Beauvechain, 26 avril 2021. Il est 11 heures lorsque le C-130 Hercules CH-13 en provenance de Melsbroek se pose sur la base de Beauvechain au terme de son tout dernier vol qui aura duré une vingtaine de minutes. Ce C-130 deviendra une pièce maitresse du « Golden Falcon » 1 Wing Historical Center (1WHC) qui expose 28 avions ayant servi dans la Force Aérienne ou à la Light Aviation de la Force terrestre.
La renaissance du Phoenix
Intéressons-nous à ce C-130 qui a une histoire bien particulière.
Vers minuit dans la nuit du 4 au 5 mai 2006, un violent incendie se déclenche dans le Hangar 40 abritant les ateliers de Sabena Technics situés dans l’enceinte de l’aéroport de Bruxelles et destinés à la maintenance lourde des avions. Malgré une réaction rapide des équipes de pompiers et le déclenchement du plan catastrophe, le hangar d’une superficie de 10.000 mètres carrés, s’effondre sur les quatre avions qui s’y trouvent, trois airbus A-320 et un C-130. Les appareils sont totalement détruits par le feu. La perte du C-130H CH-02 de la Force Aérienne est ressentie sévèrement car les Hercules de la F.Aé. sont beaucoup sollicités opérationnellement.
Afin de dédommager la F. Aé, un deal est conclu entre les parties impliquées par lequel Sabena Technics s ‘engage à trouver un C-130 d’occasion, avec un bon potentiel restant, et à le porter au standard des C-130H du 15èmeWing en y apportant toutes les modifications requises.
L’oiseau rare d’occasion est trouvé aux USA. Il s’agit du C-130E (c/n 382- 4047 USAF serial 64-0552) construit pour l’USAF en 1965. Converti un temps en WC-130E de surveillance des ouragans, les « Typhoon Chasers », il a servi dans diverses unités de reconnaissance météorologiques (WRS). Remis aux standards C-130E, il est finalement retiré du service actif et stocké en juillet 1993 à l’« Aerospace Maintenance and Regeneration Center » ( AMARC), grand lieu de stockage de l’USAF situé à Davis Monthan AFB.
Acquis en mai 1999 par la société Evergreen Helicopters Inc et immatriculé N130EV il connait une brève carrière civile au sein de cette compagnie de fret aérien qui le met en exposition en janvier 2005 dans son musée privé à McMinnville dans l’Oregon.
Racheté par Sabena Technics et remis en état de vol, il commence son convoyage vers Bruxelles le 22 mars 2007 où il n’arrive que le 8 avril. La remise au standard de la F. Aé prendra plus une année jusqu’en fin 2008 quand commencent le 7 décembre les vols de test.
CH-13 ou CH-14?
L’avion arrive au 15ème Wing le 6 mars 2009. Il porte l’immatriculation CH-14, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations. Notre Force Aérienne serait-elle superstitieuse?
Ceci amène notre ami Gérard Gaudin, journaliste bien connu de l’agence Belga, spécialisé défence, à nous narrer cet épisode peu connu du CH-14 via sa dépêche du 1er février 2007:
« L’armée verse dans la superstition: pas de C-130 CH-13
L’armée a décidé de faire une exception à la règle en vigueur depuis des décennies pour l’immatriculation de ses avions en choisissant de ne pas utiliser le chiffre 13 pour le C-130 d’occasion dont elle prendra livraison d’ici deux ans, a-t-on appris jeudi de sources concordantes. Cet appareil, destiné à remplacer un C-130 détruit en mai dernier lors d’un incendie à Zaventem, sera en effet immatriculé CH-14 et non CH-13, selon la logique habituelle, a admis le ministère de la Défense, sans pouvoir indiquer qui avait pris cette décision.
La société Sabena Technics, qui s’est occupée de dénicher cet avion et se prépare à le remettre en état, a reçu comme instruction de le considérer comme le CH-14.
La Belgique avait pris livraison en 1972 et 1973 de douze C-130 Hercules, immatriculés de CH-01 à CH-12. Jusqu’à présent, l’armée avait échappé à la superstition en utilisant systématiquement le chiffre 13 pour tous ses types d’avions et de véhicules. Selon un recensement effectué par un passionné d’aviation, 22 appareils porteurs du matricule 13 ont, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, terminé leur carrière sans accident sérieux, alors que quinze ont retirés d’emploi après des accidents divers – mais pas toujours fatals, dont le Mirage 5 BA-13, le F-104G Starfighter FX-13, les F-16 FA-13 (monoplace) et FB-13 (biplace) et les Spitfire SM-13 et SG-13.
La compagnie aérienne Brussels Airlines avait quant à elle récemment modifié son nouveau logo, en ajoutant une 14ème ‘pastille’ rouge aux treize initialement retenues pour orner la dérive de ses appareils, sous la forme d’un B stylisé.
