1961…. Jeune gamin en culotte courte, j’étais déjà victime du virus de l’aéronautique, inspiré par les lectures des bandes dessinées de Buck Danny, et aussi par les livres des héros de la deuxième guerre mondiale, tels que Pierre Closterman et son Grand Cirque.
Le spotting n’était pas très connu en Belgique. Ce mouvement est né après guerre en Angleterre. Les anciens de l’ Observers Corps se sont reconvertis en observateurs de mouvements d’avions, créent des associations telles que Air Britain et donnent naissance à une littérature spécialisé: périodiques tels que Air Pictorial ou RAF Flying Review, bouquins à prix démocratique permettant l’identification des avions (The Observers Book of World Aircraft et les séries aviation de Ian Allan).
Nous étions en pleine guerre froide et il ne faisait pas bon d’approcher ou de photographier des bâtiments ou des avions militaires, sauf lors des manifestations publiques telles que les grands meetings de la Force Aérienne. Par contre, côté civil, il n’y avait pas encore de menaces de terrorisme ou d’attentats, et l’accès aux tarmacs était encore possible pour les débrouillards. On pouvait librement accéder aux terrasses publiques des deux jetées de l’aéroport de Bruxelles-National, et accéder aux zones techniques grâce aux visites guidées organisées par la Sabena.
Pour la Belgique, 1961 est l’année qui suit l’indépendance de son ancienne colonie, le Congo. Avec la création le 28 juin 1961 de la compagnie Air Congo, dans laquelle la Sabena participe à hauteur de 30% du capital. Et lui loue et lui vend pas mal d’avions, ce qui donne aux jeunes spotters l’occasion de prendre quelques photos devenues historiques. Sur le plan militaire et industriel, retenons la signature du contrat industriel entre Fairey et SABCA pour la production du F-104G, et la présentation du premier exemplaire belge (FX-1) le 4 décembre 1961. Pas moins de 189 exemplaires (dont 100 pour la Force Aérienne Belge) de ce chasseur légendaire seront assemblés à Gosselies.
Au niveau mondial, 1961 c’est le 12 avril l’expédition du premier homme dans l’espace, le Russe Youri Gagarine. En aviation civile, on est au début de l’ère du jet, avec les livraisons des premiers Boeing 707, DC-8, Comet 4, Caravelle.
La Sabena avait été une des premières compagnies à commander et à mettre en service le Boeing 707. Elle perd malheureusement un de ceux-ci, le OO-SJB, lors du crash de Berg le 15 février. Côté positif, on assiste à la livraison des deux premières Caravelle (OO-SRA et OO-SRB) le 8 février. Mais la flotte est encore constituée majoritairement d’avions à piston: de nombreux DC-3, DC-6, DC-7C et Convair 440. Les DC-7C seront transférés progressivement vers des compagnies nouvelles (Caledonian, Spantax) ou exotiques (Persian Air Services). Les DC-3 partiront principalement vers l’Afrique (Air Congo, Air Katanga, Linair). La Sabena utilise encore des hélicoptères Sikorsky S-58 pour drainer les passagers des villes régionales vers le réseau long-courrier. Les autoroutes étaient encore quasi inexistantes chez nous.
Les compagnies nationales, qui ont encore pour beaucoup une position de monopole en matière de vols réguliers, se débarrassent progressivement de leurs avions à piston en les revendant à bas prix à une nouvelle catégorie d’exploitants: les charters. Puisqu’ils ne peuvent pas avoir de droits de trafic réguliers, ceux-ci vont organiser des Inclusive Tours, package comprenant non seulement le vol mais aussi le séjour, et vendre des vols à des groupes organisés. Ils permettront la diminution des prix des voyages et l’accès à l’avion à une plus grande masse, pionniers de la future libéralisation du transport aérien. Les compagnies traditionnelles ont ainsi, sans le vouloir, semé les germes de la fin de leur position dominante…En Belgique, outre la Sobelair, qui à l’époque n’exploite qu’un seul DC-6, on voit naître la BIAS (Belgian International Air Services) de Charlie Van Antwerpen, dont le premier avion, un DC-4, est immatriculé OO-VAN.
