Bruxelles, sous confinement dû au Coronavirus en avril et mai 2020 qui favorise le repli sur la documentation et qui m’amène à redécouvrir quelques clichés d’Auster AOP MK VI (Air Observation Post.) Malgré qu’il s’agisse d’un avion de servitudes – et certainement pas un appareil avec le glamour d’un pur sang – j’ai développé une certaine sympathie pour cet appareil pour des raisons que j’évoquerai plus loin.
Les tout premiers Aeropees (Air Observation Post) sous les cocardes belges
Sortant de la 2ème Guerre mondiale en 1945/46, la Belgique reconstruisait et réorganisait ses forces armées sur la base d’une forte fraction de celle-ci ayant combattu au sein des forces armées britanniques.
Pour constituer une escadrille d’observation, de liaison et de réglage de tirs d’artillerie, l’aviation militaire belge en pleine reconstruction mit sur pied le squadron 369 doté des 22 Auster AOP MK VI achetés neufs et issus des stocks de la Royal Air Force. Ceux-ci furent commandés en 1947. Le premier commandant de cette nouvelle unité, organisée à l’instar des unités AOP de la RAF, fut le Major Aviateur Van der Stock, héros de guerre. Implanté à Brasschaat, siège de l’artillerie belge, le 369 squadron dut attendre que son aérodrome d’attache soit terminé avant de percevoir son premier avion le 14 février 1948, un De Havilland DH 82a Tiger Moth immatriculé T24 qui sera suivi d’un second destinés aux pilotes pour leur entraînement à l’acrobatie, ce qui était prohibé aux Auster car ils étaient interdits de manœuvres acrobatiques et de vrilles. Ce même mois, le 369 AOP était rebaptisé 15ème escadrille AOP faisait partie en 1949 non plus de l’Aviation militaire dès lors que la Force Aérienne était officiellement constituée. De fait, l’histoire des Auster belges s’est dès lors accélérée et le premier des vingt-deux Auster AOP MK VI stockés jusque-là à l’arsenal de Wevelgem a rallié Brasschaat.
La dotation totale de la 15ème escadrille était de 22 Auster AOP MK VI immatriculés A-1 à A-22. Les premiers pilotes étaient issus de l’aviation mais aussi de l’artillerie, tels que les capitaines Lejeune, Goidts et Verbruggen. Les observateurs étaient eux aussi issus de l’artillerie. Lors d’une grande cérémonie organisée sur la base de Florennes le 1er septembre 1949, le Lieutenant-général Aviateur Lucien Leboutte présenta les fanions aux escadrilles de la toute nouvelle Force Aérienne; la 15ème escadrille AOP se vit confier le fanion à l’abeille, emblème de la 6ème escadrille constituée en janvier 1916 lors de la 1ère Guerre mondiale, mais adopta toutefois une nouvelle devise: Semper Labora (travaille toujours,) qui perdure toujours. Cette devise et l’emblème de l’abeille sont même devenus ceux de l’aviation légère (light aviation) devenue autonome le 15 avril 1954.
Un incident tragique endeuilla la 15ème escadrille le jour de la Sainte Barbe (patronne des artilleurs) le 4 décembre 1950 lorsque, au cours d’un vol en formation de deux fois quatre Auster, les A-10 et A-19 entrèrent en collision juste après avoir défilé au-dessus du champ de manœuvres d’Etterbeek. Cet événement affligeant engendra le décès du pilote de l’A-10, le Capitaine Robert Verbruggen.
En juin 1951, deux Auster AOP MK VI étaient détachés sur l’aérodrome de Wahn (l’aérodrome de Köln-Bonn) en tant qu’appui aérien du 1er Corps d’armée belge stationné en Allemagne. Il en sera ainsi jusqu’en 1956/1957. Ce furent les deux derniers Auster AOP MK VI actifs, le type étant retiré du service officiellement le 21 octobre 1955.
Les missions en coopération avec la gendarmerie apparurent très tôt: la première mission du genre eut lieu le 31 juillet 1950. Il s’agissait de reconnaître les arrivées de voitures de manifestants convergeant vers Bruxelles, pro ou anti-royalistes, car pour éviter les échauffourées entres les deux factions, l’une favorable, l’autre farouchement opposée à la fameuse « question royale », les manifestations avaient été interdites, mais les protagonistes résolus prirent des chemins détournés ou inhabituels. C’est l’A-14 qui effectua le premier vol de repérage de l’arrivée des convois automobiles suspects en les survolant à basse altitude, suscitant la vindicte des manifestants qui leur lancèrent des imprécations et leur jetèrent des cailloux, mais ni l’un, ni l’autre n’atteignit l’avion qui volait bas mais hors de portée des projectiles improvisés.
Dès le début de leur mise en service, quelques Auster furent affectés à l’EPE (Ecole de Pilotage Elémentaire) basée à Schaffen-Diest d’abord et à Gossoncourt-Tirlemont ensuite. Disposant d’un habitacle plus spacieux et surtout fermé, ils étaient nettement plus agréables pour les exercices de navigation que les Tiger Moth ou Stampe & Vertongen SV4 pour voler avec la carte sur les genoux ou rien que pour la déplier pour suivre la route tracée.