Selon le ministère de la Défense, cet appareil de seconde main sera mis au même niveau que les dix autres C-130H, qui doivent encore rester en service jusque vers 2018, date de leur remplacement par les sept Airbus A400M commandés.
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BELGA 01/02/2007 12:10 »
Mis au courant, le ministre de la défence Pieter De Crem et le patron de la F. Aé avaient ordonné que le numéro 14 soit effacé et remplacé par le 13. Ce qui aurait dû être fait avant sa livraison au 15 Wing mais qui le sera seulement que le 7 mars 2009. L’avion est officiellement réceptionné par la Défence 10 jours plus tard le 17 mars. Selon certaines informations, non confirmées mais très plausibles, de nombreux documents reprenant l’immatriculation CH-14, durent être modifiés voire réimprimés.
En août 2013 le CH-13 reçoit une peinture commémorative pour les 40 ans du C-130 à la F. Aé et les 65 ans du 15ème Wing de Transport. Une année plus tard il rentre en grande révision chez Sabena Technics et est repeint dans la livrée grise sous laquelle il tire sa révérence le 26 avril 2021 lors de son ultime vol opérationnel en affichant 25.740 heures de vol à son actif
Pour la deuxième fois au musée
Le C-130 occupe une place si importante dans l’histoire de notre aviation qu’il a été décidé par les autorités d’en préserver un exemplaire, les autres étant vendus ou démantelés pour récupérer des pièces ou servir de cellule d’exercice pour les pompiers. Arrivant au terme de son potentiel avant une grande révision, le choix s’est porté sur le CH-13, le plus vieux construit mais le plus récent de la flotte belge. Le seul C-130 qui sera préservé en Belgique, confié au War Heritage Institute (WHI), finira donc ses jours comme pièce de musée à Beauvechain sur décision de la ministre de la Défence Mme Ludivine De Donder. Cette décision, qu’on l’approuve ou non, a clôturé définitivement une longue polémique, au départ émotionnelle et bien compréhensible dans le chef de ceux qui ont opéré cet appareil durant une cinquantaine d’années qui espéraient le garder en exposition sur sa base d’attache du 15ème wing, mais qui a pris au fur à mesure du temps de plus en plus de regrettables relents politiques et communautaires. Le sort en étant jeté et les débats étant clos, réjouissons-nous plutôt de la préservation de cet avion qui aurait tout aussi bien pu être vendu comme les autres surtout en ces temps difficiles ou les dépenses publiques et les déficits explosent avec la crise de la Covid.
A son arrivée à Beauvechain, l’avion est accueilli par la ministre Ludivine Dedonder, le directeur du WHI M. Michel Jaupart et le président du Golden Falcon, le Général e.r. Guy van Eeckhoudt, ancien chef de corps du 15ème Wing. Devant les quelques médias nationaux conviés à cet évènement la ministre confirmera le choix de Beauvechain comme étant le plus approprié non seulement à la préservation de cet avion mais aussi pour son accessibilité au grand public. Elle confirmera également la volonté de créer un « pôle muséal » plus important à Beauvechain dans le cadre du WHI. Que nous soyons néerlandophones, germanophones, francophones mais avant tout amateurs d’avions ou de matériel militaire, nous rêvons tous d’un musée de qualité à l’instar de ce que nos voisins hollandais ont réalisé à Soesterberg. Vu mon espérance de vie restante, je crains, hélas, de ne jamais le voir!
Le CH-13 amenait dans sa soute un moteur et une hélice réformée reconnaissable au bout des pales rouges. Un A-400M atterrit une heure plus tard avec les trois autres moteurs et hélices et un tracteur de piste adapté en vue du « tractage » du lourd C-130. La semaine sera consacrée à la « neutralisation » de l’appareil (huiles, carburants etc…) et au remplacement de ses moteurs et hélices utilisables contre ceux déclassés. Le vendredi 30 avril, date officielle de réception par le WHI, le C-130 est amené de l’autre côté de l’aérodrome vers son emplacement définitif préparé par les bénévoles du musée où il sera accessible aux visiteurs d’ici le mois de juin. Sous l’impulsion de son dynamique président, l’équipe de bénévoles s’est considérablement renforcée depuis plus d’un an et connaissant bien les jeunes qui l’ont rejointe (que j’ai eu le plaisir pour plusieurs d’entre eux de former au vol à voile), je ne doute pas que ce C-130 fera l’objet de toute leur attention.
Il reste aujourd’hui quatre Hercules en service qui seront progressivement retirés des opérations d’ici la fin 2021. Nous n’avons donc certainement pas fini d’en parler.
Bob Verhegghen
Photos: Louis Bladt, Kevin Cleynhens, Eric Dessouroux, Jozef Vanden Broeck-Comopsair, Guy Viselé, Frans Van Humbeek et Bob Verhegghen