Bruxelles, le 1er décembre 2020. En aviation commerciale, tout se calcule par une équation qui s’appelle ACMI. Cette formule reprend les coûts d’opération d’un aéronef, ce qui comprend l’amortissement de l’avion (A pour « aircraft »), les frais d’équipage et du personnel au sol (C pour « crew »), les frais de maintenance de l’appareil (M pour « maintenance ») et l’assurance de celui-ci (I pour « insurance »).
Ils représentent les frais fixes et à cela viennent se greffer les frais d’exploitation tels que le carburant, le handling, les taxes d’atterrissages, les redevances de survol, le catering, l’hébergement des équipages, etc…
Certaines compagnies aériennes se sont spécialisées dans la location d’avions en ACMIet proposent leurs services à d’autres transporteurs qui ont une demande de capacité accrue pendant certaines périodes de l’année.
La clé du succès est de trouver un appareil flexible sur le marché de l’occasion, qui permet une utilisation d’environ 2.000 heures de vol par an, chiffre qui permet d’être bénéficiaire, et est à même d’effectuer à la fois des vols courts et long-courriers. Ce qui n’est pas le cas pour des avions neufs qui eux doivent voler minimum 4.000 heures par an pour être rentables.
Les compagnies aériennes volent à plein rendement durant la saison d’été, où tout ce qui a des ailes vole, et essaient de trouver des contrats de location en saison d’hiver dans d’autres régions du monde, les saisons touristiques étant différentes selon les hémisphères. Un autre créneau convoité consiste à transporter les pèlerins musulmans à La Mecque, Une fois par an, les croyants se rassemblent pour le « Hadj » au début du mois lunaire du calendrier musulman (au premier croissant de lune visible à partir de la nouvelle lune).
Cela veut dire que le début de cette période, qui suit un calendrier différent du nôtre, avance de deux semaines par an, et lorsqu’il arrive en hiver c’est une opportunité pour les compagnies aériennes de l’hémisphère nord, dont diverses compagnies belges.
La Trans European Airways (TEA), créée en 1971 par Georges Gutelman, a acquis son premier Boeing 720 (un 707 plus court) chez le constructeur Boeing, qui se trouvait avec une dizaine de 720 qu’ils avaient racheté de Eastern Airlines en paiement partiel d’une commande de Boeing 727.
Boeing a fait confiance à l’homme d’affaire belge avec un contrat à l’heure de vol. L’appareil a été convoyé sur Zaventem et la jeune compagnie belge a immatriculé son premier avion OO-TEA au mois de mai 1971.
TEA a commencé à l’utiliser sur l’extrême Orient avec un stop technique à Bagdad, et effectué des vols charters sur le bassin méditerranéen. La première saison d’hiver 1971/72 a été l’occasion d’effectuer un premier contrat de transport sur La Mecque pour Air Algérie, ce qui a permis de stabiliser la compagnie à ses débuts. Ce fut le début d’une longue succession de locations ACMI vers un grand nombre de compagnies aériennes.
Après la récession de la fin des années 70, suite à la crise du pétrole, la décennie suivante a été marquée par un accroissement du trafic que les compagnies aériennes n’avaient pas prévu, ce qui les a amenés à rechercher des capacités supplémentaires en affrétant des avions ailleurs pour pouvoir répondre à la demande des passagers.
Quelques nouvelles compagnies spécialisées dans ce genre d’affrêtement se sont alors créées en Belgique au début des années 80, appelées les « golden eighties ».
En voici quelques-unes :
Overseas National Airways, appelée ONA, a été créé en 1986 par Luc Mellaerts, pilote en aviation d’affaire, et Pierre Vandenbroucke ancien Vice-President Europe de la compagnie charter américaine Capitol Airways. D’abord « broker » en affrêtement, ONA a loué deux Boeing 707 à la compagnie zaïroise Scibe, appartenant à l’homme d’affaire Bemba Saolona. L’appareil convenait bien pour les clients et pouvait effectuer à la fois des vols intra européen et longs courriers. L’un d’entre eux a notamment été loué sous immatriculation zaïroise 9Q-CBL à la Sobelair pendant la saison d’été 1989.
ONA a notamment été à l’époque de la guerre froide une des premières compagnies à louer un avion de construction américaine a une compagnie d’un pays de l’est pour effectuer des vols, pour le compte de la LOT, afin d’acheminer des marins pécheurs de Gdansk à Vancouver.
European Airlift a été créée en 1992 par Luc Mellaerts, en association avec Bemba Saolona, l’homme d’affaire zaïrois appelé en Afrique le patron des patrons.
La société a opéré un Boeing 707 ex Sabena (9Q-CBW ex OO-SJO), et deux DC-10, dont l’un était un DC10-10 immatriculé aux USA (N102UA), et qui était un ex-Laker Airways (G-AZZC), une des premières compagnie « low-cost » anglaise. Un deuxième appareil avait été loué de la compagnie française UTA.
European Airlift a également effectué des vols réguliers pour le compte de Scibe Airlift entre Bruxelles et Kinshasa.
