Melsbroek, le 17 décembre 2021. La Composante Air et la 20ème escadrille du 15ème Wing de transport font leurs adieux publics aux C-130 H Hercules, un avion qui aura montré nos couleurs nationales aux quatre coins du monde pendant 50 ans.
Des adieux publics dans la grisaille
Il fait froid et un brouillard tenace limite la visibilité à quelques dizaines de mètres. Dans le brouillard on distingue à peine les avions sur le tarmac, d’autant plus qu’ils sont tous gris. On devine nos derniers C-130 encore en état de vol ainsi que quelques Hercules étrangers, italiens, polonais et américains venus témoigner leur sympathie en ce jour pas comme les autres. Un vol en formation est prévu avec son contingent de journalistes invités, après la conférence de presse, à effectuer un tour de Belgique dans cet avion qui suscite beaucoup d’engouement auprès du public et jouit d’une popularité sans pareille. De nombreux spotters sont au taquet en bord de piste sur les différents aérodromes que sont censés venir saluer le vol d’adieu. Ils en seront malheureusement pour leurs frais, seuls les passagers du C-130 et du A-400M mis en l’air verront le soleil. Pour pallier la déception des nombreux afficionados ayant plus entendu que vu une dernière fois le bel avion gris, la 20ème escadrille aura à cœur de refaire un tour (annoncé via les réseaux sociaux) avec deux avions les lundi et mardi suivant, sous un beau soleil retrouvé, avant d’effectuer le tout dernier vol aux couleurs belges en convoyant le mercredi 22 décembre les CH-05 et CH-07 à Gosselies pour être livrés plus tard à leurs nouveaux propriétaire, Sabena Aerospace et Blue Aerospace du groupe Blueberry (cfr www.lesoir.be/316117/article/2020-07-29/sabena-aerospace-et-blue-aerospace-acquierent-les-neuf-c-130-vendus-par-la).
Des états de service remarquables
Quand en 1954, le prototype du Lockheed C-130 Hercules prit l’air pour la première fois, personne n’aurait pu croire que cet avion serait encore en production 68 ans plus tard. Commandé en nombre, l’avion trouve facilement sa place au sein de l’USAF et il apparait bientôt dans les unités de transport américaines. Depuis les années cinquante, notre Force Aérienne utilise en grand nombre le Fairchild C-119 Flying Boxcar pour ses opérations de parachutage, transport de troupes et liaisons avec la base de Kamina dans la colonie. C’est un bon avion mais qui a ses limites. En 1964, la Belgique entreprend une opération de sauvetage d’otages belges ou occidentaux retenus par des rebelles anti-gouvernementaux au Nord-Est du Congo. Nos unités de paras-commandos sont acheminées rapidement à Kamina grâce au concours de C-130 Hercules américains basés en France. Ces avions américains sont engagés lors des opérations de parachutage et d’atterrissage d’assaut « Dragon noir » à Stanleyville (Kisangani) et « Dragon Rouge » à Paulis (Isiro).
Le Hercules va ainsi démontrer ses indéniables qualités d’autonomie, charge utile et flexibilité et il entre dans le « paysage public » belge par la grande porte. Fort de cette expérience, le C-130 apparait rapidement comme le best of choice aux yeux de l’Etat-Major lorsqu’il entreprend les études de remplacement du C-119G dans la deuxième moitié des années soixante. Les concurrents sont le DHC-5 Buffalo de là « de Havilland Canada », le Breguet 941 français ainsi que le C-160 Transall franco-allemand. Malgré leurs qualités, ces avions ne font pas le poids face aux qualités du Hercules et en 1971 le Gouvernement commande à Lockheed 12 avions pour 55 millions de dollars US (2.750 millions de FB), agrémentés de compensation de Lockheed et du motoriste Allison pour l’industrie belge. Six avions supplémentaires sont en option mais ne seront jamais commandés. Le CH-01, premier de la série, arrive à Melsbroek le 25 juillet 1972. Le dernier, le CH-12, est livré le 2 avril 1973 et est mis en opérations le 16 mai 1973 après sa mise en peinture de camouflage en Angleterre (www.hangarflying.eu/2021/04/livree-speciale-pour-les-50-annees-du-c-130h-hercules/). A ce moment la 20ème escadrille « Sioux bleu », choisie pour mettre en œuvre le C-130, dispose de quatorze équipages formés sur C-130. Avec l’arrivée du dernier appareil, c’est la fin des C-119G qui sont convoyés à Coxyde pour y être vendus ou démantelés. C’est également la dissolution de la 40ème escadrille « Sioux vert ».
