute sécurité. (SABCA)

Au travers de ce survol d’un siècle en trois parties, nous avons voulu faire mieux connaitre cette « pépite » de l’industrie de pointe belge sans pour autant abreuver le lecteur de statistiques ou de données chiffrées. Ce récit est forcément très incomplet et ne représente qu’une infime partie de la très riche et passionnante histoire de la SABCA. Faute de place certains projets n’ont qu’été effleurés, d’autres pas abordés. Pour le lecteur qui souhaiterait en savoir beaucoup plus, nous recommandons la lecture des deux remarquables ouvrages de Charles Mali et Nicolas Godfurnon (cfr. bibliographie) retraçant l’histoire détaillée et complète de la SABCA. En plus d’un texte fouillé décrivant en détails l’organisation, les infrastructures et matériel industriel ,les programmes et contrats, l’évolution sociale, le personnel, les dirigeants, les pilotes d’usine comme Gaston Dieu, Bernard Neefs ou Serge Martin et de nombreuses anecdotes, le lecteur y trouvera de très nombreuses photos inédites et de qualité.

Hangar Flying adresse ses félicitations à la SABCA pour son siècle d’existence et lui souhaite un excellent anniversaire et un beau futur !

La couverture du volume 2 de l’histoire de la SABCA par Charles Mali et Nicolas Godfurnon qui paraitra bientôt à l’occasion du centenaire de la société. Le volume 1 est déjà paru voir www.hangarflying.eu/2017/12/sabca-des-origines-aux-f-104g-1920-1963/ .(Charles Mali)

Bibliographie :
-SABCA des origines aux F-104G, volume 1, Charles Mali et Nicolas Godfurnon, Mémoire de l’Aviation belge, FNAR (www.fnar.be/)

  • SABCA du Mirage au siècle d’existence, volume 2, – Charles Mali et Nicolas Godfurnon, Mémoire de l’Aviation belge (à paraitre à l’occasion du centenaire,) FNAR
    -Plaquettes anniversaires de la SABCA 50 ans et 75 ans
    -Rêves et Obstination de l’Industrie Aéronautique Belge, SABCA 1920-1990, Editeur SABCA, 1992
    -Revues: La conquête de l’Air, Air Revue, Aviastro, Hangar Flying.

Robert Verhegghen, avec la précieuse contribution de Charles Mali que nous remercions chaleureusement.
Photos: Dassault, SABCA, collection Charles Mali, collection Robert Verhegghen, Guy Viselé

Picture of Bob Verhegghen

Bob Verhegghen

Né au Congo en janvier 1952. Passionné d’avions militaires et de maquettes dès mon plus jeune âge. Auteur de nombreux articles historiques et ou de maquettisme sur la force Aérienne dans diverses revues et dans la revue KIT de l’IPMS Belgium. J’ai un intérêt particulier pour les planeurs anciens, la Force Aérienne d’après-guerre et les T-6, (R) F-84F, et Mirage. J’ai le soucis de l’exactitude et du détail pour mes maquettes. Pilote de planeur depuis 1977, instructeur avec près de 900 heures de vol je suis l’heureux copropriétaire de l’ASK-13 ex PL-66 des Cadets de l’Air (aujourd’hui D-3438) basé à Temploux.

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