Un client important de la jeune compagnie était une société de la République Dominicaine, la Taino, pour laquelle les DC-10 effectuaient des vols réguliers entre l’Allemagne et la République Dominicaine.
European Airlines a été créée initialement sous le nom Frobisher nv en 1991 par Roger Nuyens et Marc Huylenbrouck. Ils ont commencé à opérer avec un Boeing 737-300 ex-TEA (OO-LTE) bientôt suivi de trois Airbus A300B-4 (OO-ING, OO-MKO et OO-TJO), qui ont effectué beaucoup de vols ACMI pour le compte de divers transporteurs notamment anglais, et d’Afrique du nord et de l’ouest. La compagnie a arrêté ses activités en 1995.
Pour la petite histoire, le « call-sign » était « Frobisher » (la baie de Frobisher) en souvenir des convoyages d’avions entre les Etats Unis et l’Europe qui passaient par Iqaluit au nord de Canada pour ravitailler l’avion avant la traversée de l’Atlantique.
Challengair a été crée en 1994 par des investisseurs belges, Luc Mellaerts et Aldo Vastapane. Cette compagnie a opéré deux DC-10-30 (OO-LRM et OO-JOT) et a loué ses avions à diverses « airlines », notamment à Corsair en France.
Le choix de ce type d’avion, le DC-10-30, correspondait parfaitement à la demande des clients pour ce genre d’activité. Il était d’une excellente flexibilité avec trois très bons moteurs General Electric CF50-C2, et pouvait tout faire : un jour il effectuait un vol entre Bruxelles et Palma et le lendemain il pouvait traverser l’Atlantique et effectuer un vol Bruxelles-Los Angeles, sans les problèmes ETOPS liés aux normes de sécurité imposées aux avions bimoteurs qui doivent toujours se trouver à une certaine distance d’un aéroport de secours en cas de panne d’un moteur.
La compagnie n’a pas été soutenue par l’Administration de l’Aéronautique belge qui n’était pas à même d’assurer un contrôle des appareils lors des locations à l’étranger et de ce fait n’a pas été en mesure de renouveler la licence d’exploitation.
La société a donc fermé ses portes en 1998.
Skyjet a été créée en 1992 par Pierre Vandenbroucke en association avec d’autres administrateurs belges. Cette compagnie a également fait le choix de s’équiper de DC-10, jugé particulièrement flexible. Pas moins de cinq DC-10 (dont un cargo) ont été opérés par Skyjet (Belgique) (OO-PHN) et différentes sociétés non-européenne du groupe : Skyjet Antigua (V2-SKY, V2-LEA et V2-LER) et Skyjet Brasil (PP-AJM)).
Skyjet a été la première compagnie belge à opérer des vols directs entre la Belgique et la République Dominicaine avant de se faire siffler le contrat par la Sobelair qui avait commandé des Boeing 767-300.
Le comble de l’histoire est que les appareils de la Sobelair ont subi des retards de livraison importants et la filiale charter de la Sabena s’est vue obligée de louer le DC10-30 de Skyjet afin de commencer les vols.
La société a également fermé ses portes en 1998 suite au refus de l’Administration de l’Aéronautique de renouveler la licence d’exploitation pour les mêmes raisons que Challengair.
Abelag Airways a pris livraison d’un Boeing 707 en 1979, et s’est vu refuser les droits de trafic charter long-courriers par l’Administration de l’Aéronautique belge, soucieuse de protéger les intérêts de la compagnie nationale Sabena. Les accidents des premiers DC-10 et la mise au sol de ceux-ci pendant plusieurs mois ont entraîné une demande d’avions de remplacement par de nombreuses compagnies aériennes clientes du triréacteur de Douglas. Ce qui a permis la Abelag Airways de louer son 707 OO-ABA à UTA. Suite à une modification de l’actionnariat, la compagnie belge change de nom pour donner naissance quelques mois plus tard à une première Air Belgium.
Plus récemment, Air Belgium, deuxième du nom,a été créée en 2016 par plusieurs entrepreneurs belges, parmi lesquels Niky Terzakis, l’ancien managing director de TNT Airways.
Ils opèrent une flotte homogène de quatre Airbus A 340-300 (OO-ABA, OO-ABB, OO-ABD, OO-ABE), qui est également un avion flexible que plusieurs compagnies régulières utilisent encore.
L’Airbus A340 est moins cher que des avions plus récents et peut également tout faire, avec un seuil de rentabilité peu élevé (de l’ordre de 2.000 heures de vols par an).
Air Belgium a déjà opéré pour une trentaine de compagnies aériennes différentes (dont Surinam Airlines, British Airways et d’autres) et opère également des vols pour compte propre, d’abord sur Hong Kong, puis sur Pointe à Pitre, Fort de France, et bientôt l’Ile Maurice.
Comme on le voit, les « petits » belges, ont su tirer profit de leurs talents d’entrepreneurs et de leurs compétences pour se faire une place sur ce marché très spécialisé de l’ACMI.
Texte : Henri Fabry
Photos : Guy Viselé