Les travaux d’Hercules
Le passage du Flying Boxcar au C-130H bat encore son plein lorsque le 22 mai 1973 un premier Hercules met le cap sur le Sahel pour une mission humanitaire d’envergure, à l’appel de la CEE face à la famine engendrée par une longue sécheresse. Ce soutien se poursuivra en 1974. Au cours des missions humanitaires, les équipes du 15ème Wing imaginent et mettent au point une technique de largage de charges à basse altitude connue sous le vocable « VLAGES » pour « Very Low Altitude Gravity Extraction System ». Cette technique évite de devoir poser l’avion pour décharger et sera utilisée en particulier en Ethiopie et au Soudan où les gravillons et la poussière des pistes de fortune utilisées sont un danger permanent. Le VLAGES fait l’objet d’un article détaillé de Jean-Pierre Decock dans Hangar Flying de mars 2017 ( www.hangarflying.eu/fr/2017/03/vlages-cest-du-belge/).
S’ajoutant aux opérations militaires proprement dites, la mission au Sahel est le début d’un engagement pratiquement continu et sans faille des équipages, paras-commandos du RavAir et techniciens (souvent retenus pour de longues semaines loin de leurs proches) au cours d’opérations à l’étranger. Dès leur arrivée, les Hercules parcourent le monde, surtout l’Afrique, pour des missions humanitaires ou d’opérations appelées NEO, évacuation de non-Combattants, visant à évacuer des compatriotes en danger dans des pays en guerre ou en insurrection. Il faudrait un livre pour énumérer toutes les opérations auxquelles ils ont participé. Sans être exhaustif, citons cependant les plus marquantes:
Mai 1973-1974 SOS-Sahel; octobre 1975 Angola -mission d’évacuation de réfugiés portugais; février 1976 tremblement de terre au Guatemala; mai 1978 opération Red Bean à Kolwezi au Shaba – évacuation de réfugiés; décembre 1979-janvier 1980 évacuation de personnel belge et néerlandais d’ Iran suite à la révolution islamique; février-mars 1979 mission « Green Apple » déploiement à Kitona (bas – Zaïre ) pour entrainement des FAZ; 1980 à 1991: plus de 65 missions humanitaires suite à des catastrophes naturelles ou des évacuations de réfugiés suite à des tensions politiques amènent les Hercules en Thaïlande, Cambodge, Algérie, Italie, Zaïre, Chypre, Yémen du Nord, Turquie, Bolivie, Ethiopie, Tchad, Mali, Soudan,Maroc, Nicaragua, Niger, URSS, Namibie, Roumanie, Tunisie, …
Les années nonante ne furent pas de tout repos non plus: 1990 -1991 guerre du golfe; juillet- août 1991 opérations « Sweet Home » et « Blue Beam », évacuations dans le cadre des émeutes au Zaïre; 1992-1993 opération « Restore Hope » en Somalie; 1993 -1994 opération « Silver Back » au Ruanda; 1997 Zaïre, chute du président Mobutu en mars, opération « Green Stream Zaïre »; 1998 -1999 famine en Somalie.
Les années deux mille ne sont pas en reste: de 2004 à 2012, Operations ISAF en Afghanistan avec une présence permanente à Kaboul; 2006 évacuations de réfugiés au Liban, 2007-2013 diverses missions humanitaires ou en support de l’ONU; 2011-2018 opérations de support dans le cadre des opérations militaires SERVAL, SANGARIS, Guardian Falcon, Desert Falcon. En 2018-2019 un C-130 est mis à disposition permanente de la Minusma, dans le cadre de l’opération de stabilisation intégrée de l’ONU au Mali.