En juillet 1952, les premiers Piper L-18 Cub vinrent renforcer les Auster AOP MK VI, ce qui permit, entre autres, de créer le 15 septembre 1953 une deuxième escadrille, la 16ème AOP. Celle-ci prit ses quartiers à Bützweilerhof près de Cologne, qui demeura l’un des repaires de l’aviation légère de l’armée de terre jusqu’en 1993…
Les Auster AOP MK VI furent définitivement retirés du service le 21 octobre 1955.
Les plus beaux morceaux de bravoure des Auster belges fut sans conteste les missions effectuées au Pôle Sud dans le cadre de l’Année géophysique internationale 1957-1958.
Aventures en Antarctique
La première année géophysique internationale s’étala de novembre 1957 (été austral) à décembre 1958. La participation belge, sous les ordres du Baron Gaston de Gerlache de Goméri, ancien pilote de la Force Aérienne, comportait dix-sept membres éminents, tous scientifiques spécialisés. Outre le programme rigoureusement imposé par le comité de l’année géophysique internationale, Gaston de Gerlache y avait ajouté une mission de cartographie aérienne et des reconnaissances à l’intérieur du vaste sixième continent. C’est pourquoi le navire qui devait les y amener transportait un Auster AOP MK VI (immatriculé A-2) dans une grande caisse. Cet appareil peint en orange vif était très différent de ceux en service à l’aviation belge dans la mesure où, selon ceux de la RAF, il était muni de skis au lieu d’un train d’atterrissage avec des roues, son radiateur d’huile était supprimé, le débit du chauffage était accru, un poste de radio VHF était installé, un réservoir d’essence additionnel était fixé à l’intérieur du poste de pilotage et, bien entendu, une trappe pour un appareil de prise de vues indispensable à la mission de cartographie aérienne.
L’A-2, accompagné d’un hélicoptère Bell 47-H (immatriculé OO-SHW,) quitta le port d’Anvers le 12 novembre 1957 pour aborder en Antarctique le 26 décembre et choisir l’endroit qui servirait de base principale pour l’expédition. L’avion fut remonté et testé et les premiers vols de reconnaissance le long de la côte se déroulèrent le 26 janvier. Les jours suivants clouèrent l’avion au sol à cause d’un violent et persistant blizzard. Ce vent ravageur fut également à la base de leur premier déboire car, l’avion était à l’extérieur, subissant toutes les intempéries et l’équipage avait posé un grand panneau derrière lui pour le protéger du vent meurtrier. Mais la force du vent projeta violemment le panneau sur le gouvernail de direction de l’appareil et le tordit. N’ayant pas les pièces de rechange nécessaires pour réparer, c’est le mécanicien, le 1er Sergent-major Vanderheyden qui en assura la réparation manuellement avec un brio rarement égalé, il redressa le gouvernail de direction à la force du poignet en le maintenant sur ses genoux. Ajusté avec précision, il s’agissait d’une réelle prouesse technique !
Le 3 février, le géodésien Jacques Loodts effectua un vol d’observation avec atterrissage au pied du mont Roemnes sans incident. Le 11 mars 1958, une mission air-terre fut montée pour aller explorer les monts aperçus à 150 km plus au sud. Le premier rendez-vous des véhicules avec l’avion était convenu au pied du mont Roemnes. L’Auster surchargé décolla péniblement de la base et bientôt son moteur subit une perte de puissance l’empêchant de maintenir son altitude alors que la pente du sol ne faisait que monter, mais il put se poser providentiellement, le contact avec le sol ayant lieu exactement au point de rendez-vous avec l’équipe terrestre. Après inspection du moteur, il fut décidé de remorquer l’avion avec le véhicule chenillé jusqu’à la base, soit un trajet de 120 km « à pas d’homme » pour prévenir tout mouvement dangereux à l’avion. De nouveau, le mécanicien eut à ajuster les cylindres de ses mains au micron près, faute de joints de culasse de rechange disponibles, et la manœuvre réussit pleinement grâce à son expertise.
Lors d’un vol de reconnaissance le 17 octobre 1958, vers les monts de Cristaux, de nouvelles montagnes furent découvertes par l’observateur Xavier de Maere d’Artrijcke, avec le pilote, le Prince de Ligne (ancien pilote de la Force Aérienne) qui les baptisèrent «Monts Belgica ». Le meilleur moyen, sinon le seul, pour réaliser les relevés topographiques des monts était l’avion; des tests furent réalisés avec charge inerte (sept bidons d’essence) avant de se risquer à transporter des scientifiques. Ces précautions prises, le pont aérien fut lancé et, en quatre vols aller-retour, deux hommes et un dépôt d’essence furent installés à proximité des monts Belgica en un endroit appelé D.4. Le camp D.4 fut transporté par air au point D.5 le 3 décembre. L’avant-dernier mouvement aérien consistait à amener l’équipage de Gerlache-Loodts vers le point D.6, le premier vol ne transportant que des vivres et du matériel scientifique lourd. Le décollage de D.6 pour rallier D.5 fut problématique, le sol étant fait de glace vive recouverte par endroits de petites dunes de neige plus ou moins gelée. L’Auster piqua la pointe de son ski gauche dans un petit monticule dont la neige était plus molle et l’avion fit un cheval de bois sans dommage pour le pilote. Mais le train d’atterrissage était complètement bousillé, l’appareil totalisant une centaine d’heures de vol antarctique fut abandonné sur place et s’y trouve toujours de nos jours. Le pilote intact et les membres de l’expédition terrestre lors de cette opération furent secourus par un avion russe patrouillant à leur recherche.
Jean-Pierre Decock