(1ère partie: les 20 premières années)
Bruxelles, 2 janvier 2021. Il n’est pas fréquent de célébrer une compagnie aérienne ayant opéré pendant pas moins de quarante ans avec une licence d’exploitation (AOC) nationale et une flotte immatriculée belge, et qui est encore active cinquante années après sa fondation, mais sous pavillon allemand. Suite à un changement d’actionnariat il y a dix ans, European Air Transport s’est transformée European Air Transport Leipzig Gmbh. Nous allons vous en raconter l’histoire.
C’est en décembre 1971 que naît une petite société anonyme belge sous le nom de European Air Transport (EAT). Dotée d’un capital de 2.200.000 francs belges (correspondant à environ 55.000 euros), elle est fondée par Paul Pirlot de Corbion, président, Charles Dessain, et Mmes Herrezeel et Wingelinckx, qui sont les épouses respectivement de Iwein Van Caelenberg (directeur des opérations et chef-pilote), et Demayer, directeur commercial.
Les débuts en taxi aérien
L’objectif initial était d’offrir des services de taxi aérien, un secteur qui en était à ses tout débuts à l’époque, et pour lequel EAT fait l’acquisition en mars 1972 d’un Beechcraft 65 Queen Air d’occasion (OO-IJP). Bimoteur non pressurisé équipé de deux moteurs 6 cylindres à plat à injection Lycoming IGSO-480-A1B6 de 340 ch., il peut emporter jusqu’à sept passagers en plus des deux pilotes, dans une cabine particulièrement spacieuse par rapport à ses concurrents de l’époque (Cessna de la série 400 et Piper Navajo principalement). Sa vitesse de croisière se situe à environ 340 km/h et son autonomie maximale est de 2.600 km. Les principaux concurrents en Belgique déjà solidement présents sur ce marché, sont Abelag et Publi-Air. Il sera très vite rejoint par un deuxième Queen Air 65, le OO-NJP, racheté chez Philips Aviation en juin 1972.
EAT ayant décidé d’utiliser les lettres « JP » (initiales des prénoms de certains administrateurs) précédées d’une lettre d’identification individuelle (I, G et N pour les trois premiers) pour sa flotte naissante, cela créait des confusions pour le contrôle aérien avec un « radio call-sign » identique pour plusieurs avions. D’où la ré-immatriculation dans une série où le binôme « JP » est déplacé en préfixe.
Un petit monomoteur de tourisme Gardan GY-80 Horizon 160 (OO-AJP), qui était l’avion privé de M. Pirlot de Corbion, passe rapidement chez EAT. Un Cessna P206A (OO-GJP) est pris en leasing en août 1972 pour permettre la formation au vol aux instruments, la fameuse qualification IFR devenue récemment accessible aux candidats pilotes professionnels et privés après avoir été longtemps monopolisée par l’Ecole d’Aviation Civile, qui formait essentiellement les futurs pilotes Sabena.
Les deux activités principales, taxi aérien et écolage, se développent en parallèle. Les Beech Queen Air sont remplacés fin 1974 par un bimoteur à piston Rockwell 685 pressurisé (OO-JPP), et la flotte taxi s’agrandit en 1975 avec un Piper PA-34 Seneca 200 (OO-JPJ) et un PA-27 Aztec 250 (OO-REV).
Développement de l’écolage
Une école de pilotage complète (de l’» ab initio » jusqu’au pilote professionnel et IFR) est établie à l’aérodrome de Grimbergen en 1973 et EAT devient le premier « Piper Flite Center » en Belgique. Elle utilisera une dizaine de monomoteurs et bimoteurs Piper, achetés au distributeur belge de la marque (NEAS), et devient rapidement une des écoles de pilotage les plus importantes du pays.
L’école est scindée en deux unités géographiques: l’entraînement VFR à Grimbergen, les cours théoriques et l’IFR à Bruxelles-National. Au point de vue infrastructure, EAT dispose d’un chalet à l’aérodrome de Grimbergen, et de salles de cours et locaux administratifs à Melsbroek dans l’ancienne aérogare civile, à côté de l’Aérogare Militaire de l’époque. Elle dispose également de deux link-trainers.