A Bruxelles-National, on peut voir régulièrement les premiers Boeing 707 de la Panam cotoyer leurs DC-7C, les Viscount de British European Airlines et de Aer Lingus, KLM, LOT, les Tupolev 104 de l’Aeroflot, mais aussi les Ilyushin 14 des pays de l’est: Tarom, CSA, LOT, Malev. KLM vient en Convair 340, puis en Viscount et Lockheed Electra. Olympic Airways vole en Comet 4. El Al en Britannia. Et en cargo, Seaboard World Airlines vient en Curtiss C-46 et en L-1049 Constellation.
L’aéroport d’Ostende-Middelkerke connaît une croissance énorme. Un trafic très spécialisé s’organise: au départ des aéroports côtiers, une multitude de petites compagnies anglaises font la traversée de la Manche par avions. Et quels avions! Des Vickers Viking, DC-3, DC-4, DH114 Heron, Miles Marathon, Airspeed Ambassador, Canadair C-4 Argonaut, Handley Page Hermes…Des noms pour beaucoup tombés dans l’oubli.
Les passagers se rendent ensuite par autocars entiers vers les lieux de vacances ensoleillées du sud de l’Europe. Grâce notamment à la West Belgium Coach Company de Van Moerkereke, qui créera plus tard Sunair, puis Air Belgium. Cette combinaison avion-autocar démocratise le coût du voyage, mais disparaîtra quelques années plus tard avec l’introduction d’avions plus performants et plus économiques permettant de relier directement les destinations de vacances.
L’autre trafic est encore plus passionnant: concurrençant la malle maritime, des compagnies comme Silver City, Channel Airways et Channel Air Bridge transportent voitures et passagers dans les Bristol Freighter aux gueules monstrueuses. Leur successeur, l’ATL-98 Carvair, effectue son premier vol le 21 juin 1961. Issu de la transformation d’un DC-4 par le relèvement du cockpit au dessus d’un nez pivotant permettant le chargement des voitures, il sera pendant de nombreuses années un visiteur régulier à Ostende.
La Force Aérienne utilise encore ses Hawker Hunter et CF-100 Canuck, aux côtés des F-84F et RF-84F qui resteront bien plus longtemps en service. Quelques Meteor sont encore utilisés en remorquage de cibles au départ de Koksijde. Le 15è Wing dispose d’une flotte de transport impressionnante: plus de trente Fairchild C-119G, quelques Douglas C-47, douze Percival Pembroke, quatre DC-6A et deux DC-4/C-54. L’entraînement se fait en SV-4bis et les Fouga Magister, mis en service en 1960, sont en cours de livraison. La Light Aviation procède au remplacement de certains Piper L-18 et prend livraison des neuf derniers Dornier Do-27 d’une commande de douze, et de seize hélicoptères Alouette II Artouste.
La COGEA exploite au départ d’Ostende une flotte incroyable: Spitfire, Meteor, Harvard déclassés et immatriculés civils. Le Meteor NF11 OO-ARZ participe à la fameuse course Londres-Paris. Les Spitfires sont repeints aux couleurs britanniques pour participer au tournage du film The Longest day, et plus tard à celui du film Battle of Britain, et seront ensuite vendus à des amateurs de warbirds.
L’aviation générale et sportive est constituée principalement par les avions déclassés après guerre, tels que les Piper L-4 Cub et DH-82 Tiger Moth, ou dérivés tels que Nord 1002 (dérivé du Messerchmidt Bf108). La production de l’époque est constituée notamment de Jodels, Piper Tri-Pacer, Cessna 170, Beech Bonanza, mais aussi d’un avion belge bien sympathique, le Tipsy Nipper. Quelques avions plus modernes apparaissent: les premiers Piper et Cessna bimoteurs légers (Apache et C310). L’aviation d’affaires en est à ses débuts avec des machines modernes comme le Beech 65 Queen Air. L’Ecole d’Aviation Civile (EAC), qui forme les futurs pilotes de la compagnie nationale, utilise des Tiger Moth modifiés avec une verrière. La Fédération des Clubs Belges d’Aviation a repris les Auster Mk 6 de la Light Aviation et les a redistribué parmi différents aéro-clubs.
Certaines des machines évoquées ci-dessus peuvent heureusement encore être admirées principalement au Musée de l’Air, et dans diverses autres collections publiques ou privées.
Guy Viselé