L’apothéose de cette remarquable carrière a lieu en août 2021 lors de l’évacuation de Kaboul à la suite de la reconquête fulgurante de l’Afghanistan par les Talibans. Au cours de cette opération baptisée « Red Kite », le 15ème Wing alignera, en plus d’un A-400M, trois C-130 (CH-01,07 et 11) qui effectueront cinq jours durant, du 21 au 25 août, des rotations entre Islamabad au Pakistan et Kaboul, évacuant 1.418 personnes. L’ultime opération extérieure sera « Tropical Storm 21 » au Gabon du 22 novembre au 14 décembre 2021.
Une maintenance au top
Toutes ces opérations se seront faites grâce à des avions fiables et parfaitement entretenus. Après 20 années, Ils font l’objet d’un « Midi-life Improvement Program » effectué par Sabena Technics à Zaventem qui a également en charge la maintenance lourde des C-130 dont notamment les inspections structurelles à la recherche des signes de vieillissement. La phase 1, le « Life Expansion Plan » entamé en 1992, a pour but de maintenir ces appareils opérationnels jusqu’en 2010 et consiste à remplacer les panneaux extérieurs d’ailes au-delà des moteurs intérieurs. La phase 2 qui a lieu entre 1993 et 1995 est une modification importante du cockpit avec une avionique de pointe dont un nouveau système de navigation GPS remplaçant le système d‘origine « Omega » défaillant, un radar météo plus performant et l’installation de systèmes passifs de défense avec des leurres thermiques et du blindage. Dans les années 2000, il reçoit un système d’autoprotection qui protège l’avion d’une gamme plus large de missiles en approche. A noter que déjà en juillet 1979 sur le CH-08 et en février 1983 sur le CH-06, des essais d’armement avec des mitrailleuses .50 placées dans les portes arrière avaient été effectués. Lors de la phase 1 qui se termine à l’automne de 1993, le schéma de camouflage « SEA » d’origine sera remplacé par une livrée uniforme gris moyen brillante, plus facile à entretenir et plus adaptée aux missions humanitaires que la « tenue guerrière ».
En souvenir
Une carrière aussi longue ne s’est bien entendu pas passée sans incidents ou accidents mais le bilan du C-130 est élogieux. La 20ème escadrille perdra deux avions dans des circonstances qui ne résultent pas d’une défaillance technique de l’avion. Le plus grave a lieu le 15 juillet 1996 à Eindhoven lorsque le CH-06 s’écrase à l’atterrissage à la suite d’une collision aviaire. L’incendie consécutif à la sortie de piste entraine la mort de 34 personnes sur 41 (dont l’équipage et un orchestre militaire néerlandais rentrant d’Italie) à la suite d’une série de dysfonctionnement des services de secours de l’aérodrome qui interviennent tardivement. Le deuxième C-130 perdu est le CH-02 détruit lors de l’incendie du hangar de Sabena Technics à Zaventem le 5 mai 2006. Il sera remplacé en mars 2009 par le CH-13 qui est aujourd’hui préservé au musée sur la base de Beauvechain et accessible au public (www.hangarflying.eu/fr/2021/05/le-c-130h-hercules-ch-13-sera-preserve-a-la-base-de-beauvechain/) et (https://www.hangarflying.eu/2021/07/le-hercules-ch-13-est-accessible-au-public-a-beauvechain/).
Clap de fin
Avec l’atterrissage du CH-07 à Gosselies le 22 décembre, comme de coutume arrosée par les pompiers de l’aéroport, la dernière page d’une brillante carrière sous nos couleurs se tourne définitivement. Le dernier Hercules m’a fait le plaisir (involontaire sans doute mais apprécié) de venir me saluer une dernière fois en passant très bas à 10h15 au-dessus de ma demeure à Chastre avant de s’aligner sur EBCI. Au cours de ces 50 années, les C-130 auront transportés 150.000 tonnes de fret, effectué 285.000 heures de vol, 119.500 vols. Ils auront parcouru l’ équivalent de 3.900 fois le tour du globe. L’avenir est maintenant à l’A-400M Atlas dont cinq exemplaires sont déjà en service.
Remerciements: Tom Brinckman, Fernand Hollanders, Kurt Verwilligen (Comopsair)