Les premiers contrats Sabena
Une étape majeure est franchie au printemps 1976. European Air Transport obtient un premier contrat de sous-traitance pour opérer des liaisons régionales régulières d’apport (« feeder ») pour le compte de et aux couleurs de la Sabena. L’objectif était de drainer des passagers de villes de moyenne importance vers Bruxelles et le réseau long-courrier de la compagnie nationale. EAT fait un pari risqué, mais réussi, en devenant le premier client européen du bi-turbopropulseur pressurisé Fairchild-Swearingen SA-226TC Metro II d’une capacité de 19 passagers, et en proposant un avion neuf. Elle reprend la place de Publi-Air qui opérait jusque-là un DHC-6 Twin Otter sur Eindhoven-Bruxelles, à raison de trois liaisons par jour. Le premier Metro II (OO-JPI) sera utilisé initialement à la fois sur les lignes d’Eindhoven et de Cologne-Bonn.
La flotte s’articule désormais autour du Fairchild-Swearingen, et fluctue en fonction des contrats entre un appareil (avril 1974) et jusqu’à sept machines (septembre 1986). La Sabena accordait des contrats de courte durée suite à des appels d’offres, et changeait fréquemment de fournisseur. Dans de telles conditions, il était difficile de n‘envisager que des avions neufs. Aussi, par la suite, EAT va surtout faire appel au marché d’occasion.
Le deuxième Fairchild-Swearingen (OO-JPN), un SA-226AT Merlin IV, version « executive » reconnaissable à ses hublots ronds (ils sont carrés sur les Metro), est acquis d’occasion en Allemagne fin 1976 et réaménagé en « commuter ».
Le troisième Fairchild-Swearingen, est un nouveau Metro II immatriculé OO-JPK. Piloté par Iwein Van Caelenberg, il établit un record du monde de distance pour cette catégorie d’avions lors de son vol de livraison le 13 février 1978 en volant de Gander à Londres-Gatwick en 8 heures et 5 minutes.
EAT réussira la gageure de continuer à voler pour la compagnie nationale jusqu’au début des années nonante, et alignera au fil des ans et des contrats une succession de Metro II (SA-226TC) et de Merlin IV (SA-226AT), la version « executive » mais réaménagée avec un intérieur « commuter ». Après les premières liaisons du début (Eindhoven et Cologne), il y aura d’autres contrats de sous-traitance pour la compagnie nationale, en nombre variable selon les périodes.
Outre l’utilisation en contrats Sabena, EAT développe avec succès une activité charter passagers dans un créneau (entre 10 et 19 places) où il n’y a pas beaucoup d’offres sur le marché. La compagnie réussit à obtenir quelques autres contrats de sous-traitance de lignes régulières, notamment la desserte de certaines fréquences de Bruxelles-Londres (Gatwick) pour le compte de la British Caledonian de 1980 à 1984. Fin 1986, EAT opère pour compte de la Sabena les lignes de Düsseldorf, Luxembourg, et Stuttgart. Au niveau de la flotte, le Merlin IV OO-JPN est radié en 1982 et un Metro II (OO-JPY) est acheté en seconde-main en octobre 1984.
Les activités évoluent
Le succès des premières années d’écolage encourage EAT à se lancer dans la vente d’avions. Forte d’une clientèle potentielle de futurs pilotes formés dans son école, l’entreprise devient en 1978 le représentant du constructeur américain Mooney, et fait l’acquisition d’un premier avion-démonstrateur, également disponible en location sans pilote, le OO-JPG (Mooney 201).
Mais le début des années quatre-vingt est marqué par un ralentissement de l’activité économique, ce qui entraîne une diminution des activités d’écolage, et donc la revente progressive des avions d’entrainement. La vente des différents avions entraîne l’abandon total de cette activité en 1984. Le dernier monomoteur de l’école, le Mooney 201 OO-JPM, est vendu à la mi-86, et marque la fin des activités écolage.
Il en est de même pour le taxi aérien, progressivement abandonné en raison de l’importance croissante des opérations de lignes régulières en sous-traitance et de petits charters.
Au niveau technique, après plusieurs années de sous-traitance auprès de divers ateliers belges (NEAS, puis Van Pelt pour les monomoteurs) ou étrangers (Bat-Air pour les Fairchild-Swearingen), EAT crée son propre service technique en rachetant les ateliers Van Pelt en 1979 et en développant celui-ci. Vu l’importance de la flotte basée à Bruxelles-National, l’utilisation du Hangar 133 (ex-Sotramat, puis Publi-Air) est négociée avec la Régie des Voies Aériennes et durera jusqu’en 1987. Fin 1986, pas moins de onze techniciens y travaillent sous la direction de Paul Van Doorselaer. L’atelier est agréé par l’Administration de l’Aéronautique et est nommé « service center » officiel du constructeur Fairchild-Swearingen.
Les débuts de la collaboration avec DHL
Le milieu des années quatre-vingt est marqué sur le plan aéronautique belge par l’arrivée à Bruxelles des principaux opérateurs d’un nouveau service (du moins en Europe), le courrier et les petits colis express (« express parcels »). S’il s’était bien développé aux Etats-Unis, en Europe les postes nationales bénéficiaient d’un monopole qui empêchait l’arrivée sur le vieux continent d’un tel nouveau service. Ce monopole sera progressivement mis à mal par quelques entrepreneurs (principalement américains) audacieux (Federal Express, DHL, TNT, UPS, Emery), et quelques hommes politiques visant à un meilleur service aux clients et à la création d’emplois. L’évolution dans les entreprises vers une limitation des stocks (et donc d’immobilisations de trésorerie) réalisable par un système rapide de livraison de pièces par le fournisseur fera le reste.
Dès 1985 les premiers grands acteurs américains du secteur ouvrent des liaisons transatlantiques vers un point de chute européen qui devient leur « hub » continental où ils implantent des centres de tris pour la distribution par camionnage et transport aérien vers les différentes destinations européennes.
L’aéroport de Bruxelles réussit à se vendre habilement grâce aux efforts conjugués de Brussels Airport International (BAI, la société en charge de la promotion de l’aéroport), et avec l’appui dynamique du Ministre des Communications de l’époque, Herman De Croo.
Federal Express sera la première à choisir Bruxelles comme tête de pont européenne et inaugure le 5 juin 1985 une ligne quotidienne avec les Etats-Unis (initialement en Boeing 727, puis en DC-10). DHL, qui avait établi son quartier-général européen à Evere dès 1984, suit très rapidement et ouvre son « European Sorting Center » (centre de tri européen) le1er octobre 1985. Les colis arrivés des USA par le DC-8 de DHL sont triés en fonction de leurs destinations finales et repartent soit en camion, soit sur un des dix-sept avions affrétés chaque nuit. Ce qui permet de livrer des colis réceptionnés en fin de journée dès le lendemain matin à leur destinataire partout en Europe.
Vu la difficulté au départ d’une telle nouvelle opération de prévoir l’évolution du volume transporté, les « grands » du colis express louent d’abord de petits avions et pour des durées courtes. Ils changent d’appareils et de transporteurs en fonction de l’évolution de la taille nécessaire. La première année, le centre de tri DHL traite chaque nuit 45 tonnes de courrier et colis express et ces chiffres sont en progression constante.
EAT entre rapidement en négociations avec DHL et est choisie pour opérer six fois par semaine en vol-cargo de nuit la liaison Bâle-Bruxelles. Elle est inaugurée en novembre 1985 par le Metro II OO-JPY. Deux Fairchild-Swearingen Merlin IV (OO-JPA, et OO-JPN troisième avion EAT à porter ces marques) sont acquis d’occasion et transformés en version fret. La ligne ne durera que jusqu’en janvier 1986 en raison du succès de l’opération, nécessitant de passer à une capacité supérieure. Cette première opération permet aux deux partenaires de s’apprécier et de se découvrir beaucoup de points communs. DHL a notamment commandé pour ses opérations aux Etats-Unis une vingtaine d’exemplaires d’une version cargo du Fairchild-Swearingen Metro.
Rachat d’EAT par DHL
Freddy Van Gaever, ex-patron de la Delta Air Transport, devenu consultant auprès de DHL, leur conseille de racheter European Air Transport afin de bénéficier de leur propre compagnie aérienne. Des négociations sont menées au printemps 1986 et aboutissent au rachat de l’entièreté du capital d’EAT par DHL Worldwide Express. Les anciens associés-administrateurs se retirent, à l’exception d’Iwein Van Caelenberg, directeur des opérations. Le premier président du nouveau conseil d’administration est Alun Jones, et Freddy Van Gaever rejoint EAT en tant que directeur-général.
Au moment de la reprise par DHL, la flotte EAT se compose de cinq Fairchild-Swearingen (OO-JPA, -JPI, -JPK, -JPN et -JPY). En fonction du renouvellement de contrats de sous-traitance avec la Sabena et de l’exploitation de nouvelles liaisons pour le compte de DHL (Lyon-Bruxelles et Munich-Stuttgart-Bruxelles en septembre 1986), trois Fairchild-Swearingen supplémentaires se rajoutent à la flotte (les OO-VGA -VGC, -VGD). Ils sont loués auprès de Frevag, une entreprise de location d’avions créée par Freddy Van Gaever. Un bi- turbopropulseur CASA 212 (OO-FKY) est loué auprès de Hawa Air et sert d’avion de « back-up ».
Fin septembre 1986, EAT emploie 27 personnes à plein temps, dont 11 pilotes engagés, et utilise pas moins de 10 pilotes « free-lance ». A partir de ce moment, et tout en gardant une activité de location à Sabena, le développement d’EAT est directement lié à celui de son actionnaire DHL, et la progression est impressionnante.
Le développement rapide du trafic de courrier et colis express oblige DHL à remplacer les avions de faible capacité par des appareils plus gros. Après quelques mois d’exploitation par EAT pour compte de DHL, les Fairchild-Swearingen s’avèrent trop petits pour certaines lignes. Ils seront progressivement remplacés par les Convair 580, une version remotorisée en turbopropulseurs du vénérable bimoteur à piston Convair 440.
Le Convair 580 dispose d’une charge payante maximum de 7,5 tonnes, avec un bon volume cabine. Ses deux turbines Allison 501 de 3.750 shp lui confèrent une vitesse de croisière de 297 kts (550 km/h).
Le premier Convair 580 (OO-VGH) est immatriculé le 13 juillet 1987 et livré en version passagers aux couleurs de European Air Transport. Il sera suivi de pas moins de onze autres appareils du même type, en version cargo, aux couleurs DHL, plus un appareil qui servira uniquement de réserve de pièces de rechange. Le dernier (OO-DHI) est immatriculé en décembre 1988.
Déjà conscient de l’impact des problèmes de bruit, EAT fait développer un « hush-kit » et effectue aux Etats-Unis les essais en vue de la certification de cette modification avec un de ses Convair 580 (OO-DHJ), réimmatriculé américain pendant les quelques mois de tests en vol qui ont lieu à Mojave en Californie. La modification est certifiée comme Supplemental Type Certificate (STC) et permet de classifier le Convair 580 en « Stage III ». L’ensemble de la flotte de Convair d’EAT sera dotée de ces « hush-kits ».
La progression constante des volumes traités par le centre de tri européen de DHL leur fait considérer de passer au Boeing 727, et donc EAT va rejoindre la cour des grands et deviendra un opérateur important de » jets », d’abord de Boeing 727, puis d’Airbus A300 et de Boeing 757. Nous en détaillerons les dernières vingt années de cette histoire dans la deuxième partie de cet article, à paraître dans Hangar Flying en février.
Texte et photos: Guy Viselé